A quoi sert le service de formation dans l’entreprise ? Autrement dit, qu’est-ce qu’un bon service de formation ? Qui dit que le service de formation est bon ou non ? Le service de formation a longtemps été une fonction de l’offre, produire des formations pour former les collaborateurs. Aujourd’hui, le marketing de l’offre s’ouvre au marketing de la demande. Qu’est-ce que cela change ? La formation devient une marque. C’est un mouvement plus large que le seul service formation. L’entreprise aussi devient une marque, corporate branding. Le social devient le social branding et la formation, le learnal branding. De quoi la marque formation est-elle porteuse ? Comment faire vivre sa marque ? Autant de questions qui réinterrogent le service de formation dans sa nouvelle fonction, créateur de valeur marketing.
1, Un monde en construction
La formation connaît un moment rabelaisien. Le pédagogue François Rabelais quittait un monde qu’il connaissait, le Moyen-âge finissant, pour construire un monde qui ne connaissait pas, celui de la Renaissance. Aujourd’hui, la formation quitte le monde de l’Organisation Scientifique de la Formation (OSF) qui a largement dominé le 20e siècle, pour construire un monde nouveau qu’on ne connaît pas encore et qu’il faut pourtant imaginer, la Renaissance numérique. La transition est en mouvement, même si l’on ne connaît pas le sens de cette transition. On quitte un monde connu, quantifié avec une gestion des flux de la formation, l’expertise comptable de la formation, pour s’enrichir d’une autre dimension.
A la fin du siècle dernier, Théodore Levitt, Professeur émérite en marketing, avait montré que le produit n’était plus seulement un objet d’usage mais était le vecteur d’une histoire qui avait sa résonnance sociale, le « produit élargi ». Jean Baudrillard parlait du système des objets (1966). La formation n’est pas qu’un travail social d’apprentissage pour répondre à une stratégie prédéfinie, c’est aussi une promesse qui est faite à l’apprenant. Par exemple, que l’entreprise mise sur lui, ou alors qu’elle lui propose un progrès social, voir une promotion, une dimension qui dépasse le cas d’usage. Ainsi, former à ChatGPT, c’est la promesse d’être un des premiers en France à profiter de l’innovation que représente l’agent conversationnel, besoin de distinction dirait Pierre Bourdieu avec les early adopters.
Le monde de la formation a changé, il ne s’agit plus simplement de former des individus, la brique d’un système, mais des personnes avec la difficulté de qualifier la personne, étymologiquement, l’être derrière le masque social. Le premier travail du marketing est de mettre en place un système pour connaître les apprenants. Sortir l’apprenant de l’enfance, étymologiquement, celui qui ne parle pas, pour en faire un être qui se dit pour que le service de formation soit capable de construire la bonne relation apprenante. Grâce au numérique, l’individu apprenant devient une personne avec sa singularité. Face à la standardisation rationalisante, que certains courants appellent aliénation, s’ouvre un monde nouveau celui de la singularité. C’est apprenant first, le monde de l’expert laisse la place au monde de l’apprenant.
2, Comment le service formation construit son learnal branding ?
Les fonctions de l’entreprise, tout comme l’entreprise d’ailleurs, doivent se médiatiser. Et la médiatisation passe de la réclame à la publicité, prendre le temps de raconter l’histoire de leur utilité, et faire en sorte que ce storytelling fasse résonance avec la population ciblée. Par exemple, former au management doit se doter d’une histoire pour faire sens. Le management peut être durable, voir authentique, performatif, familial, inspirant… toutes les histoires sont bonnes, mais pas toute à la fois. C’est le principe du positionnement. Choisir sa position, c’est dire ce que l’on ne sera pas et faire promesse de ce qui nous caractérise. Trouver les mots pour se dire et surtout écouter comment les mots sont entendus. La promesse formative, c’est faire l’effort de trouver des mots qui fasse sens.
La communication est d’ailleurs une pratique souvent utilisé par les services qui veulent se dire. Il s’agit de demander à des professionnels de construire un logo, une charte graphique, une base line pour faire sens, une école interne se dote ainsi de moyens d’identification spécifique. La communication sociale depuis les années 80 souffre d’un déficit de crédit, construire des mots pour ne rien dire. Changer les mots pour ne pas changer les pratiques. La communication « d’en haut » à besoin d’être remonétisée, incarner une promesse du service et faire vivre cette promesse. Les leaders inspirants, charismatiques, sont importants dans l’incarnation sémiologique du discours et de la rhétorique, mais l’essentiel est ailleurs relié la parole d’en haut avec l’impact d’en bas.
Comment faire ? C’est le travail d’information, certains disent transparence de la promesse. C’est le travail d’audit, étymologiquement écouter, écouter la situation pour construire un tableau de pilotage et être écouté en laissant la cible vérifier par elle-même la progression des indicateurs choisies. « Remettre l’apprenant au centre de la formation » ne veut rien dire en soi, c’est au service de formation de dire ce que cela veut dire pour lui et en faire promesse chiffrée. Cela peut être un taux de satisfaction que chacun peut contrôler, un taux d’utilité terrain, un taux d’inclusion, un taux d’empreinte carbone,… Tout est bon, au service de formation de construire sa promesse service. Et quand l’engagement est atteint d’en proposer un autre, et quand il est non-atteint relancer l’audit pour voir les points de blocage et les supprimer. Dire ce que l’on veut faire et faire ce que l’on dit, pour que la parole sociale recapitalise du crédit.
3, L’avenir du learnal branding
Le branding est une proposition faite par l’entreprise, soit il s’agit de parler dans le vide, « prêcher dans le désert », soit il s’agit d’écouter les apprenants pour savoir comment ils réagissent à la proposition. C’est l’empowerment des apprenants, redonner la main aux apprenants. C’est la grande tendance du 21ième siècle, les apprenants sont de moins en moins des « générations silencieuses » ils veulent devenir des acteurs de leur formation. Ce n’est pas un hasard si la monté en puissance de la pairagogie a vu le jour avec Edward Rheingold, avec son fameux handbook, manuel, construit par les apprenants eux-mêmes. Le manuel construit par les apprenants, le symbole est fort, l’expert laisse la main à l’apprenant. Le service de formation devient l’organisateur de ce mouvement bottom up.
Et c’est tout le problème de l’incarnation qui est supprimé. La parole qui vient du terrain est sociologiquement plus respecté que celle qui vient d’en haut. Le pair nous parle plus que l’expert. C’est le courant de l’intelligence collective qui propose des outils d’activation de l’apprendre ensemble. Ce courant se subdivisent en deux composantes l’intelligence collective rationnalisante et celle émotionalisante. La première consiste à mobiliser les apprenants autour de process bien établi en général autour de problème et de leur résolution. Une fois le problème résolu, les apprenants sont démobilisés. La seconde consiste à créer des communions apprenante autour d’une joie à l’ensemble, des territoires de passions partagées.
La sociologie des apprenants est particulièrement intéressante. Il y a un désir de sens. Ce désir de sens signifie de proposer une finalité (« à quoi sert cette formation ? », « en quoi cela me sera utile ? »), ce que fait bien l’Organisation Scientifique de la Formation, et une résonance, une proximité, une expérience apprenante à faire ensemble, la fameuse Learner eXperience (LX). C’est là une nouveauté, l’opposition entre le projet, la finalité, le futur et la proximité, le présent. L’apprenant, doit-il être projectif ou opportuniste dans un monde en disruption ? Le rôle de la formation sera peut-être de piloter les projets d’entreprise par la construction de pédagogie du présent. De présent en présent construire un futur pour l’entreprise et atteindre les objectifs prédéfinis.
Le service de formation garde sa fonction historique de création de valeurs sociales, en fonction de référentiels préétablis. Mais avec la montée en puissance de la motivation personnelle, son travail devient d’organiser le désir et le passage à l’acte. C’est le travail du marketing de la formation, que certains appelle design pour insister davantage sur la place de l’émotion dans le fait de se former. L’avenir de la formation passera par le fait d’investir dans la motivation des apprenants. On peut se rappeler que si apprendre est naturel, former est un choix social. Il est donc de la responsabilité de l’entreprise de faire le lien entre le besoin stratégique et le passage à l’acte. Le learnal branding est cet outil au service de l’érotisation de la formation, une des nouvelles pratiques pour le 21ième siècle.
Fait à Paris, le 23 janvier 2024
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