CPF, quel avenir ?

par | 19 mars 2024 | Économie, Juridique

« Le CPF est attaqué », « Il en est finie de la gratuité », « C’est une remise en cause d’une politique gouvernementale », « La fin d’un modèle »… autant de titres qui permettent d’agiter le monde de la formation professionnelle. Le CPF est né de la loi de sécurisation du 11 janvier 2013, réformé par la loi du 05 septembre 2018 pour créer un CPF 2.0 qui introduit la monétisation du CPF 1.0 et la plateforme MonCompteFormation : permettre aux apprenants de gagner en liberté tout au long de sa vie. 11 ans après ou 6 ans suivant les versions, il est possible de créer un bilan de cette politique. Que faut-il en penser au moment où des modifications sont envisagées ? Quels sont les amendements et plus largement où en est-on de cette politique ? S’agit-il d’un succès ou d’un échec pour la stratégie de formation globale de la formation professionnelle en France ? Prenons un peu de recul pour voir différemment.

1, « Le CPF est un succès »

Le CPF est un succès compte tenu du volume des participants, avec un pic de près de 2 millions en 2021 (1 982 900), plus de 1,8 millions en 2022 et 1,25 millions en 2023 selon la CDC. Soit il s’agit de regarder la marge avec une perte de plus de 700 000 participants en 2 ans, qu’il faut interroger, soit on regarde la moyenne avec plus 1,5 millions, c’est énorme, surtout si on le compare aux autres dispositifs, le CEP qui est un succès, tourne autour de 100 000 participants à l’année. Ce succès est corroboré par le nombre de comptes ouverts, la Caisse des Dépôts qui les gèrent parlent de 39,8 millions de comptes ouverts, outre le montant extraordinaire, on peut s’interroger sur ce chiffre pour une population active, au sens du BIT, de 30 millions. Cela fait un différentiel de près de 10 millions de comptes que les mise à la retraite partielle ne saurait expliquer, cela peut changer la donne. Peu importe l’explication, la tendance est là, c’est un succès.

L’objectif de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a effectivement donné une liberté nouvelle de choisir en donnant une autonomie financière à l’apprenant pour construire son projet en dehors de toute structure. On peut noter tout de même que la notion de projet professionnel s’arrête à la retraite, ce qui est étrange c’est que les seniors sont pour les deux tiers porté à développer des projets, les exclure du CPF est un choix qui prive la collectivité du talent. La second motivation d’activité son CPF est la création d’entreprise, c’est choisir une formation tout au long de la vie… seulement active. Sous cette réserve, la formation pour tous est bien atteinte. 70 % des personnes qui activent leur CPF sont des ouvriers ou des salariés. La formation CPF est un régulateur social intéressant ouvert à tous quel que soit les origines sociales, ce qui en fait une réussite sociale non négligeable à condition d’avoir un projet professionnel.

Stephen Ross avait parlé de la théorie des signaux (1977) montrant que le signal envoyé au marché permettait son fonctionnement. La liberté nouvelle est une incitation monétaire à se former pour assurer la qualification bottom-up de la société. D’autres critiques la spécificité française de faire des formations professionnelles gratuites, envoyant un message négatif aux apprenants, la formation n’a pas de valeur. Le prix dans l’analyse des comportements est essentiel pour optimiser ses choix, dans la théorie du capital humain, cela ne permet pas d’obtenir d’optimum personnel ou social. Cette idée est inscrite dans une politique de désintermédiation de la politique de formation. A cette époque, les corps intermédiaires étaient perçus comme de freins à la transformation nécessaire de l’économie. Les rentiers de la formation sont rarement les disrupteurs de leur rente. L’idée était de redonner le pouvoir aux apprenants directement. Le CPF leur a redonné cette liberté.

2, Le reste à charge

Le 8 mars 2024, le gouvernement annonce l’instauration d’un reste à charge de 100 euros pour toute action de formation engagée avec le CPF. Cette mesure entrera en vigueur à partir du 1er mai 2024. Le montant de 100 € n’a pas de raison particulière, il s’agit plus d’un arbitrage entre plusieurs pistes : certains parlaient de 10 % du montant de la formation, là où d’autres avançait le chiffre de 30 % suivant la stratégie du ballon d’essai, une technique de communication pour sonder l’opinion publique. Si l’on tient compte de la facture d’une formation CPF dont le prix moyen est de 1 560 €, 100 €, le forfait est un atout par rapport à 10 %, mais si l’on tient compte des « petites formations » par exemple des formations de 600 ou 800 €, le forfait représente un frein. L’arbitrage est fait, reste à appliquer les modes opératoires. L’objectif est de faire des économies. Le processus devrait économiser 375 millions d’euros en année pleine et 250 euros dès 2024.

C’est une politique de régulation classique des dépenses publiques. Le succès de la mesure pose problème. Après avoir régulé les organismes de formation, la puissance publique régule la demande. La régulation de l’offre s’est traduite par une administration accrue des procédures. Si à l’origine, il s’agissait pour un organisme de formation déclaré d’être DataDocké, la procédure s’est étoffé avec l’obligation de Qualiopi (1er janvier 2021) et une procédure de validation administrative de la part de la CDC tant sur l’organisme que sur le contenu. Le nombre d’organismes de formation qui s’inscrivent est d’environ 15 000. Comparativement, on peut noter que par rapport aux 44 000 organismes de formation certifié Qualiopi, c’est peu et encore plus si l’on compare aux 120 000 organismes de formation déclarés. L’administratif permet de réguler les offres de formation, même si cela est souvent un frein à l’innovation par la standardisation des procédures.

La régulation par la demande passe par le prix, les autorités demandent aux apprenants de faire un sacrifice au nom de l’intérêt général. On peut noter que le sacrifice ne concerne pas les chômeurs qui sont exclus de ce dispositif, renforçant par la même l’idée que la formation professionnelle est de plus en plus orientée vers les outsiders au détriment des insiders. Pour les autres, plus le reste a payé est important, plus le choix de la formation sera interrogé. Les autorités en font un argument : « c’est une façon de tester la motivation des apprenants ». Tout s’argumente quand on veut faire des économies. Deux remarques, les restes à charge sont des pratiques qui sont rarement remise en cause, lorsqu’on le fait une fois, on le fait pour longtemps, et il ne s’agit pas d’être grand clerc pour pronostiquer une augmentation du reste à charge, une fois le concept accepté. La seconde remarque est que le CPF connaît un ralentissement, perte de 700 000 sans explication claire, augmenter les barrières à l’entrée risque d’accroître la tendance… au moment où la formation est une priorité nationale, risque de non cohérence.

3, Que faut-il en penser ?

Il s’agit de regarder au plus près les thématiques des formations demandées au CPF, en 2022, la DARES présentait en premier le permis de conduire, puis la création d’entreprise et enfin la bureautique. Depuis le 12 janvier 2024 le permis moto est accessible au CPF, ce qui en fait la seconde thématique pour 2024. Le permis coûtant autour de 1000 €, le CPF est une aubaine. Le rapport avec le projet professionnel est plus obscur sauf à préparer une « armée de réserve » à Uber eat ou Deliveroo. Après avoir souligné l’intérêt de la quantité d’utilisateurs du CPF, il est intéressant de s’intéresser à la qualité des formations demandées. Avec Qualiopi, l’Etat s’est sécurisé sur la qualité de l’offre, reste la qualité de la demande que les économistes appellent l’effet d’aubaine. Il existe toujours quelle que soit la mesure un effet d’aubaine, souvent estimé autour de 10 %, là, c’est 70 à 80 % des formations qui sont en interrogation. Cela pose une autre question, celle de l’efficacité ?

La formation professionnelle, comme n’importe quelle structure publique, pose la question de l’efficacité de la dépense publique. La question n’est pas nouvelle, la Loi Organique relative aux Lois de Finance (LOLF) proposait déjà cette démarche, le 01 août 2001, orienté les budgets dans une démarche de performance, mettre l’accent plus sur la performance, le résultat que sur les moyens. Autrement, dit préférer l’efficacité à l’efficience. Concrètement, dans notre cas précis, il ne s’agit pas tant s’extasier sur le flux d’utilisateurs ou sur le nombre de formation dispensé, mais sur l’efficacité de cette outils à qualifier les populations ciblées. Avec un 1,25 millions de formation demandé face à une population active de 30 millions, cela signifie que pour former l’ensemble de la population, il faudra 25 ans avec ce seul outil. Les mesures d’impact sont inexistantes, donc il reste à chacun de croire ou de ne pas croire à l’efficacité d’un écosystème qui devait révolutionner le monde, le fameux « Big bang de la formation ». Retirez un reste à charge à une charge dont il reste à comprendre l’efficacité, n’est plus le cœur de la problématique.

Si l’on revient à l’origine de la réforme de 2018, il s’agit de doter la France d’un outil extraordinaire de plateforme de la formation professionnelle reliant directement les apprenants et les formateurs. L’enjeu était très malin stratégiquement, faire le Amazon de la formation professionnelle. Faire rentrer la formation dans le 21ième siècle. Mais la culture de la bureaucratie au sens de Michel Crozier a rendu obscure l’offre, ne proposant d’exposer que 10 % des 120 000 OF reconnus pas l’Etat avec des critères qui brime l’innovation. Mais surtout, c’est l’absence de politique de la demande. La plateforme est une caisse enregistreuse de l’offre. Il manque une politique de la demande avec les learning data ou de learner data. C’est une occasion manquée, à ce jour, de montrer ce que la France peut proposer comme politique de data efficace et citoyenne. La plateforme peut orienter la demande vers des offres stratégiquement importante. Et pourquoi ne pas proposer une politique d’orientation de la demande ? Doubler le montant des comptes CPF qui s’investisse dans l’IA par exemple si l’on considère l’IA comme stratégique ? Prendre l’apprenant comme un adulte responsable, ce serait une innovation culturelle qui aurait du panache.

Poser la question du reste à charge est regarder l’arbre en oubliant la forêt. Le CPF 2.0+ est un outil de régulation qui suppose une pulsion, un désir d’apprendre de chaque individu. Cette hypothèse est très douteuse surtout si l’écosystème n’organise pas l’érotisation sociale de la formation. Dans l’écosystème, le CEP aurait pu jouer ce rôle, mais avec 100 000 utilisateurs, l’effet n’est pas suffisant. L’idée de liberté n’a de sens que si la plateforme joue son rôle d’orientation par les signaux envoyé, laissant l’apprenant libre de ses choix éclairés. Cette nouvelle réintermédiation était conforme à l’esprit de la loi de 2018, reste à construire les pratiques centrée sur l’apprenant en en faisant un espace de rencontre personnelle et sociale, un espace de créativité qui servirait d’exemple. Ergonomie, design,… le CPF doit sortir ce dispositif de monde de l’expertise comptable de la formation pour en faire un outil social de créateur de talents.

Fait à Paris, le 19 mars 2024 @StephaneDIEB pour vos commentaires

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