Comment organiser la désirabilité des formations ?

par | 26 mars 2024 | Marketing

La désirabilité est étymologiquement l’attente de l’étoile, sideris, qui n’est pas encore là, vouloir ce que l’on n’a pas. La désirabilité de la formation est de cet ordre, vouloir un savoir que l’on n’a pas et que l’on désirerait acquérir. La littérature parle parfois de motivation, d’appétence, donner envie à l’apprenant. Comment faire ? La fin du 20ème siècle est marquée par un effort de communication, trouver les bons arguments rationnels pour susciter l’envie de suivre une formation. La technique est celle de la réclame plus que celle de la publicité. La réclame déclame les arguments produit de la formation : « Gagnez 30 % de temps en plus ». Certains parlent de verbiosité, trouver le bon mot pour convaincre de l’intérêt de suivre cette formation. La montée en puissance de l’apprenant first, le 21ème siècle, change la donne avec l’émergence de l’émotion dans la motivation, un changement culturel majeur. La réclame devient publicité. Quelle transformation cela induit-il pour l’organisation des formations ? Comment faire pour développer une désirabilité générale des formations ? Qu’est-ce qu’il faut en penser ?

1, Le design LX, Learner experiences

Le design LX est le fait de se mettre dans la peau de l’usager, autrement dit comprendre comment les apprenants vivent la formation. Recentrer sur l’apprenant semble une évidence au moment où le paradigme dominant énonce « mettre l’apprenant au centre de la formation », l’avantage du design est qu’il propose des outils opératoires qui assurent la réalité de cette stratégie. La conception de la formation introduit des notions comme l’émotion, ce qui est au cœur du design pour assurer l’appropriation, mais aussi un regard curieux et prospectif sur des usages nouveaux qui sont créateurs de nouvelles pédagogies pour ceux qui savent les déployer. La pairagogie qui est née de l’analyse des flash mobs, irrationnelles dans le paradigme de l’époque, a permis de faire des apprenants des makers, d’où la montée en puissance de ces nouveaux outils pédagogiques, l’innovation vient de l’observation des usages et le grand changement est de tenir compte de l’émotion, comme cœur de la désirabilité future. Quels sont ces outils mis à disposition de cette stratégie ?

Sans être exhaustif, on peut parler par exemple des focus groups qui utilisent des apprenants en petit nombre, moins de 8 personnes et un modérateur pour leur demander de parler de la formation, des moments forts, des moments les moins intéressants, des messages mémorisées,… ces démarches qualitatives complètent bien les démarches quantitatives traditionnelles sur la satisfaction globale de la formation avec la fiche d’évaluation de fin de stage. D’autres outils comme les learner interviews permettent de sélectionner des apprenants référents qui sont représentatifs de l’ensemble des apprenants, cette pratique est souvent utilisée dans les pilotes de formation où les early adopters, sont des apprenants représentatifs de la population-cible, qui prennent le temps de se poser pour débriefer la formation qu’ils découvrent. L’usage concerne la formation stricto sensu, mais aussi l’amont et/ou l’aval pour s’intéresser à l’ensemble de la relation apprenante.

D’autres outils s’intéressent moins au déclaratif qu’au contextuel, comme les enquêtes contextuelles qui consistent à aller sur le terrain avec ceux qui ont subi la formation pour voir comment la formation est mise en œuvre concrètement. C’est un excellent moyen pour savoir ce que valent les formations et d’apprendre davantage sur l’environnement des apprenants, comme les freins à l’application, et permet des ajustements pédagogiques en fonction des situations. Cet outil d’analyse souffre de la lourdeur du process, déplacer les observateurs sur le terrain. Sous cette réserve, le déplacement des experts est souvent bien perçu par les apprenants, comme un argument de valorisation, et d’en faire un argument « vu sur le terrain ». Ce qui augmente la désirabilité d’une formation « d’en bas », au détriment des formations « d’en haut ».

2, L’évaluation de la désirabilité

L’évaluation de la désirabilité interroge la valeur que l’on choisit comme étalon. La performance sociale sert souvent de référence. Performance, étymologiquement la forme, le résultat d’une action, « être capable de ». Les besoins de formation déterminent des performances à atteindre, ainsi que la reconnaissance sociale qui va de pair. Désirer une performance, c’est assurer d’atteindre la distinction sociale chère à Pierre Bourdieu. La formation assure l’ascenseur social qui associe performance et méritocratie. Dans un monde en disruption, la notion d’organisation sociale est plus complexe et les parcours plus chaotiques socialement. Faut-il former les pédagogues à l’IA générative alors qu’elle n’apparaît dans quasiment aucun titre ou diplôme ? Intuitivement, les responsables de formation devraient devenir des learner datascientists, mais peu est organiser dans ce sens sûrement pas dans les institutions formatives. Il y a déconnexion entre la performance et la reconnaissance sociale, ce qui nuit à la désirabilité des parcours.

La période est rabelaisienne, elle connaît des évolutions qui touchent le paradigme dominant de la formation. C’est une évolution culturelle, certains disent une révolution. En tout cas, les changements sont structurels. L’Organisation Scientifique de la Formation, le monde de l’expert, celui qui sait laisse place à celui qui apprend. La valeur sociale vient moins de l’expert que de l’apprenant. Or, l’apprenant a toujours été considéré comme un enfant, même adulte. Un enfant, étymologiquement, est celui qui n’a pas le droit à la parole. En en faisant un apprenant-roi, c’est la parole qu’il faut organiser. C’est l’apprenant qui dit la valeur de la formation qu’il a reçu et qu’il va pouvoir mettre en application. Ce qui est passionnant dans cette organisation de la parole, c’est qu’il s’agit d’une courbe d’apprentissage. Si au début, il s’agit d’un « j’aime, je n’aime pas » la finesse de l’évaluateur va permettre bien des subtilités sur l’ensemble du processus, apprendre à dire ce que l’on désire.

Si l’on prend la peine d’écouter les apprenants, c’est que la désirabilité est une émotion collective, l’évaluation devrait naturellement être un social scoring. Savoir ce que les autres ont appris pour caller son évaluation personnelle. Cette idée rompt avec l’émiettement des apprenant, l’individualisation au profit des apprentissages collectifs, certains auteurs parlent de communions apprenantes. Le 21ème siècle est le siècle des « foules intelligentes » (2005, Howard Rheingold) et même de la « sagesse des foules » (2004, James Surowiecki)… quel changement par rapport au 20ème siècle qui voyait dans la foule une violence, une immaturité. Les communautés apprenantes change la donne en revenant à une désirabilité sociale fondée sur l’ère du nous, et plus seulement du je. Beaucoup est à construire, mais l’essentiel est là, certains en appellent à l’engagement, et l’engagement est là, il suffit de regarder tous apprenants qui sont prêts à améliorer la pédagogie pas pour eux, mais pour les prochains apprenants, éthique de responsabilité. Encore faut-il organiser la capitalisation commune.

3, Le secret de la désirabilité apprenante

Le secret : demander aux apprenants. Faire parler les apprenants pour qu’ils apprennent à se dire. Les designers ont cette belle formule « lire dans les étoiles ». Demander aux apprenants de mettre des étoiles de 1 à 3 ou de 1 à 5. Tout est bon pour favoriser l’engagement dans l’expression de ses désirs. L’engagement est un processus social, l’apprenant est prêt à le suivre pour peu qu’il ait le sentiment que cela serve à quelque chose. Au formateur de dire à quoi sert cette évaluation, à lui donner du sens. Et là, les étoiles peuvent donner du verbatim, voir du Learner Generated Content (LGC) où c’est l’apprenant qui crée du contenu. Le bottom-up devient une pédagogie pour comprendre l’apprenant, l’engager et rendre l’apprenant actif de ses apprentissages. La parole libérée nécessite une pédagogie agile pour au final respecter la parole des apprenants et atteindre les objectifs pédagogiques de la formation.

La désirabilité fondée sur l’engagement est la pédagogie entre pairs, la pairagogie, théorisée par Howard Rheingold avec la création du Handbook, du manuel en 2012, ce sont les apprenants qui créent le manuel, symbole du pouvoir pédagogique qui passe de l’expert à l’apprenant. Cette pédagogie part de l’apprenant. On peut commencer une formation management par un FAQ (Foire Aux Questions) : « quelles sont des situations difficiles d’un manager de proximité ? ». Voilà une bonne entrée en matière pour aborder les problèmes du terrain, et même une manière d’apprendre à la connaître, un knowledge management porter par ceux qui pratique les connaissances et les compétences. D’autres proposent des word café, d’autres encore des Hackathons, tout est bon pour peu que la parole soit libérée. Paul Zak a montré que ce seul fait génère de l’ocytocine, une hormone du plaisir du seul fait de se dire.

Le travail de désirabilité n’exclut en rien le top-down bien au contraire. Il permet la surprise qui présente bien des intérêts pédagogiques, mais l’effet waouh doit toujours être validé par l’apprenant pour savoir si l’effet de surprise à jouer son effet. L’extraordinaire génère un effet dans un processus apprenant. Il se passe quelque chose dans la formation. Mais l’objectif n’est pas tant de sortir de l’ordinaire que de construire de la proximité, des communions apprenantes ordinaires. Certains pédagogues, comme les pédagogues de la résonance (Harmut Rosa, 2022) pensent que c’est là que les choses se passent. D’autres encore proposent le savoir-relations (Béatrice Mabilon Bonfils, 2018). La proximité, le ensemble prend de plus en plus de place dans la formation. Dans un monde en défiance, c’est un moyen de réincarner des contenus. La communion apprenante devient un outil de formation quels que soient les contenus. C’est le social qui fait la formation.

Le travail du responsable de formation est un travail d’organisation de ces territoires de désirabilité, où l’émotion partagée est au cœur de la pédagogie. Faire une formation de fête pour faire du moment d’apprendre un moment de plaisir. Et comme le disait Philippe Muray, dans nos entreprises, faire la fête à la fête. Autrement dit, faire des apprenants des ambassadeurs de notre formation avec la fierté d’avoir vécu une aventure humaine. Voilà qui fidélisent les apprenants prêts à revivre ce type d’aventure, et faire en sorte que tous ceux qui n’ont pas connu la formation, développe le désire de connaître de type d’expérience. Comme quoi le désir est aussi une question de volonté…

Fait à Paris, le 26 mars 2024

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