La notion de génération est une construction sociologique élaborée par Karl Mannheim (Le problème des générations, 1928) repris entre autres par Pierre Bourdieu. Les générations silencieuses ont laissé place aux Baby-boomers puis aux générations X, Y, Z, Alpha et Beta. Chaque a ses spécificités. Quelles sont ses spécificités dans la formation ? Comment les former aujourd’hui ? Faut-il faire des formations par génération ou garder une pédagogie intergénérationnelle ? Quelles doivent être les stratègies des entreprises pour être efficace ?
1, De quelles générations, parle-t-on ?
Une génération est une classe d’âge qui est composé d’une population ayant des usages, des comportements ou des valeurs communes. Les générations silencieuses (nées entre 1925 et 1945) ont connu la guerre ce qui donne une vision du monde particulière par exemple. Là où la génération des Boomers (1946–1964) est une génération de reconstruction de l’après-guerre, ce qui donne des caractéristiques particulières. Par exemple, la Lorraine, terre des mines, était une région riche et surtout fière de produire l’acier et le charbon nécessaire à la reconstruction. Le travail avait un sens et une reconnaissance nationale. Chaque génération a ses particularités. On peut remarquer que les dates de début et de fin des générations sont très variables suivant les auteurs et ce qu’ils mettent dans leur notion de génération. Une génération n’a de valeur que comparativement à d’autres.
Pour faire pédagogique, si l’on prend la technologie comme structuration d’une génération, la génération Y (1981-1996) est née avec la naissance du Personal Computer, ce qui en formation se traduit par la naissance du e-learning, l’homme seul face à la machine, le début de la relation apprenante, alors que la génération Z (1997-2012) est né avec le web, favorisant le 2.0, l’interaction, l’apprenant était incité à donner son avis constamment. La génération Alpha (2013-2020) que certains appellent « génération TikTok », même si l’on devrait dire Snap (date de création 2011 contre 2016 pour TikTok). C’est la génération des communautés apprenantes. La toute dernière que l’on trouve dans la littérature et qui aujourd’hui est plus marketing que fondée, est la génération Bêta qui pourrait être la génération de l’IA générative dans un premier temps, et pour le reste l’avenir nous le dira si l’on constate des comportements apprenants spécifiques par rapports aux autres générations.
On peut noter que la notion de génération évolue dans le temps : les générations silencieuses ont eu une durée de 20 ans alors que la génération Z , 15 ans et les générations Alphas 7 ans. Dans un monde qui bouge, cela peut avoir du sens que d’accélérer le changement des comportements spécifiques. C’est bien la spécificité qui détermine la génération et non une période de 15 ou 20 ans qui s’appliquerait quelles que soient les spécificités. On peut noter aussi que certains sociologues, voir pédagogues, ne partagent pas la notion de génération trop collective leur préférant une notion plus individuelle, chacun a ses propres spécificités. Les deux approches sont cohérentes et complémentaires. Enfin, le cycle des générations n’a rien de nouveau : déjà, Socrate à son époque écrivait « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. A notre époque, les enfants sont des tyrans ». Rien de bien nouveau dans la critique que les seniors portent aux jeunes.
2, Quels sont les usages nouveaux pour la formation ?
Il existe bien des façons de présenter les générations, la relation entre le support et la population est intéressante. Les générations Z ou Alpha changent leur support de lecture, 1 jeune sur 5 déclare ne jamais lire un livre, c’est plus que la moyenne nationale. Le livre a moins les faveurs des jeunes, lui préférant les écrans, même s’il existe des livres augmentés ou des formes alternatives. Michel Serres considérait que le support fonde la culture. La naissance de l’imprimerie a changé la culture des copistes. Les copistes de par la faiblesse du volume des écrits, était centrée sur les livres saints, alors que la multiplication des livres multiplie les idées et favorise une culture du débat argument contre argument, la Renaissance a fait son nid. La vidéo remplace l’écrit. C’est une culture de l’image. L’émotion s’introduit dans la culture avec une nouvelle grammaire pour la formation : punch lines, snack content,… pour taper au plus juste.
L’émotion a une autre conséquence ou source selon les auteurs, l’individualisation des formations laisse place à la personnalisation. L’individualisation est étymologiquement, la partie indivisible d’un système, l’individu est le fruit du système, alors que la personne, est étymologiquement l’être derrière les masques sociaux, autrement dit la poésie de chacun qui est définie par rapport à son intimité. L’émotion complète la raison pour permettre au « Maitre intérieur » (Saint Augustin) de choisir. La formation devient affective. L’émotion incarne la formation. Le sujet n’est pas nouveau, Socrate dans Phèdre parlait déjà des savoirs qui n’étaient pas connaissance. Lorsqu’il critiquait l’écriture, il critiquait la désincarnation des savoirs, des savoirs fossilisés. La formation désincarnée nécessite d’être animée, ce que Paul Zak, Professeur en neuro-économie, explique par l’action de l’ocytocine, l’incarnation qui fait sens.
Ce qui est nouveau dans le travail de formation de la nouvelle génération est qu’il faut incarner le réel. La réalité doit faire sens, pour rendre la distinction de Jean Baudrillard. Le rôle de la réalité est de faire société, donner du sens au fait. Il ne s’agit pas de faire du storytelling comme certains le proposent, souvent perçu comme une incarnation mécanique, mais une animation qui fasse sens par rapport aux réalités du moment. Les générations Z doivent être convaincues pour apprendre. Il ne s’agit plus de dispenser des savoirs asséchés, mais de redonner de la saveur au savoir. Améliorer les performances dans une perspective rationaliste n’a pas de sens pour ces générations, il faut érotiser la formation quelle que soit l’érotisation : sauver la planète, construire une société plus juste, plus… tout est bon à condition de faire sens et d’incarner le savoir. Se former pour ces générations devient une aventure collective.
3, Que faut-il en penser ?
Les nouvelles générations ont un nouveau rapport au savoir, ce qui n’est pas sans poser des questions. Michel Desmurget avait ce joli titre : « La fabrique des crétins numériques » (2019) reprenant le titre d’un autre auteur. La littérature foisonne. 46 % des jeunes ne savent pas dater le début de la Révolution française (sondage 2024), une réalité essentielle pour le récit national. Aux Etats-Unis, 34 % des jeunes seraient platistes (la Terre plate, 2020) plus du double que la moyenne nationale, la transmission de la taxonomie scientifique en prend un coup. Ce qui compte ce n’est plus tant la transmission des savoirs que de leur accessibilité. L’ère des smartphones permet d’avoir l’information où l’on veut, quand on veut. En période de transition, l’actualité de l’information est un atout majeur. Reste à construire une culture fondée sur l’accès et dont l’accès à la vérité peut poser problème comme l’illustre la question des fake news et de la falsifiabilité.
L’externalisation de la mémoire pose une interrogation. La littérature l’a montré avec le smartphone et le GPS, plus un individu s’appuie sur le GPS pour se guider moins il construit une spatialisation de ses déplacements, comme l’illustre le cas des taxis londoniens. La difficulté tient à la dépendance à la machine. Le taxi a besoin de rappeler souvent ses souvenirs pour entretenir sa mémoire et faute de rappel la mémoire s’efface. On peut supposer sans avoir le recul, que l’usage généralisé des agents conversationnels de type ChatGPT pourrait avoir le même effet. L’accès à la connaissance du monde entier.. à condition de l’appeler. Outre les filtres algorithmiques, c’est l’appel qui fait connaissance, mais on n’appelle que ce que l’on connaît, même de loin. Et cette amnésie numérique, pose le problème de l’homme, par exemple, la créativité souvent la nuit, repose sur ce que l’homme a en mémoire de travail ou consolidé. L’externalisation réduit donc l’imagination personnelle au profit d’une imagination numérique. La formation doit s’interroger sur son écosystème et la notion d’autonomie de l’apprenant.
Ce qui est intéressant avec les générations Z, c’est le fait qui aime l’esthétisation des savoirs. Si la taxonomie des savoirs est moins centrée sur le détail que sur le global, il n’en reste pas moins que les jeunes aimes construire leur savoir. Ivan Illich parlait des apprenants « auteur » de leurs apprentissages. Howard Rheingold avait théorisé le phénomène et expérimenté la tendance en créant le projet de Peeragogy Handbook en 2012, où les apprenants eux même construisait eux-mêmes leur manuel d’apprentissage. Le symbole est fort, donner la main aux apprenants. Il est possible d’organiser les formations en organisant une pédagogie bottom-up. Le résultat est doublement intéressant : il permet de faire des apprenants des experts et surtout, il développe un plaisir à apprendre, qui fondera la motivation future. L’apprenant aura le plaisir de faire des belles choses pour peu que la pédagogie organise la communion apprenante. Un autre chemin pédagogique.
Ce que les générations Z Alpha et Bêta apportent à l’entreprise, c’est qu’ils interpellent pour réinventer une pédagogie nouvelle. Reste à faire le travail d’organisation pour structurer la formation. Reste la question de l’intergénérationnel : faut-il faire des formations adaptées à chaque génération ? Thomas Khun a montré que les jeunes sont des facteurs de transformation partant de la marge jusqu’à ce qu’ils deviennent la norme. Autrement dit, faire des formations par génération serait stigmatisant pour les seniors et surtout absurde pour qui veut garder le collectif de l’entreprise. La communion apprenante fait sens pour tout le monde, et permettent à des anciens de s’adapter. Si la communion est le chemin reste à se donner l’ambition du sens pour que chacun acquière la fierté que l’entreprise l’ai formé à de belles choses.
Fait à Paris, le 12 mars 2024
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