Le responsable de formation, est-il Chief Happiness Officer ?

par | 19 octobre 2021 | Organisation

Le monde de la formation est de plus en plus associé à des qualificatifs comme festif, gaming plus ou moins “serious”, des pédagogies ludiques, des jeux, des challenges, … Or, l’univers du plaisir, du bien-être et du bonheur en entreprise est traditionnellement celui réservé au Chief Happiness Officer (CHO), littéralement, le responsable du bonheur. Existe-t-il des passerelles possibles entre ses deux métiers ? Le responsable de formation, a-t-il vocation ou simplement intérêt à travailler le plaisir qu’il donne aux apprenants, s’il doit en donner ? Autrement dit, les 350 CHO français, sont-ils des alliés objectifs des responsables de formation ? Que faut-il en penser ? 

1, Le plaisir de la formation 

Il existe bien des théories pour parler du plaisir en formation, celle qui sert souvent de fondement aux analyses, est celle de Gary Becker avec sa théorie du capital humain (1964) qui a l’avantage de présenter des comportements microéconomiques de la part des collaborateurs et la définition de comportement macroéconomique pour les entreprises. L’apprenant définit des objectifs liés à sa fonction d’utilité et sa satisfaction vient de la réalisation de ses objectifs. Il se forme en fonction d’une analyse avantage coût, l’effort d’engagement est comparé aux gains attendus. Le plaisir de réaliser ses anticipations s’inscrit bien dans le modèle d’Organisation Scientifique de la Formation (OSF) avec une rationalisation des comportements. Le plaisir est rationalisé. 

Mais le modèle de base se trouve de plus en plus attaqué. Dans un monde en disruption, il devient de plus en plus difficile de se projeter, la notion même d’anticipation laisse la place à des comportements opportunistes. Il ne s’agit plus de se projeter, mais de savoir saisir des opportunités. Et l’homme rationnel laisse de plus en plus place à un homme émotionnel. Chaque période construit socialement son homme idéal, le 20ème siècle, misait tout sur la rationalité rationalisante, le 21ème siècle semble miser sur la raison sensible. La formation doit alors construire des formations désirables, c’est ce que les psychanalystes appellent la sublimation et que les sociologues appellent l’érotisation de la formation. La formation apprend à donner du plaisir. Et Antonio DAMASIO a montré que les émotions favorisaient un apprentissage plus important et plus durable. Vive l’homo festivus !  

Aujourd’hui, quelle forme cela prend-il ? Le travail d’érotisation se fait sur l’engagement et sur la pédagogie. L’engagement de l’apprenant, c’est l’investissement dans la “désirabilité” de la formation. Le mot désir est intéressant, car il s’agit étymologiquement de l’attente d’un astre qui n’est pas encore arrivé. C’est ce que l’on retrouve avec des techniques de pitch ou de teasing pour donner l’envie. Quelle est la promesse du produit de formation pour l’apprenant ? C’est le travail du marketing. On sait le fait bien pour des yaourts, pourquoi pas donner envie pour des formations ? Et la pédagogie est une suite logique, post engagement pour maintenir la motivation, la pédagogie devient affective pour capter le temps de cerveau disponible de l’apprenant. Autrement dit, le responsable de formation a bien des choses à apprendre du regard du Chief Happiness Officer, mais il a aussi à lui apporter une réalité, pour faire en sorte que le bien-être ne soit pas seulement un spectacle ou une verbosité, mais une réalité terrain. La formation est un levier d’accès au bonheur social si l’on s’en donne les moyens. 

2, La formation du bonheur 

Le bonheur est une chose souvent ineffable, mais le paradigme dominant considère à l’instar du généticien David Lykken, que notre bonheur viendrait à 50 % de la génétique, 10 % de nos conditions de vie et 40 % de notre acquis… autrement dit, le bonheur dépend de notre dotation génétique et la part qui nous incombe, celle sur laquelle on peut se former n’est que de 40 %. Le CHO, comme le RF, n’influencerait que 40 à 50 %, ce qui est beaucoup, mais qui permet de rendre la théorie modeste pour la rendre plus à l’écoute des réalités terrain. 

La seconde remarque est que la notion de bonheur interroge dans notre culture latine. Cette notion réinterroge l’intimité au regard du social. Le sociologue Jean Baudrillard considérait que de socialiser l’intime s’appelait de la pornographie. C’est toute la différence entre la poésie de l’intime et la violence du social. Cela explique une certaine réserve sémantique. Toutes les civilisations ne font pas référence à cette notion d’intimité face au social. C’est une définition particulière de l’individu que l’on a choisi socialement. L’individu est-il une personne, cet être derrière les masques sociaux ou est-il ce qu’il fait dans la société ? L’homme sage est une construction sociale, Edgar Morin avait cette belle formule : l’homo sapiens est aussi un homo demens, à nous de choisir qui on loue socialement. 

On parle souvent d’entreprise citoyenne, l’entreprise doit-elle s’engager dans le bonheur ? La montée en puissance des soft skills légitimise cette question. Et c’est à l’entreprise de l’intégrer dans sa raison d’être ou pas. Le bonheur, s’apprend-il ? Tal Ben-Shahar de Harvard en a fait un livre L’apprentissage du bonheur (2009) et en France nous avons le psychiatre Christophe André a été un des premiers à développer des thérapies comportementales et cognitives sur ce thème. La science et les neurosciences servent de fondement à un domaine qui a été longtemps un problème réservé aux philosophes. Spinoza a écrit des choses très intéressantes sur la place des émotions et la sagesse de la raison. L’entreprise qui est souvent en recherche de sens, pourrait-elle devenir une fabrique à bonheur ? Ou moins ambitieux une école au bonheur ? L’idée est assez séduisante. On n’apprend pas à l’école à être heureux, l’entreprise pourrait prendre le relais…cela nourrirait son corporate branding, une boîte à bonheurs.  

Se pose une question qui est à la fois partagée par le chief happiness officer, mais plus encore, par le responsable de formation. Quel contenu choisir ? Comment apprendre le bonheur ? La science s’engage au rythme de la science, l’entreprise a besoin de produits de formation. Comment apprendre à gérer son stress ? Il existe bien des méthodes toutes avec leur avantage et leur inconvénient, laquelle choisir ? Et si l’on travaille sur le lâcher prise, cela est-il compatible avec la performance de l’entreprise ? Dans l’atelier et le chronomètre (1979) Benjamin Coriat a montré comment le respect des horaires, des métriques de performance est un formatage social pour l’organisation de tous. Aujourd’hui, la performance recherche de nouveaux formatages tout est à construire le choix des contenus, la transmission, la pratique, le ROI… c’est un chantier extraordinaire que de proposer un nouveau contrat social pour structurer les aventures collectives. 

La relation entre un Chief Hapiness Officer, qui cherche une légitimité sociale, et un responsable de formation qui cherche de nouvelles formes de formation peut avoir intérêt à croiser leurs pratiques, comme c’est le cas de tous les métiers qui se réinventent. C’est de la responsabilité de l’entreprise que d’inventer une réalité qui fasse sens, et de confronté cette réalité parfois au réel. C’est tout l’objet de la formation qui réalise des constructions sociales qui font réalité dans le monde que nous vivons et celui dans lequel nous voulons vivre. Quel bien-être choisir ? C’est tout le sens que l’on peut donner au bien-être, un être bien. La formation est un apprentissage socialisé, si l’apprentissage est naturel, la formation est une construction morale. L’homme bien, l’homme bon, nécessite de se poser la question : quel bonheur social voulons-nous construire ? Dans un monde qui se disrupte, où l’avenir est de moins en moins prévisible, la formation appartient aux militants, ceux qui militent pour des idées, dont certaines s’imposeront comme sociales. Quel sera notre homo beatus, notre homme heureux ? Et lorsque l’on aura défini cet homo beatus, le social sera homo festivus beatus, celle qui fête le bonheur…  

Fait à Paris, le 18 octobre 2021 

@StephaneDiebold 

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