Faut-il développer le tracking des apprenants ?

par | 15 juin 2020 | Juridique, Marketing, Organisation, Technologie

Le “tracking”, en français le pistage ou le suivi, est une modalité d’enregistrement et d’analyse des comportements de l’apprenant. Avec le développement du numérique dans la formation, la question du profilage de l’apprenant reprend une actualité particulière : n’est-il pas temps de connaître les apprenants, de sortir des formations en blind test ? Y a-t-il des risques à tracker les apprenants ? Des avantages ? La data, sera-t-elle “l’or noir” des apprenants ? 

La France a une histoire particulière avec la data… on peut rappeler que la CNIL, la Commission Nationale Informatique et Liberté, a été le premier gendarme du net créé dans le monde, en 1978. La CNIL a partiellement servi de base à la RGPD, Règlementation Générale sur la Protection des Données, gendarme européen du net, en 2018… 40 ans après la CNIL. L’idée est simple : en favorisant la transparence des données, l’état développe la confiance des usagers dans la gestion des données. La loi pose un cadre, une “donnée personnelle” est “toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable”. Le RGPD impose que le consentement des apprenants soit libre, spécifique, éclairé et univoque. Les conditions applicables au consentement sont définies aux articles 4 et 7 du Règlement. Le tracking est possible tant qu’il y a consentement explicite. 

1, Le tracking, peut-il être un outil pour connaître les apprenants ? 

Nous sommes à l’air des cookies, ce petit fichier déposé dans nos navigateurs et qui permet de suivre nos comportements de navigation. L’historique de notre navigation permet une meilleure qualité d’usage du navigateur. On retrouve, par exemple, les sessions qu’on avait ouvertes la fois précédente, ou le site tient compte de nos préférences passées pour pousser du contenu. La durée de vie d’un cookie est de 30 jours renouvelable, chaque fois que l’on réactive le cookie. 

Durant sa durée de vie, le cookie est gérer par une plate-forme appelée DMP, Data Manager Plate-forme. L’agrégation de cookies définit des “bassins d’audience” qui les regroupent par similarité comme les jeunes mères, les gamers, … Ces bassins d’audiences peuvent être localisé. C’est là où le modèle s’économise. La plate-forme met aux enchères les bassins d’emplois. Avec une remarque dans le processus, les cookies ne permettent pas l’identification de l’individu même si on pourrait retrouver l’adresse IP qui selon la CNIL est considéré comme un élément des données personnelles. Les cookies sont très utiles pour comprendre les comportements des individus. 

Les responsables de formation ne connaissent pas le comportement des apprenants. L’usage des cookies pourrait être une très bonne pratique pour proposer la meilleure formation, la meilleure pédagogie et la meilleure animation en fonction de chacun. Un véritable outil marketing d’optimisation des pratiques de formation. 

 2, Le tracking, peut-il être une avancée sociale ? 

Le philosophe Gaspard Koenig a proposé une façon de penser intéressante pour l’analyse des datas. Pourquoi ne pas donner à chacun la propriété de ses propres données, un patrimoine numérique ? Chacun possède un capital de soi-même… capital qui peut ouvrir droit à monétisation. Il s’inspire de la théorie des droits de propriété qui ont valu à Douglass North un prix Nobel en économie en 1993. Comme au néolithique, à la renaissance, à la révolution industrielle, c’est la création de droits de propriété nouveaux qui a permis le développement économique… pourquoi pas cette fois-ci ? 

L’idée est assez simple, le propriétaire de la donnée peut la vendre. Un bel exemple a vu le jour en janvier 2020 avec une startup TADATA qui propose de rémunérer les jeunes de 15 à 25 ans à hauteur de 5 à 30 € pour des données utilisées… le modèle un peu rudimentaire pourrait se développer grâce aux plateformes PMD. L’asymétrie de ce marché émergeant pourrait être compenser par une restructuration des petites propriétaires de datas qui pourraient se regrouper autour de syndicats ou de coopératives pour rééquilibrer les rapports de force. Le droit pourrait être la base d’une nouvelle économie numérique. 

Des datas contre de la formation. Les écosystèmes se mettent en place, si l’on regarde LinkedIn. Il propose une évaluation des compétences de chacun, permet à tous de développer son professional branding et en cas de manques, il propose des formations qu’il valorisera par son algorithme… au prix de tout pour 29 € avec un mois gratuit. D’autres deals sociaux pourraient voir le jour, comme des formations gratuites contre de la data… on l’a bien fait pour les réseaux sociaux, pourquoi pas pour les formations ? 

 3, Le tracking, est-il LA solution ? 

Le tracking n’est utilisable que pour ce que l’on peut tracker. Ce tautologisme semble une évidence, mais pas que… 

Deux informations, 77 % des Français possèdent des smartphones et 76 % des ordinateurs personnels (chiffre 2019 donc avant le confinement). Qu’en dire ? C’est que 23 % ou 24 % des Français n’ont pas ses devices, près d’1 sur 4. C’est ce que la littérature appelle “la fracture numérique”, ceux qui ne peuvent pas être tracker faute d’outils de trackage. Cela conduit à deux remarques : Il faut réfléchir socialement à cette situation, on peut imaginer que ceux qui n’investisse pas dans les devices sont ceux qui ont le moins de moyens et peut être le plus besoin de formation ; et, en second point, il ne faut pas confondre l’arbre et la forêt, 24 % ne doivent pas empêcher les 75 % à profiter de l’avantage du tracking. 

Comment conclure ?  

Le tracking offre un nouveau regard sur l’évaluation de la formation et le fameux Return On Investment (ROI) qui est automatiquement généré avec une efficacité qui n’a rien à voir avec la situation actuelle… un gap analytique qui demandera davantage au responsable de formation d’être un data scientist, qui analyse la donnée pour connaître l’apprenant et évaluer l’impact de la proposition formative qui lui est faite…. comme quoi le tracking n’est peut-être pas la solution mais au moins c’est la bonne question. 

Stéphane Diebold, Paris le 15 juin 2020

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