13 millions de Français inadaptés pour le e-learning ?

par | 13 avril 2021 | Organisation, Pédagogie

La Société numérique vient de faire paraître un rapport sur l’analyse des comportements numériques des Français (https://societenumerique.gouv.fr/13-millions-de-francais-en-difficulte-avec-le-numerique/ ). Sa conclusion est alarmante : 13 millions de Français sont en “difficulté numérique”, soit près de 20 % de nos 67 millions de congénères. Qu’est-ce que cela veut dire pour le monde de la formation ? Les e-learnings, ne s’adressent-t-ils qu’aux 80 % restants ? Et que faire de ces 13 millions de personnes ? Seront-elles les sacrifiées de la révolution numérique ? Ces questions sont particulièrement d’actualité depuis 2020, avec le développement du tout numérique en formation. Alors, qu’en penser ? 

1, Commençons par le constat 

Le premier indicateur qui prime dans le numérique est d’avoir accès à un terminal. Faute de terminal, la formation numérique n’aurait pas de sens. Et on retient le taux d’équipement des individus. Le taux d’équipement des individus est de 77 % pour les smartphones (+ 2 points) dépassant ainsi celui des ordinateurs 76 % (- 2 points). C’est la révolution du mobile débuté en 2007 qui trouve son aboutissement dans l’usage des devices. Autrement dit, pour les trois-quarts des individus le e-learning est possible soit via l’ordinateur, soit via le mobile. Une remarque de fonds s’impose : le mobile learning n’a pas changé profondément, la pédagogie de la formation, il reste un e-learning mobile friendly  (https://affen.fr/pedagogie/pourquoi-personne-naime-le-e-learning/) .  On pourrait rajouter une remarque complémentaire sur la beattle filaire mobile : les chiffres datent de 2019, soit d’avant le confinement. Il est fort possible que le confinement change la donne sur la répartition entre les deux, eu égard à un surinvestissement dans des filaires plus puissants ainsi que dans des télévisions qui servent de deuxième écran. Mais la tendance mobile devrait s’inscrire dans le temps.  

Le rapport va plus loin que ce simple constat de moyennes, il existe des différences notables de taux d’équipement en fonction de l’âge de l’utilisateur. C’est l’idée assez intuitive que les jeunes sont plus connectés mobile que les anciens. Le taux d’équipement de smartphone est de 98 % pour les 18-24 ans alors qu’il n’est que de 44 % pour les plus de 70 ans. Les jeunes sont deux fois plus connectés que les anciens.  “Un jeune sans portable non mais allo, quoi…”. Il est vrai aussi que le smartphone est plus un indicateur de distinction sociale pour les jeunes que pour les anciens. Le syndrome de “l’IPhone dernière génération” touche plus les jeunes, là où les anciens sont plus fonctionnels.  D’ailleurs, pour ces derniers, il faudrait regarder de plus près, car le taux d’équipement peut être collaboratif. Le couple pourrait utiliser le même smartphone, ce qui doublerait le taux d’équipement et permettrait aux anciens de rattraper les jeunes qui ne sont pas en ménage.   

Qui sont ces 13 millions de personnes éloignées du numérique ? Si l’on suit l’étude, il y a deux déterminants. Le premier est l’absence d’intérêt. En 2017, 13 % de la population âgée de plus 18 ans ne se connecte jamais à Internet, soit 6,7 millions de nos concitoyens.  Et le seconde est l’absence de compétences, 7 millions de personnes se “sentent mal à l’aise dans leur utilisation d’Internet”. On arrive bien au fameux 13 millions de technopathes. Le nouveau monde sera numérique ou ne sera pas, cela veut-il dire que 13 millions de personnes seront à la marge du monde, hors du monde ? Est-ce compatible avec la notion de nation et de cohérence nationale ? 

2, Que faire des “moins habilles” ? 

La question est d’autant plus juste que si tout le monde est assez d’accord pour dire qu’il faille les former encore faut-il qu’ils le veuillent. Et là, le rapport est sans appel, il y a un frein à l’apprentissage. Les plus réfractaires sont les moins favorables à cet apprentissage. 57 % des non diplômés et 59 % des 70 ans et plus, ne se disent pas prêts à adopter ces nouvelles technologies. Et cela pose problème dans l’individualisation des formations. Si l’apprenant devient acteur de ses propres apprentissages et qu’il dit “non” alors il devient délicat d’imposer un “oui”. On est responsable où on ne l’est pas… Le pédagogue Célestin Freinet avait cette citation : “toute méthode est regrettable qui prétend faire boire un cheval qui n’a pas soif. Toute méthode est bonne qui ouvre l’appétit de savoir et aiguise le besoin puissant de travail”. Pour ces populations, il s’agit de leur “donner soif”. C’est le travail de marketing de la formation, que de faire naître l’envie. 

Que faire une fois que l’envie sera là ? Le rapport propose un accompagnement individuel et/ou collectif “dans les apprentissages numériques ainsi que dans la mise à jour régulière des connaissances”. Forte ambition pour former, mais aussi pour réactualiser ses connaissances, et cela, pour 13 millions de personnes. Aujourd’hui, la filière formation en France n’est pas câblé pour cela. D’où une effervescence qui agite l’offre pour proposer des solutions originales ou disruptives parfois. On peut citer WEEM qui se propose de placer des cabines acoustiques dans les hot spots pour toucher le plus de monde (https://weem.fr) ou d’autres comme KONEXIO qui proposent un ascenseur social numérique pour des technopathes (www.konexio.eu) … Toutes les idées sont bonnes, mais cela aura du mal à faire 13 millions dans un temps acceptable (temps d’ailleurs à définir).  

Aujourd’hui, 54 % des Français adultes déclarent avoir acquis leurs compétences numériques seuls. Cela tient tout à la fois à l’agilité des apprenants et à l’ergonomie des outils qui favorise l’autoapprentissage. L’expérience du confinement l’a montré, qui a fait une formation Zoom ? Il suffit de se lancer pour réussir, le fameux passage à l’acte. Les formations sont venues après les pratiques. La peur du passage est un frein important surtout pour un passage individuel, c’est tout l’enjeu social de la formation. C’est peut-être l’occasion de relier les apprenants pour développer l’apprendre seul ensemble. Le collectif est un bel outil pour “donner soif”. Et tout particulièrement dans la volonté de réactualisation permanente, la communauté apprenante peut être un bon territoire. Certains proposent un accompagnement hors du milieu professionnel (un tiers), d’autres des liens familiaux ou amical (un quart) ou d’autres le milieu professionnel, habitué à réaliser des formations (un quart). On avait fait de l’illettrisme une “grande cause nationale”, pourquoi ne pas faire de l’illettrisme numérique une autre grande cause nationale ? 

3, Que dire de plus pour la formation ? 

On peut être surpris de voir dans les indicateurs “l’accès aux services publics”, mais cela est lié à mission Action Publiques 2022 qui prévoyait la numérisation des services de l’Etat avec comme dead line 2022. 90 % des diplômés du supérieur ou des 25-39 ans ont recours à l’administration en ligne pour seulement 59 % des bas revenus et 30 % des non-diplômés. L’ex-défenseur des droits, a tenu à rappeler que « beaucoup de jeunes manient leur smartphone, utilisent les réseaux sociaux, mais si vous leur donnez un formulaire en ligne, ils sont incapables de leur remplir, car ils ne comprennent pas le langage administratif ». Ce qui est vrai, mais, il ne s’agit pas d’un problème numérique, mais d’un problème administratif. Et étrangement, les auteurs du rapport proposent de former les usagers. Pourquoi ne pas améliorer la relation administrative qui avec un peu d’ergonomie augmenterait leur accessibilité ?  Il s’agit de savoir qui est la viable d’’ajustement de l’autre. Autrement dit qui est au service de l’autre ? 

Le rapport étudie bien d’autres éléments discriminants. Il relève de forte différence entre le niveau de qualification de l’usager, son niveau de revenus et le fait qu’ils ne se sentent pas compétents à utiliser un ordinateur. 74 % des Français non-diplômés ne s’estiment pas compétents pour utiliser un ordinateur. 40 % des Français ayant des bas revenus ne s’estime pas compétent non plus. Deux remarques. La première est qu’il s’agit d’enquêtes déclaratives, il y a peut-être une relation entre l’estime de soi numérique et les gens faiblement qualifiés. Et la seconde remarque est d’ordre causal, s’il existe bien une différence entre la faiblesse du revenu, des diplômes et les usages numériques, on pourrait prendre le problème à l’envers et augmente les rémunérations et/ou les diplômes pour augmenter les usages numériques. C’est une question de focal, soit l’on est paramétrique soit l’on est systémique. 

Le numérique n’est pas technique, il est social. Il ne s’agit pas d’apprendre pour valider une cartographie de compétences, mais d’avoir une ambition, une histoire qui mobilise l’ensemble des acteurs. Si l’horizon est bien le numérique, reste à savoir le numérique pour quoi faire ? En quoi le numérique est un plus extraordinaire ? C’est le roman numérique qui va permettre à chacun de trouver sa place hors d’une injonction stérile “sois numérique”. Edgar MORIN parlait de “communauté de destin” une mobilisation qui favorisera le maillage, la fraternité numérique… au fond, les interactions du 2.0. Ce qui manque dans ce rapport, c’est de réinventer ce maillage 2.0… c’est un comble pour un rapport sur le numérique. 

Fait à Paris, version originale 01 avril 2015, dernière modification 13 avril 2021 publié sur MyRHline

@StephaneDiebold

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