La VAE fête ses 20 ans, quel avenir pour les entreprises ?

par | 4 octobre 2022 | Juridique

La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 instaure la Validation des Acquis d’Expérience, la VAE. Plus de 20 ans après quel bilan peut-on en tirer ? Ce grand pas, qui associe individualisation tout au long de la vie, est-il un succès ou un échec ? Cette question est d’autant plus intéressante d’un projet de loi devrait aboutit pour faire évoluer la VAE canal historique. Quel est l’avenir possible du dispositif de la VAE ? Et quelles questions cela soulève-t-elle ?

1, La VAE un diplôme sans formation

L’origine de la VAE est à trouver dans la loi de 1934 relative aux conditions de délivrance d’un titre d’ingénieur diplômé. « Les techniciens autodidactes, les auditeurs libres des diverses écoles, les élèves par correspondance, justifiant de cinq ans de pratique industrielle comme techniciens, pourront, après avoir subi avec succès un examen, obtenir un diplôme d’ingénieur. Les conditions de délivrance de ces diplômes seront fixées par décret sur avis favorable de la commission des titres d’ingénieur ». Près de 90 ans, puis il y a eu la VAP, Validation des Acquis Professionnels, et enfin la VAE en 2002. La VAE est une histoire ancienne. Où en est-on aujourd’hui ?

En 2020, il y a 18 000 VAE validées totalement, soit pour une population active française de 30 millions de personnes, 0,6 % sur une année. C’est toujours intéressant de mettre en perspective les dispositifs en fonction de leur utilité sociale. L’ambition de la VAE est de permettre au mérite (surtout en 1934) puis à l’égalité d’offrir une reconnaissance sociale à chaque individu tout au long de la vie, « l’école de la vie » en quelque sorte. L’objectif de la loi 2002 est de favoriser l’employabilité des postulants. On peut noter deux chiffres qui vont dans ce sens : 50 % des demandeurs d’emploi sont sans qualification et qu’il existe 1,5 millions de NEET (Not Education Employment Training). Il semble exister une corrélation entre reconnaissance sociale et employabilité. Le postulat est simple, si l’on qualifie ou requalifie ces individus, cela augmente leurs opportunités d’embauche.

La VAE est une question individuelle, mais Vincent Merle a montré que cela pouvait être aussi une question collective et devenir ainsi un atout pour l’entreprise. L’entreprise peut prendre à bras-le-corps cette question et s’en servir pour mobiliser ses collaborateurs. Les exemples du rapport montrent combien les entreprises peuvent s’en servir comme levier de qualification gratifiant. C’est un levier de fidélisation des collaborateurs, un élément majeur du corporate branding, assurer la reconnaissance sociale, l’ascenseur social des collaborateurs, une fabrique à talents.

2, Le nouveau projet de loi

L’objectif du gouvernement est d’obtenir 100 000 VAE par an pour la fin de la mandature actuelle. Conformément à la LOLF 2001 (Loi Organique relative aux Lois de Finance) les projets de loi doivent, en principe, d’être orientés performance, ce qui est assez rare dans le monde de la formation, on peut louer l’effort de quantification. L’objectif est 3 % de la population active par an, sensiblement le même montant que le Conseil en Evolution Professionnelle (CEP-150 000 en 2021), mais 97 % ne l’utilise pas. Comment assurer cette amélioration des performances ?

Un constat de départ, seulement 10 % des personnes qui font demande d’information vont jusqu’au bout de la procédure. Autrement dit, il y a une déperdition de 90 % dans la procédure de personnes au moins intéressé par la VAE. On peut noter que si 100 % des demandeurs sont validés, on atteindre et dépasser l’objectif des 100 000, toutes choses étant égales par ailleurs. Donc, l’objectif est d’identifier et de réduire les blocages afin de fluidifier les procédures. Par exemple, les enquêtes montrent que le financement est déterminant dans 30 à 40 % des abandons, la loi devrait assurer un guichet unique et une forfaitisation standard pour éviter au postulant de réunir les abondements. L’idée est la fluidité en réduisant les points de blocages. C’est ainsi que l’on devrait avoir une simplification des conditions de constitution des jurys.

La clé du succès est dans l’accompagnement du postulant. L’objectif est la création d’un nouveau métier « architecte de parcours » qui prend en main la démarche dès le début jusqu’à la fin. Il s’agit d’un métier qui accompagne techniquement le postulant dans son projet, allant de la réorientation si besoin est, au financement, à l’archéologie des compétences, la comptabilisation des PMSMP (Période de Mise en Situation en Milieu Professionnel),… L’architecte de parcours ne saurait être le certificateur pour ne pas être juge et partie. Reste le problème de l’information et l’engagement des individus. L’engagement préalable est un problème majeur, c’est là où l’entreprise peut jouer un rôle marketing essentiel pour donner de la valeur sociale à une procédure administrative dans la certification de ses collaborateurs. L’entreprise architecte de parcours ?

3, L’avenir de la VAE

Au-delà des réformes et de la mécanique des outils, on peut remarquer que depuis 1934 la critique première de cette validation est que le dispositif est celui d’un « fossoyeur des diplômes ». C’est la raison pour laquelle culturellement les jurys étaient assez réticents à donner un Master II ou un Doctorat à un autodidacte qui aurait une expérience équivalente. Et pourtant, c’était bien la raison d’être de la loi. La réticence tient à ce que les enseignants se sentent déconsidérés si l’apprenant peut apprendre hors les murs, sans enseignant la même chose qu’avec. On peut comprendre leur réserve. Mais la réserve vient aussi des apprenants eux-mêmes qui se disent que si, pour reprendre un aphorisme des années 80, 80 % d’une classe d’âge possède un titre, de facto, le titre perd de sa valeur sociale et nécessite pour le postulant d’acquérir d’autres éléments de différenciation à l’embauche.

Dans la mécanique de la VAE, le titre pose question. En effet, il existe plus de 9 000 titres et diplômes enregistrées au RNCP, les titres ont des appellations qui sont pensées pour les créateurs de formation, mais non pas pour les apprenants. Ils sont en rien informatifs, ce qui renforce le besoin d’architecte de parcours, un homme capable de lire le jargon des professionnels de la profession. Une alternative serait de fluidifier la procédure. On se rappelle de Xavier Niels, fondateur de l’Ecole 42, qui se disait s’interdire de dispenser des diplômes, mais de s’obliger à dispenser des emplois. Le diplôme est toujours un marqueur social pour l’emploi, mais il s’agit plus d’une marque qui vit sur ses acquis qu’une véritable corrélation entre les contenus et la réalité de l’emploi. Il est nécessaire de repenser les marqueurs sociaux pour qu’ils gardent leur valeur dans le monde des entreprises et introduire une adaptabilité pour codifier les compétences nouvelles. C’est la place de l’Etat comme certificateur opérationnel qui est réinterrogé.

On se doit de regarder l’émergence des labels alternatifs comme par exemple les open badges. Ils sont inviolables avec les techniques blockchains et proposent des reconnaissances privées beaucoup plus souples et donc beaucoup plus proches des réalités terrains. Certains métiers n’existent pas dans les titres et pourtant, ils existent dans la réalité des entreprises. Il existe déjà des parcours d’open-badges (« des sacs à badges » ou « badges bag ») qui peuvent s’articuler ou non avec des titres RNCP s’ils existent. Cette flexibilité est particulièrement intéressante, car elle correspond à l’individualisation tout au long de la vie. Les apprenants eux-mêmes peuvent créer quasi-gratuitement des open-badge pour donner de la valeur à leur travail avec là encore un référentiel explicatif. L’horizontalisation de la certification est une opportunité et ce d’autant que leur socialisation est particulièrement efficace avec des vecteurs comme Linkedin. Toute l’opérationnalité de l’employabilité horizontale est en place. L’écosystème des open-badges remet l’apprenant au cœur de la certification.

L’AFFEN, l’association des responsables de formation, avait fait une enquête sur le programme de 3 Masters II pour former des RF, en interrogeant nos membres ont avait obtenu qu’au moment où le diplôme était délivré l’apprenant ne correspondait qu’à 30 ou 40 % des connaissances et compétences que les entreprises avaient besoin. Autrement 60 à 70 % obsolètes à la délivrance du diplôme. Un titre n’est pas une valeur intrinsèque, c’est un marqueur social, c’est ce que la société lui reconnaît comme valeur. Et si la traçabilité ne rentre pas dans le 21ème siècle avec des outils comme l’IA et les politiques de Big data, la socialisation se fera sans eux. Or, traditionnellement, c’est le rôle de l’Etat de passer de l’individu au collectif. Et cela a l’avantage de déterminer et le pilote et le responsable de l’efficacité des politiques de formation. La bonne question est voulons nous que la certification privée remplace la certification publique ? Et que veut faire l’Etat pour garder sa place historique ?

Fait à Paris, le 04 octobre 2022.

@StéphaneDiebold

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