La Tiktokisation de la formation

par | 21 juin 2022 | Pédagogie, Technologie

Tiktok a été la révélation les réseaux sociaux en 2016… après des noms prestigieux comme Linkedin (2002), Facebook (2004), Instagram (2010). Tiktok fait aujourd’hui partie du petit club fermé des plus 1 milliard d’utilisateurs actifs. C’est une autre façon de consommer du contenu. La formation est en interrogation dans sa transmission des contenus. Alors, qu’est-ce que Tiktok peut bien apprendre au monde de la formation en entreprise face à l’infobésité des contenus ?  Surtout lorsque l’on sait que l’âge moyen des tiktokeurs est le même que l’âge moyen d’entrer des jeunes dans l’entreprise. Les entreprises qui veulent convaincre des jeunes talents, doivent leur parler leur langage. Alors est-il temps que la formation parle Tiktok ? Et surtout, que veut dire le fait de parler Tiktok ? Qu’est-ce que la tiktokisation de la formation ?

1,  Tiktok est mobile first

Tiktok est vidéo first sur mobile, avec un format original. Il privilégie la vidéo 9/16 ème, c’est-à-dire la vidéo verticale, celle qui utilise tout l’écran du smartphone, à la différence des vidéos carrés d’Instagram ou horizontal de Youtube. Toute la place est donnée à l’image. Ecrire sur une vidéo a un effet de mémorisation important en mettant en avant les messages clé à retenir. Une image permet une mémorisation 5 fois plus importante qu’un texte, alors une vidéo, des effets et du texte, la mémorisation est encore accrue.

La force de la vidéo Tiktok tient aussi à la durée des vidéos. Dès le début Tiktok a lancé le format de 15 secondes, obligeant les concurrents à faire de même. La force des formats courts ou snack content, c’est que cela permet le zapping et la sérendipité. Sur des formats courts et/ou en accéléré, on peut se permettre de picorer des contenus. La consommation en est accrue. Depuis 2020, on peut remarquer que Tiktok change de format s’autorisant des formats de vidéo de 10 minutes. Cela concurrence Youtube, mais perd son caractère zapping…. Voilà un usage à surveiller.

On aurait pu parler du scrolling de Tiktok, cette façon si particulière de faire défiler du haut vers le bas et qui propose une expérience apprenante originale. Tiktok a su créer un univers spécifique. Cette ergonomie et ce Learner eXperience design (LX design) ont déjà séduit le monde de la formation. La formation est déjà sur Tiktok. Si l’on prend l’exemple, de tutoriels sur Excel (https://www.tiktok.com/@tutosurexcel?lang=fr) 521 K abonnés, sans beaucoup d’efforts sur les effets, mais avec un certain succès.  D’autant que le face caméra, typique de Tiktok s’adapte bien au travail du formateur et que des fonctions comme « duo », le formateur peut faire une vidéo à partir d’une autre vidéo qu’il commente sont particulièrement intéressante dans les debriefs.  Reste à construire une ligne iconographique de la formation qui soit en cohérence avec la ligne pédagogique.

2, Tiktok est une démocratisation de la création de contenu

Le changement de verbatim semble anodin alors qu’en fait, il est stratégique. Après avoir comme les autres plateformes privilégiées les influenceurs (nano, micro, maro-influenceurs), Tiktok a changé ses influenceurs en créateurs de contenu. Ce n’est plus l’impact, mais la production qui est mise en avant, le content first. La force de Tiktok est de tout miser sur la démocratisation des contenus, « tous content producer » et content manager. Il s’agit de créer des contenus impactants pour capter le temps de cerveau disponible, la denrée rare du 21ème siècle. Si l’attention ne fait pas la formation, la non-attention fait la non-formation. C’est l’étape première pour assurer la digestion du nugget learning ou snack content.

La « street video » ou « vidéo à l’arrache » est la seconde composante de cette démocratisation. L’idée est assez simple accepter les imperfections des amateurs, étymologiquement, ceux qui aiment la matière. Une vidéo trop propre met en distance l’apprenant qui est au spectacle, alors qu’avec une street vidéo, il assiste en direct avec un contenu brut. C’est un outil important de la pairagogie. Ce qui rend le contenu plus « authentique » et plus « crédible » pour plus des deux tiers des consommateurs. Le formateur et certains pairs peuvent devenir des key opinion learder. C’est une nouvelle politique des talents qui ouvre la reconnaissance sociale. Cette démocratisation réduit les barrières à l’entrée dans le groupe et favorise l’engagement. L’ergonomie de la reconnaissance et de l’engagement doit être analysée et piloté pour construire les bonnes pratiques de demain.

C’est la troisième composante de la démocratisation, l’engagement. C’est l’ADN de Tiktok. Les petits formats favorisent la réaction, il est plus facile de réagir à une position de 30 secondes qu’à un exposé d’une heure qui devient massif et dont il faut avoir les codes pour réagir. Une stratégie d’inclusion favorise les petits formats impactant. Tiktok s’est fait remarquer par ses challenges qui mobilisent ses usagers autour d’un défi. La formation connaît déjà ce type d’épreuve avec le passage d’examen. Là, il s’agirait de passage d’examen de masse avec des évaluations de connaissance, mais aussi de compétences de masse, une nouvelle ligne pédagogique qui permet la relation apprenante.

3, La tiktagogie, comme outil de réinvention

La pédagogie est le chemin pour atteindre les objectifs de connaissances et de compétences prédéfinis. Tiktok avec sa politique de granularisation fine des contenus, réinterroge l’ordonnancement des grains. Il ne s’agit pas seulement de tirer le fil pour dérouler des contenus, encore faut-il avoir une pédagogie affective qui utilise les émotions pour surprendre l’apprenant. D’ailleurs, Tiktok a un algorithme dont le but est de surprendre l’usager dans ce qu’il n’a pas demandé, mais qui pourrait correspondre à ses attentes… une sérendipité apprenante. La pédagogie affective repose sur le désir et la surprise. C’est par exemple la logique des séries, il y a des routines apprenantes, mais chaque nouvelle saison est un événement qui la rend extraordinaire. La formation devient avénementielle et événementielle.

La tiktagogie est bien adapté aux communautés apprenantes où l’engagement est une clé de succès. Christian Salmon parlent de contenu clash pour susciter la réaction puis le dialogue et le fait d’écouter l’histoire apprenante, capter l’attention pour dérouler son fil. Reste à construire une ligne éditoriale qui correspond à la culture de chaque entreprise et surtout au taux d’engagement des apprenants. On oppose souvent snack content et slow content, Tiktok fait des lives de plus d’une heure, mais en amont, il y  a des teasers et en aval de la synthèse graphique pour sortir l’essentiel du message. Le taux de répétition fait la mémorisation (loi de Jost).

Enfin la tiktagogie est centré sur l’apprenant. C’est le fameux Learner Generated Content (LGC) l’apprenant crée son propre contenu texte, audio, image, vidéo… et à partir de ce contenu, l’animateur va construire sa pédagogie pour atteindre les objectifs prédéfinis. Ne connaissant pas le point de départ de l’animation, la pédagogie devient agile et sa mécanique est la pairagogie, faire en sorte que le groupe progresse de pair à pair. L’apprentissage est plus efficient, car soit l’apprenant est acteur de ses propres contenus soit c’est un pair qui anime, et un pair est plus facile à assimiler qu’un expert, parfois trop éloigné des réalités du terrain. Le compagnonnage devient une pratique de la tiktagogie.


Tiktok pose de très bonnes questions… reste à construire les réponses. Ceux qui rejettent la question se privent d’une analyse des signaux faibles de l’évolution de la formation. Et ceux qui condamnent a priori, c’est souvent qu’ils confondent cette nouvelle grammaire de la pédagogie avec l’histoire qu’elle doit porter. Une grammaire n’a jamais fait une histoire. Autrement dit, la vraie question que doivent se poser les responsables de formation, n’est pas tant l’outil que l’ambition qui doit la mouvoir. La critique porte souvent en germe une absence d’ambition et de courage à se lancer dans un monde qu’il nous faudra de toute façon explorer…

Et si en fait Tiktok était un appel à la création d’un nouvel idéal apprenant ?

Fait à Paris, le 21 juin 2022

@StephaneDiebold

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