La formation professionnelle au défi de la 5G

par | 8 mars 2021 | Pédagogie, Technologie

Le Président de l’AFFEN répond aux questions d’Inffo formation du 1-14 décembre 2020, numéro 999 (https://boutique.centre-inffo.fr/produit/inffo-formation-n999-version-pdf/), faisant suite à un article (https://affen.fr/pedagogie/quest-ce-que-la-5g-va-changer-en-formation/) pausait le questionnement sur la relation entre une technologie, la 5G, et une pédagogie. Trois questions pour se mettre en perspective de cette technologie : 

1-Quelles conséquences la 5G peut-elle avoir sur la formation professionnelle ? 

Le 01 octobre 2020, l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), l’autorité de régulation des télécom, a attribué les fréquences de la 5G aux 4 opérateurs historiques : Free, Bouygues, Orange et SFR. Cela va s’opérer en deux temps. Le premier temps, 2020, l’ARCEP va attribuer des fréquences de la bande de 3,4 à 3,8 Gigahertz. La 5G NSA sera assez proche d’une 4G, mais 10 fois plus rapide. La vraie rupture de la 5G se fera dans un second temps en 2023 avec l’attribution de bandes de 26 Gigahertz. Qu’est-ce qu’une fréquence ? Une fréquence est comme une autoroute. Plus il y a de voies, plus les voitures peuvent circuler en grands nombres. En 2020, l’ARCEP a mis à disposition 11 voies de 10 gigahertz chacune. Alors qu’en 2023, avec les 26 gigahertz, on aura 40 voies de 10 gigahertz disponibles. Les opérateurs vont pouvoir faire circuler beaucoup plus de données, ce qui est particulièrement vrai en heures de pointe. Plus on a de voies, plus on fait passer de data. La 5G est un investissement en infrastructure qui dépasse largement la formation professionnelle mais qui aura des conséquences sur cette dernière.    

2021 devrait être l’année de la 5G, selon le Cabinet Gartner. La 5G peut commencer son aventure… Même si le démarrage, comme tout démarrage est parfois délicat. Une étude comparée des 4 opérateurs sur la ville de Nice, première ville de France en matière de 5G, constatait à la date du 24 février 2021 (https://www.01net.com/actualites/grand-test-de-la-5g-on-a-compare-les-reseaux-d-orange-sfr-bouygues-et-free-2035843.html ) que la mise en œuvre n’est pas sans poser quelques problèmes, contrairement à ce qui s’était passé lors de la transition de la 3G vers la 4G. Il existe un temps de latence… le journaliste remarque même que pour certains opérateurs, il est parfois plus rapide de télécharger en 4G plutôt qu’en 5G. Le temps devrait faire son œuvre.  

La formation va pouvoir transmettre.  Marshall McLuhan disait en 1964, que le media est le message, autrement dit que le media permet de changer d’échelle pour l’individu et pour les sociétés. Reste donc à faire société avec cette nouvelle technologie. Connaître les usages d’un produit qui n’est pas encore disponible est de l’ordre du domaine de la prémonition. Si l’on regarde les générations précédentes, qui aurait pu prévoir lors du lancement de la 4G, en 2012, 10 fois plus rapide que la 3G, assurerait l’émergence d’usage comme Netflix, Uber, Facebook, … même si leur lancement avait été antérieur leur usage n’a été possible que grâce la 4G. Autrement dit, on lance un potentiel dont on ne connaît pas encore les usages. De quoi peuvent être fait les nouvelles pratiques ? 

Si l’on suit l’Union Internationale des Télécommunications, institution des Nations Unies, le chargement d’un film HD, haute définition, prend 6 minutes avec la 4G et ne prendra que quelques secondes avec la 5G. Beaucoup plus de support pourront être téléchargé dans le monde. Mais s’il est possible de télécharger un film en quelques secondes, il faut toujours 1 heure et demi environ pour le regarder. Les usages ne seront plus limités par les téléchargements, mais par “le temps de cerveau disponible”. Tout devenant plus ou moins à disposition, reste le choix et l’usage… 

Avec la 5G la latence sera 10 fois plus faible que précédemment. La latence étant le temps de réception entre l’envoi et la réception d’une information. Les nouvelles capacités de latence permettent d’envisager de nouvelles expériences pour les hommes comme pour les objets. Elle permet la prise en main à distance “en temps réel”. La première opération chirurgicale à distance a été effectué en 2001 par le CHU de Strasbourg où le patient a subi une ablation de la vésicule biliaire par un chirurgien qui se trouvait à New York. La démocratisation va pouvoir se faire, il est fort à parier que les premières expériences seraient le e-sport ou le gaming, tous peuvent jouer ensemble en même temps. La 5G va déployer encore plus le Saas, Software as a service. 

La 5G va permettre de connecter les objets entre eux sans l’intermédiation de l’homme. C’est l’internet des objets, l’IoT. Aujourd’hui, il y a 8 milliards d’objets connectés dans le monde, c’est à dire plus que le nombre d’habitants. Et d’ici à 2024, le chiffre devrait atteindre 14 milliards d’objets. L’usage la plus populaire sera la voiture autonome de niveau 5. C’est ce que Joel de Rosnay constatait l’homme rentre dans l’ordinateur, au lieu d’être en face de la machine, c’est son environnement qui entre en interaction avec lui. Cela ouvre des perspectives extraordinaires. 

Avec une remarque, tout reste à faire… y compris les modèles économiques. 

2-Quels nouveaux usagers seront-ils possibles ? La 5G va-t-elle révolutionner les usages ? 

Comme le reste, nous le saurons a posteriori. Mais cela n’empêche en rien d’imaginer dès aujourd’hui un devenir possible. Si l’on reprend la massification de la diffusion, la réactivité et l’IoT de nombreux usages pourraient être possible. 

Le premier type d’usage pédagogique pourrait être ce que Cisco appelle la “vidéoification” de la formation. Comme la bande passante permet des gros débits, la vidéo va pouvoir se généraliser dans les usages pour atteindre, toujours selon Cisco, entre 75 % et 80 % du trafic en 2023. Les innovations en bande passante et en qualité de la compression et de la décompression permettent tous les espoirs. On a pu que l’Université de Londres avait réalisé cette performance, qui n’est pas de la 5G, mais qui est une bonne base line, de télécharger tout le contenu de Netflix en moins d’une seconde. Qui dit mieux ? Pourquoi expliquer une situation si on peut la filmer ? Pourquoi filmer soit même si l’apprenant peut le faire, c’est tout le sens du Learner Generated Content (LGC)… une nouvelle pédagogie ainsi qu’une nouvelle animation iconographique se construit sous nos yeux.  

La seconde grande innovation devrait toucher les pédagogies immersives, les XR, que ce soit la réalité virtuelle ou la réalité augmentée qui deviennent mobile, fini d’apprendre seul dans sa chambre ou son bureau avec le fameux one to one. Les expériences existent déjà reste à les penser mobile. Mais peut-on aller plus loin. Serait-il possible de réinventer les conférences, les cours, les ateliers, les tutorats, le coaching, les AFEST de demain ? Facebook, après le Vive de HTC, lance Oculus Rooms une véritable relation socialisée 3D. Oculus Rooms sera-t-il le Zoom de demain ? 

La troisième piste que la 5G va favoriser la massification des datas surtout avec l’explosion des IoT. Cette massification nécessite une intelligence artificielle pour a minima traiter l’information. A minima cela permettra une adaptive learning avec des enrichissements comme l’expérience apprenante “sans couture”, il peut commencer sur l’écran du bureau poursuive dans ses déplacements et terminer chez lui, à son rythme. Mais c’est surtout le fait de construire une nouvelle relation avec son environnement. Si les objets communiquent sans les hommes, ils peuvent comprendre les besoins avant qu’ils voient le jour, la formation pourrait donc devenir non pas une réponse à un besoin, mais une réponse à une envie qui n’est pas encore là, voir même changer les objets pour qu’ils ne posent plus de problèmes.  

3-Faut-il se préparer dès maintenant ou attendre ?  

La 5G réinterroge la politique technologique de notre pays. Certains en appelle à l’Etat stratège, là où d’autre en appelle au peuple. Faut-il, ou non, s’engager dans la 5G ? J’aimerais rappeler 3 points pour nourrir le débat. 

 La 5G est un étendard plus qu’une réalité technologique. La 5G n’est pas une révolution, mais une évolution de toutes les générations passées, c’est le fruit d’évolution successive comme les autres générations. La 4G a connu trois sous-générations, tout comme la 3G en a connu 4.  À partir d’un certain nombre d’évolutions, pour des raisons plus commerciales que technologiques, les institutions définissent une nouvelle génération, comme le passage de la 4G à la 5G. Il s’agit plus d’un choix de communication voir de commercialisation. Focaliser sur la 5G est une erreur, il faut raisonner en trajectoire. Cela ne remet en rien en cause le fait que la société veuille réintroduire du politique dans les choix qui la concerne, en évitant de laisser aux seuls professionnels de la profession le soin de définir leur destin. Reste au politique à faire ses choix. C’est une évolution sociétale. Le passage de la 3G à la 4G n’a suscité que très peu de mouvement. La société réinterroge légitimement la technologie. Il est assez malsain de constater le mépris des sachants envers les apprenants. La contestation peut-être aussi prise comme un appel à explication, elle est le fruit d’un changement sociétal de la remise en cause des experts de droit au profit de l’apprenant-roi, le basculement du 20ème siècle vers le 21ème siècle. Ce qu’on retrouve dans bien d’autres crises : les élites contre le peuple.  

Le second point, qui ne réduit en rien le premier, est que nous sommes déjà inondés d’ondes magnétiques sans que cela ne se traduise par un quelconque dysfonctionnement, particulièrement dans les zones à forte densité. Nous sommes entourés d’ondes depuis des décennies sans qu’aucune étude ne prouve leur nocivité. Nous avons par exemple le Wifi, la TNT ou encore le Bluetooth avec des ondes importantes sans que cela nuise scientifiquement. D’ailleurs, la 5G avec des antennes directionnelles serait moins nuisible, si nuisance il y avait, que les ondes existantes. Faut-il supprimer le Wifi et le Bluetooth ? Le motif de précaution est important et nécessiterait une étude scientifique validée socialement.   

Le troisième point est que La notion de trajectoire technologique est une notion qui doit être interrogée en perspective sans savoir d’ailleurs les usages possibles et les retours sur investissement qui se feront a posteriori. Qui pouvait dire lors du passage de la 1G à la 2G les usages ? Personne, pas plus que pour les suivantes, alors demander de prévoir l’imprévisible est toujours délicat.  La France a choisi le mobile contre le filaire, c’est assumé et assez malin. Aujourd’hui, elle choisit la 5G contre la 4G, c’est comparativement assez malin, car la 4G actuelle devrait être saturée dès 2022 et qu’il faut bien soit réduire les usages (qui progressent de 30 % par an) soit de se doter de nouvel équipement. Toute chose étant égale par ailleurs, il est malin de choisir l’autoroute contre la route vu les problèmes de circulation.  Mais, les autoroutes ont créé des problèmes dans l’écosystème existant, comme les routes à leur époque. Il s’agit bien d’un choix de société. 

Si l’on regarde du point de vue de la stricte formation, on peut noter que l’écosystème français est modeste, si l’on manie l’art de la litote, comparativement aux écosystèmes internationaux. Nous n’avons pas pris le virage du numérique, tant sur les créations de contenu, sur les créations de plate-forme, sur les outils de diffusion que sur la création de produits de formation scalables. Cela ne signifie pas qu’il faille s’engager dans toutes les technologies existantes, mais au moins de ne pas changer de technologie tant qu’une trajectoire alternative ne soit pas proposée. Le mobile est une liberté apprenante, mais toutes les libertés ne sont pas socialement acceptables. La 5G pose la question de la technologie, là où la formation pose la question des usages. Et c’est l’usage qui fait la technologie, ou du moins qui fait son évolution. La question peut être posée différemment : quelle place la France veut-elle avoir dans la formation professionnelle mondiale, surtout avec les attentes autour de la Francophonie. Il ne s’agit pas tant de moratoire que d’émulation des usages pour gagner le pari de doter la formation mondiale d’un regard français et européen. L’enjeu est de faire société avec la technologie, car si c’est bien l’état qui attribue les infrastructures, ce ne sera pas lui qui fera la société apprenante mobile. Il s’agit bien d’une décision politique, au sens noble du terme, faire la société apprenante de demain avec ceux qui la font… car au final on a toujours la technologie qu’on mérite. 

Fait à Paris, le 21 septembre 2020, publié par Centre inffo, dernière modification 08 mars 2021 

@StephaneDiebold 

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