Pourquoi faut-il érotiser la formation ?

par | 21 août 2020 | Marketing, Pédagogie

La formation est un lieu de raison, et comme le disait Aristote, “l’homme est un animal raisonnable”… alors pourquoi faudrait-il érotiser la formation ? Qu’est-ce que le désir, la passion, la libido viennent faire en formation ? Ne s’agit-il pas plutôt une façon d’introduire la pornographie dans un monde de sagesse ? Que faut-il penser de ce mouvement qui semble faire tant d’adeptes ? Faut-il prôner l’abstinence totale ? Et sinon, jusqu’où faut-il aller pour ne pas trop en montrer ? 

1, L’apprenant est un homo eroticus 

Le sociologue, Michel Maffesoli avait écrit un très beau livre en 2012 sur l’“Homo eroticus”. Qu’est-ce qu’un homo eroticus ? C’est un homme de raison et d’émotion. L’homme rationaliste Saint Simoniens a besoin de renouer avec son affect pour retrouver un sens. L’homo eroticus n’est pas un jouisseur onanique, il cherche au contraire à partager ses affects pour constituer un commun. Il s’agit pour l’auteur d’un “moment de civilisation”, d’un nouveau contrat social qui se noue sous nos yeux. L’homo sapiens devient eroticus ou pour reprendre la terminologie de Philippe Muray, homo festivus. Il est à la recherche de lien, de communions émotionnelles pour fêter la fête. L’homo eroticus serait d’ailleurs plus un homo festivus festivus qu’un simple homo festivus. De nouvelles émotions socialisées émergent… 

Et la formation dans tout cela ? Elle est l’ombre d’une société… autant que le fruit de la société qu’elle entend façonner. L’Organisation Scientifique de la Formation qui a dominé tout le 20ème siècle, fondé sur la rationalisation des process, ne permet plus un bon fonctionnement de la chose formative… il faut érotiser la raison. Apprendre à faire la fête pour donner de la saveur au savoir… c’est toute la pédagogie qui est réinterroger… faire des communions apprenante pour apprendre seul ensemble… 

Comment érotiser la formation ? Il existe deux canaux complémentaires et différents, la pédagogie et le content. 

 2, Érotiser la pédagogie  

La pédagogie, c’est pour un objectif déterminé de connaissances et/ou de compétences, l’ordonnancement de la transmission pour assurer l’acquisition des savoirs. Il s’agit de créer des moments de communion partagées entre apprenants pour faire de la formation une aventure humaine partagée. Il existe autant de pédagogie qu’il existe de pédagogues, … Tous les chemins sont bons pour peu qu’ils mènent aux objectifs. Comment érotiser la pédagogie ?  

Le désir est étymologiquement l’astre que l’on attend et qui n’est pas encore arrivé, c’est la promesse d’un devenir qui se vient. L’art de la séduction est cet équilibre entre tension et plaisir. C’est faire la fête à la fête pour susciter la motivation pour atteindre la promesse d’un plaisir qui nous est proposé. Sans revenir sur notre article sur “le marketing est ton ami” (https://affen.fr/pedagogie/responsable-de-formation-le-marketing-est-ton-ami/), la pédagogie doit être une promesse à un plaisir d’apprendre ensemble. C’est l’écriture d’une histoire nouvelle. 

Regardons le cheminement de Candy Crush Saga, lancé en 2012 et toujours en activité. On pourrait prendre Tetris qui présente plus de littérature mais son lancement date de 1984. Candy Crush Saga est un bon exemple d’ordonnancement ludique. Le gaming au service de la pédagogie. La segmentation en étape permet à chaque joueur de gagner des épreuves pour progresser à l’étape supérieure. Il est dit que l’algorithme aide les personnes qui après un certain nombre d’essais n’arrivent pas à franchir l’étape. L’addiction vient de l’ergonomie du jeu, de la répétition et du sentiment de progression. Et l’on devient expert à l’insu de son plein gré, simplement par le plaisir de l’épreuve, step by step.  

Erotiser, revient à rendre le savoir accessible, à favoriser une légèreté de l’épreuve, une tension et surtout la promesse d’un plaisir à venir. Ce qui est important n’est pas tant l’objectif que la tension vers cet objectif. L’écriture de l’histoire est essentielle pour surprendre, rassurer et accompagner l’apprenant dans une harmonie pédagogique. La différence entre l’Organisation Scientifique de la Formation (OSF) et l’érotisation est celle qui existe entre la pornographie qui montre tout, comme la rationalité rationnalisante, et la poésie du sensible qui fait qu’au final l’apprenant prend plus de plaisir et donc apprend plus, et comme le montre les neurosciences, et plus longtemps.  

Apprendre est un prétexte au plaisir. 

 
3, Érotiser le contenu 

Si la pédagogie est l’art de transmettre, le travail de création de contenu laisse parfois à désirer. C’est particulièrement vrai pour les formations obligatoires, au sens de la loi du 5 septembre 2018, dont le contenu est souvent fossile pour des besoins de standardisations. L’art de la pédagogie devient alors l’art de réenchanter le pénible. L’érotisation du contenu concerne principalement les formations non-obligatoires. 

C’est la fameuse opposition entre Socrate et les sophistes. Il ne s’agit pas tant que transmettre un savoir, que de transmettre un savoir utile. En période de disruption, il est difficile de savoir quels seront les métiers d’avenir. Nombre d’experts reconnaissent que le métier d’expert-comptable a vocation à disparaître au profit d’une intelligence artificielle plus efficace et beaucoup moins chère. Quel sera l’avenir de la profession ? Consultant ? Pourquoi pas… Et quel manager voulons-nous dans nos entreprises pour les 3 à 5 ans à venir ? Quel vendeur quand la relation client se réinvente sur ses fondamentaux ? La difficulté première de l’érotisation est d’avoir le courage de proposer une promesse, et particulièrement une promesse qui donne envie. 

Il faut savoir donner de la saveur au savoir, faire rêver l’apprenant pour légitimer l’effort de son engagement. “Apprenons, apprenons, il en restera toujours quelque chose” n’est pas un slogan acceptable. Car il est déceptif et favorise le sentiment de déclassement au sein des entreprises. Il ne s’agit pas que d’apprendre comme le propose le capital humain dans une fonction d’avantage coût, qui rationalise l’engagement, mais l’organisation d’une communion apprenante autour de savoirs choisis. C’est ce que l’on appelle la contagion émotionnelle, avoir des animateurs dans l’entreprise qui donne l’envie. Même sur des choix improbables, c’est le cas des startups. L’histoire est cohérente, mais c’est surtout l’aventure collective qui fait la différence. Le fondateur est l’animateur de l’envie… même si l’espérance mathématique du ROI est modeste, c’est le ROE qui fait l’engagement.  

Apprendre, c’est le bonheur de voir dans le regard de l’autre, toute la reconnaissance et la complicité de l’effort consenti. 

Comment conclure ? La formation connaît, une situation d’infobésité, une surcharge d’information rationnelle, pour reprendre le mot inventé par David Shenk en 1996. Ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup d’informations possibles qu’il faut en consommer en grandes quantités. Il est nécessaire en préalable d’apprendre à veiller et à trier pour choisir la bonne formation. Le neuroscientifique, Antonio Damasio, a montré que pour l’homme, l’émotion était une façon de trier plus rapidement les informations…  Serait-il possible alors de faire un parallèle avec les organisations ? L’érotisation serait l’art de construire une dynamique émotionnelle partagée. L’esthétisation de la formation est un processus particulièrement intéressant pour la mobilisation des collaborateurs autour d’une stratégie commune. Rappelons qu’émotion et motivation ont une racine commune mettre en œuvre.  

Et si l’érotisation était finalement la nouvelle façon d’avoir du plaisir à agir ensemble ? 

Fait à Paris, pour sa version originale, le 04 avril 2014, publiée par MyRHline, dernière modification 21 août 2020 

@StephaneDiebold 

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