Comment l’apprenant, peut-il encore choisir sa propre formation ?

par | 24 octobre 2023 | Marketing

La montée en puissance de l’individualisation de la formation redonne de plus en plus la main aux apprenants qui assument la responsabilité du choix de la formation. Des outils comme le CPF ou le CEP leur donne une logistique pour pouvoir mener à bien leurs projets, orientation et financement. Reste le moment fatidique du choix. Comment l’apprenant, doit-il choisir la bonne formation ? Quels sont les déterminants du passage à l’acte ? C’est au cœur du nouveau paradigme de la formation. De quoi s’agit-il ?

1, A trop rationaliser le choix…

Une enquête particulièrement intéressante est la chronique de l’économiste, Gilbert Cette, dans Les Echos (29 juin 2023) sur les freins financiers à la mobilité professionnelle. L’économie, particulièrement avec la théorie du capital humain de Gary Becker (1964), repose plus ou moins sur la notion de l’homo oeconomicus, l’homme rationnel, avec des biais qui empêche le bon fonctionnement des lois rationnelles du marché. Même si depuis Léon Walras, on sait que cette rationalité n’est qu’une « fiction » dont le but est le calcul d’un optimum, optimiser le choix individuel de formation pour construire un optimum social. Que peut-nous apporter de plus la théorie économique dans le choix de la formation de l’apprenant ?

La chronique de Gilbert commence par un chiffrage statistique. Il part d’un profilage. Combien un célibataire qui gagne le SMIC à taux plein doit augmenter son salaire pour atteindre le salaire médian net ? Le salaire médian net qui divise la population en deux, évitant ainsi le biais monétaire du salaire moyen net pour prendre compte une plus grande réalité sociale, il se situe en 2023 autour de 2 100 €. De combien le salaire augmente, s’il passe du SMIC au salaire médian net dans le cas du profil de base ? 65 %. C’est l’incitation qu’un individu aura de passé du SMIC au salaire médian. C’est une incitation à la formation professionnelle pour assurer une promotion sociale d’un individu. Le choix rationnel est conforme à la théorie en cours, mais la chronique va plus loin…

Il introduit la notion de revenu médian net, notion qui englobe non seulement les salaires comme précédemment, mais aussi d’autres sources de revenus comme la prestation, les impôts,… Plus le salaire net augmente, plus certaines prestations baisse comme par exemple les allocations logement et l’augmentation des impôts, ce qui fait que l’impact sur le revenu peut être fortement différent. Le passage du SMIC au revenu médian net se traduit par une augmentation de…. 25 %, c’est le plus faible écart de l’OCDE. Autrement dit si l’on compare les 65 % au 25 %, le gain perçu par l’individu n’est pas de même ampleur. L’incitation à s’engager en formation est beaucoup plus faible, surtout si l’on compare au temps passé en formation, la privation de la consommation immédiate au profit d’une consommation différée. Finalement, l’incitation rationnelle à la formation est assez modeste en moyenne.

2, Et pourtant, les besoins de transformation sont là…

C’est le syndrome de la reine rouge (De l’autre côté du miroir, Lewis Carroll) popularisé par Matt Ridley qui l’applique dans le monde de la science, où chacun court non pas pour avancer, mais pour ne pas reculer. La formation ne permet pas en moyenne de gagner beaucoup plus de pouvoir d’achat supplémentaire, mais ne pas se former rend obsolètes les connaissances et les compétences actuelles. Le moment est schumpétérien, l’idée est au minimum de courir avec les autres pour continuer à développer des avantages concurrentiels. Si l’on regarde les indicateurs de comparaison, comme par exemple, ceux de l’OCDE, les PIAAC (Programme for the International Assessemnt of Adult Competencies) sur 24 pays : « La France se classe parmi ceux où les compétences en numératie et littératie sont les plus faibles ».

Les besoins en formation sont importants surtout dans un monde en transformation qui nécessite d’inventer les connaissances et les compétences des futurs métiers et de transformer celles des métiers qui existent déjà. Qu’est-ce que ChatGPT a changé dans les connaissances et compétences métier en moins d’un an d’existence ? Et le prochain ChatGPT ? Et le suivant ? La course est lancée, et globalement, la France n’est pas comparativement très bien lancée dans les compétences numériques. Ce n’est que pour parler de la tech, on pourrait aborder d’autres disruptions comme par exemple l’écologie, les bouleversements liés à la gestion des gaz à effet de serre. La transformation pour entrer dans le 21ième siècle est énorme.

Les individus ont des choix conséquents à réaliser, trop important pour être fait individuellement. C’est le travail d’organisation du social. Dans L’art de la décision (2011), Sheena Lyengar donne l’exemple des pots de confiture, elle expérimente la vente des pots de confiture avec deux groupes, 24 saveurs différentes dans le premier groupe, contre 6 pour le second. Le résultat est pour le premier groupe 4 % de vente et pour second 30 %. Le choix en trop grand nombre réduit le passage à l’acte. Autrement dit, si l’on veut que l’apprenant puisse choisir rationnellement, il est nécessaire d’organiser le choix en lui présélectionnant le domaine du possible, c’est le rôle du social ou du sociétal que de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie pour le bon fonctionnement du marché et du choix de l’apprenant.

3, Le rôle des entreprises

Le travail d’organisation est celui de l’entreprise qui grâce à ces choix stratégiques oriente les besoins de formation, la définition des objectifs pédagogiques et la mise en place des stratégies pour les atteindre. Or, si l’on regarde la situation des entreprises et que l’on compare la situation actuelle avec la situation en 2018, avant la période particulière du COVID, le nombre d’entrées en formation a baissé de 15 %. Une baisse de la formation au moment où les besoins sont tellement importants. Que penser de ce paradoxe ? Les entreprises, sont-elles en train de passer à côté des enjeux majeurs du passage du 20ième siècle au 21ième siècle ?

Le travail de formation consiste à faire des choix de société sans l’assurance qu’ils seront socialement validés dans le temps. C’est un moment de liberté de création formative que de choisir la taxonomie des connaissances et des compétences : quelles sont les connaissances et les compétences qu’il faut acquérir pour construire le monde numérique de demain ? Encore faut-il scénariser le lendemain ? Qui avait prévu ChatGPT pour l’année 2022 ? Maurice Blondel avait ce bel aphorisme « L’avenir ne se prévoit pas, il se prépare », l’entreprise doit investir le domaine des possibles et militer pour celui qui lui semble le plus porteur de potentialités… construire dès aujourd’hui les métiers de demain, comme on peut imaginer les choses aujourd’hui, tant sur les nouveaux métiers qui n’existe pas encore, que dans la transformation des métiers qui existent ?

Ce travail de taxonomie, n’est toutefois pas suffisant, il est nécessaire de « mettre en société » les projets d’avenir. C’est selon le mot d’Oliviero Toscani la définition du marketing, incarner des idées soit en répondant à des besoins exprimés soit en proposant une promesse originale, et en le confrontant à la réalité. Henry Ford avait cette belle formule : « si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, il m’aurait répondu des chevaux plus vite », la force de la créativité a permis le lancement du fordisme. La formation devient un lieu d’aventure humaine, avec une certaine ambition. La formation devient homérique tant dans sa finalité que dans sa résonance. C’est la mission d’érotisation de la formation surtout pendant la période de transition sociale.

Comment choisir dans un monde qui ne propose plus de choix durables ? La réponse passe peut-être par le fait de choisir le présent plutôt que le futur. La formation devient opportuniste et agile. Ce qui compte ce n’est pas tant ce qu’on apprenne, mais le fait de l’apprendre ensemble, la proximité comme pédagogie, le apprendre ensemble insiste sur le ensemble plutôt que le apprendre. Et à organiser ces communions apprenantes l’entreprise gagne en motivation autour du choix qui sont bien évidemment rationnels, mais aussi émotionnels. Une nouvelle redéfinition que les pédagogues sensualistes appelaient la raison sensible. Une belle mission pour les responsables de formation, remettre la formation en société.

Fait à Paris, le 24 octobre 2023

@StephaneDIEB pour vos commentaires X (ex-Twitter)

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