Les RF, ont-ils intérêt à s’engager dans TransCo ?

par | 15 février 2021 | Juridique, Organisation

Un OFNI, Objet de Formation Non Identifié, vient d’apparaître par l’instruction du 15 janvier 2021 : TransCo, les transitions collectives. Un nouveau dispositif qui permet “aux employeurs d’anticiper les mutations économiques de leur secteur et aux salariés d’être accompagnés pour se reconvertir de manière sereine, préparée et assumée”.  Les responsables de formation, ont-ils intérêt à s’approprier l’outil rapidement ou plutôt à attendre que les usages se fassent, si usage il y a ? Quelques pistes pour réfléchir autour du sujet pour ne pas paraphraser le site du gouvernement, https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/instruction_transitions_collectives_11012021.pdf  qui est particulièrement informatif. 

1, L’entreprise doit déterminer ses emplois fragiles 

Pour profiter de Transitions Collectives, l’entreprise doit préalablement négocier un accord de GEPP (Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels) qui est un accord à 2 ou 3 ans. Depuis 2017, la GEPP remplace la GEPC issue de la loi Borloo de 2005.  Pour les entreprises de plus de 300 salariés, la GEPP est obligatoire. On peut d’ailleurs noter deux choses. Tout d’abord que le passage du GEPC à la GEPP s’est traduit par l’abandon du prévisionnel, or c’était le cœur de la loi initiale, partager une stratégie d’avenir… les mots sont des fenêtres, abandonner le prévisionnel au moins dans les mots, c’est abandonner l’ambition de l’outil, et il ne reste qu’une obligation sociale. D’ailleurs, et c’est le second point, quand rien ne change, les mots font le changement pour montrer un mouvement, faute de montrer une direction. 

La GEPP définit chaque poste ainsi que leur évolution pour permettre à la formation de faire son travail d’adaptation. Quels sont les métiers porteurs ? La liste est élaborée par la DIRECCTE, après avis du CREFOP, Comité régional de l’emploi, de l’orientation et de la formation professionnelle. L’Ile-de-France retient, pour  2021, 31 métiers porteurs au regard d’un projet de formation professionnelle (https://www.defi-metiers.fr/sites/default/files/users/229/liste_des_metiers_porteurs_franciliens.pdf), ce qui recouvre 45 % de l’emploi de la Région. Mais si l’on suit les chiffres de Pôle Emploi, 85 % des métiers de 2030 n’existe pas encore aujourd’hui. Les métiers porteurs d’aujourd’hui ne seront sans doute pas ceux portés demain… Pierre Dac avait cette belle formule, “la prévision est difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir”. Un exercice intéressant, mais non rassurant, est de revenir dans le passé et de voir l’avenir des prévisions de la GPEC, autrement dit, quel est le pourcentage des prévisions qui se sont réalisées. Et c’est sans parler de l’exceptionnel, qui aurait pu prévoir la COVID ? Pour éviter cet écueil, on peut retenir la citation du philosophe Maurice Blondel qui écrivait “l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare”, et c’est donc à l’entreprise de faire la préparation. On peut noter, enfin, que les responsables de formation, ou plus généralement les ressources humaines, ne sont pas considérés comme un métier porteur, c’est ballot. 

Il n’existe pas de liste des métiers à risque, c’est aux dirigeants des entreprises de le définir soit dans le cadre de la GEPP pour les entreprises soumises à la loi, soit sur une simple liste pour les autres. Dans tous les cas, elles peuvent être aidées par la DIRECCTE, par l’OPCO, ou par des prestataires extérieurs. Prenons un exemple concret, les caissières. Elles sont plus de 100 000 en France et à 90 % des femmes. Leur emploi était fragilisé avant la COVID, et la crise sanitaire a fait d’elles des héroïnes sociales. Que faire de ce métier fragile ? Doivent-elles devenir hôtesses, conseillères, gondolières, … ? La bonne question est plus en amont, que faire des magasins ? Car la crise a aussi mise en évidence l’évolution stratégique des magasins, soit devenir des lieux de vente, avec une théâtralisation pour réaliser une expérience client spécifique ; soit de devenir des lieux de supply chain, des entrepôts pour assurer la livraison du fameux dernier kilomètre. Dans le premier cas, la caissière peut retrouver en interne un emploi stable, reste à définir sa fonction hôtesse, conseillère, gondolière, … mais dans le second non. Sans visibilité stratégique, il n’y a pas de visibilité sur l’emploi, et dans un monde en disruption, c’est difficile d’avoir une visibilité à 4 ou 5 ans, même à 2 ou 3 ans suivant les secteurs. Faute de se construire le futur, on a tendance à reproduire le passé. Toutefois, ce qui reste intéressant dans le dispositif, c’est que ce peut être l’occasion de faire un audit des compétences actuelles, savoir où on en est, plutôt qu’où l’on va… 

2, Le RF doit-il devenir un “chasseur de primes” ? 

Comment assurer le financement ? L’entreprise doit constituer le dossier de demande de prise en charge. L’instruction et la validation du dossier seront réalisées par l’AT-Pro, Association Transitions Pro, les anciennes CPIR, Commissions Paritaires Interprofessionnelles Régionales. Les AT-Pro sont des institutions paritaires régionales. Il existe 18 AT-Pro dont la liste est  https://travail-emploi.gouv.fr/formation-professionnelle/acteurs-cadre-et-qualite-de-la-formation-professionnelle/cpir#liste. L’idée est d’assurer une mobilité professionnelle et des reconversions au sein d’un territoire, sous l’harmonisation de la DIRECCTE. On peut noter que les 13 régions sont des créations récentes, 2016, et qu’il est difficile de mettre en lumière une qualification territoriale forte, mais, si l’on revient aux 22 régions précédentes, on peut s’interroger sur l’efficacité, et même l’efficience de la territorialisation de la formation. 

L’Etat finance 100 % du projet de transitions collectives pour les entreprises de moins de 300 salariés, 75 % pour celles entre 300 et 1 000, et 40 % pour celles de plus de 1 000 salariés. Pour ces dernières 60 % reste à la charge de l’entreprise, mais c’est moins cher qu’un plan social si l’on attend que l’emploi fragile devienne obsolète. Tout est payé, la formation, jusqu’à 2 ans de formation (2 400 heures), les déplacements, les salaires, les charges sociales des salariés, … Il y a donc un “fric de dingue” à récupérer dans ce type de projet. C’est une vraie opportunité financière. Et pour être sûr d’avoir les moyens de ses ambitions, l’Etat rajoute une enveloppe de 500 millions d’euros, FNE Formation, qui vient compléter les 900 millions d’euros déjà mobilisés par France Relance sur la reconversion des salariés.  

L’Etat flèche le financement pour assurer le fait de pouvoir changer de métier. On peut se rappeler que la loi du 05 septembre 2018 sur la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle, s’appelait “Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel”. Il s’agit d’une individualisation de la relation apprenante. Le triptyque de la transition est 1°, le projet de transition professionnelle depuis 2019, Transition PRO, l’ex-CIF, qui est à l’initiative du salarié ; 2°, la promotion par alternance, contrat Pro-A, qui permet de favoriser l’évolution interne, à l’initiative du salarié et/ou de l’entreprise, mais toujours individuel ; et, enfin 3°, la Transition collective à l’initiative du salarié et de l’entreprise pour favoriser les évolutions internes ou externes de l’entreprise. Le salarié peut maintenant “traverser la route” pour changer d’emploi et/ou d’entreprise, il sera financé.  

3, Alors… “t’y vas ou t’y vas pas” ? 

Si la GPEC ou la GEPP, n’a pas réussi dans sa dimension prospective, ce n’est pas faute d’engagement de la part des entreprises, mais en raison d’une défiance sociale. Pierre Cahuc et Yann Algan avait écrit la société de la défiance en 2007. Envisager d’élaborer la liste des emplois fragiles, peut être perçu comme une volonté de se débarrasser d’une catégorie d’emploi, la défiance n’est pas une absence de confiance, c’est plus engagé … Alors nombre de syndicats préfèrent ne pas aborder le sujet plutôt que d’ouvrir la boite de Pandore. C’est assez enfantin, mais aussi assez efficace pour ne pas engager la mutation. Faute de construire un climat social de confiance suffisant, les outils de la reconversion perdront leur efficacité, et les salariés auront raison de trainer les pieds pour sortir de la protection de l’entreprise qu’ils connaissent.  Il y a un travail de reliance et de réenchantement à faire pour que l’organisation puisse anticiper les évolutions et les révolutions à venir.  L’impréparation ne fera que renforcer la violence des mutations à venir. 

Dans le triptyque Etat, Entreprise, Collaborateur, le collaborateur a une place particulière est faite pour le CEP, Conseil en Evolution Professionnel créer en 2014, qui accompagne gratuitement d’orientation et de construction d’un projet individuel. Dans le monde de l’individualisme radical, pour reprendre la formule de Marcel Gaucher, la mobilité est le fait des individus. Cette démarche assez intellectuelle, est juste d’un point de vue des dirigeants, mais assez éloignée de la réalité des collaborateurs de base ou même des corps intermédiaires, où la mobilité hors du bassin d’emploi ou du bassin de vie est beaucoup plus difficile à vivre. Suivant où l’on se situe dans la hiérarchie, la mobilité humaine n’est pas de même nature et le territoire de vie n’a pas la même résonnance comme l’a montré le livre de Christophe Guilluy sur la France périphérique (2014). La création d’un projet de mutations collectives ne doit pas être hors-sol. Les transitions collectives appellent les décisions collectives pour réenchanter l’individu, homo eroticus (Michel Maffesoli, 2015), c’est le travail du marketing social, construire la désirabilité du projet. 

Faire système pour accompagner les transitions est important dans un monde qui change, mobiliser la puissance publique pour ne pas laisser le changement s’opérer hors du collectif fait partie de l’histoire sociale de la France contemporaine. Mais on peut s’interroger sur la dimension de ces outils. Le conjoncturiste Christian de Saint Etienne annonce qu’avec la crise du COVID, on assistera dans les 18 mois à 2 millions d’individus touché par des transitions professionnelles. Même si l’on accepte le “quoi qu’il en coûte” le triptyque Transition PRO, Contrat Pro-A et TransCo est-il en capacité d’absorber un tel flux ? Et on peut aller plus loin, la filière formative est-elle en capacité de répondre à la demande, surtout si les 2 millions de personnes veulent profiter de leurs droits ? C’est peut-être l’occasion de s’engager sur la transition collective de la filière formative… 

La création d’un nouveau dispositif pose de nombreuses questions que seul l’usage permettra de répondre. Et c’est l’occasion de s’interroger sur le sens de l’écosystème apprenant avec soit des questionnements paramétriques soit des questionnements systémiques. Certains préfèrent regarder l’arbre, là où d’autres préfèrent la forêt. Les deux sont bons, mais ne regardent pas la même chose, et c’est dans l’aller-retour de ces deux visions que l’on construit la cohérence du système, ou pas. Reste à aborder la question de l’évaluation avec le double questionnement sur l’efficacité ou sur l’efficience du système. A combien de Transco l’administration estime-t-elle qu’il y ait succès pour le dispositif et s’il n’est pas atteint qu’est ce qui est prévu pour l’ajuster ? Sans quelques métriques en amont, il n’y a pas de possibilité de savoir si un dispositif relève du bougisme administratif ou de la transformation choisie. 

Fait à Paris, le 15 février 2021

@StephaneDiebold

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