Comment construire une culture de l’apprenant ?

par | 3 mai 2023 | Organisation

La culture d’entreprise est un ensemble de valeurs, de connaissances, de comportements qui s’inscrivent dans un paradigme, une façon de penser partagée par le plus grand nombre de façons plus ou moins conscientes. La formation s’inscrit dans la culture d’entreprise et développe sa propre spécificité. Les cultures évoluent, le 21ème siècle, a fait apparaître l’émergence de la figure de l’apprenant. S’agit-il de tout changer pour que rien ne change ? S’agit-il d’un learner washing ou d’une véritable révolution organisationnelle ? Comment assurer un changement de culture dans la formation ? Comment concrètement assurer la transformation ?

1, Une culture nouvelle dans la formation

La notion de culture d’entreprise est née dans les années 80 avec la remise en cause du modèle d’organisation scientifique du travail, le livre référence est celui d’Edgar Schein, en 1985 ou il définit la culture d’entreprise comme « un ensemble de postulats de base, inventés, découverts ou développés par un groupe cherchant à faire face à des problèmes d’adaptation externe ou d’intégration interne, qui ont largement été vérifiés pour être considérés comme validés et transmis aux nouveaux membres comme les façons correctes de penser et d’agir face aux problèmes » (La culture organisationnelle, 1985). La culture de la formation n’échappe pas à ce phénomène. Le paradigme dominant de la formation était jusqu’à récemment l’organisation scientifique de la formation. Les experts de l’expertise se réunissaient pour définir les compétences à acquérir et les modalités d’acquisition. Avec l’horizontalité de la société, la montée en puissance des « foules intelligentes », la culture de la formation change. Et il devient nécessaire d’accompagner le changement.

Remettre l’apprenant au centre de la formation. C’est un changement culturel : quitter le monde de l’expert pour celui de l’apprenant, l’ingénierie pour le marketing. Et ceci est d’autant facilité par le fait que le numérique ouvre de belles perspectives avec le Learner Relationship Mamagement, l’individualisation des parcours de formation. Le changement se faisant souvent par étapes. La première étape est de résonner par les process et l’optimisation de la relation apprenante. Comprendre la relation apprenante avec la multiplication des points de contact, l’identification des points de blocage, les « points noirs » de la relation pour tenter de les résorber. Par exemple, l’évaluation des LSAT (Learner Satisfaction) ou des mécontentements et proposer une politique de gestion des réclamations des apprenants. L’apprenant étant le cœur de la valeur, c’est autour de lui que son construit des indicateurs de satisfaction.

Mais le changement culturel n’est pas paramétrique, il est systémique. C’est une autre façon de penser la formation : faire de la formation une parole qui soit entendue, pour cela, il faut construire une politique de communication, le learnal branding et s’engager sur une promesse. La formation centrée sur les apprenants fait que la promesse soit tournée vers les apprenants. « Qu’est-ce que la formation peut apporter aux apprenants ? ». Cela veut dire aussi que le service formation s’engage et qu’au final, il construit une crédibilité à sa parole. Si l’on choisit de faire une politique de satisfaction fondée sur la gestion des réclamations, on peut dire à la fin de l’année que 100 % des réclamations ont trouvé une réponse dans les 48 heures pour un taux de satisfaction de 80 % par exemple. Le principe des promesses est de faire une annonce avant et d’en assurer le suivi, avant d’en tirer les résultats. La difficulté comme dans tout politique de marque, c’est de choisir un positionnement. Une autre culture.

2, Le déploiement d’une culture nouvelle

Le déploiement commence par une annonce, une communication de la promesse nouvelle et une explication qui motive un tel changement. Mettre des mots sur une stratégie, ciseler les paroles qui accompagneront le déploiement. « Faites leur manger le mot, ils avaleront la chose » disait Lénine. Le choix des mots est important dans la pédagogie du changement. C’est souvent le rôle des Universités d’entreprise que d’alerter les tendances à venir et l’occasion de faire venir des personnalités extérieures qui assure la légitimité sociale de la démarche, un benchmark des bonnes pratiques.

Dans une société de la défiance de l’autorité verticale, la difficulté n’est pas seulement de construire ses mots pour donner la direction, mais de favoriser leur transmission et surtout de susciter l’engagement de la ligne formative et des apprenants. C’est la stratégie qui consiste à redonner la parole à l’apprenant, le rendre acteur voir auteur de ses propres apprentissages. Les outils d’intelligence collective permettent d’organiser le bottom-up. L’horizontalité de la formation favorise l’engagement pour faire vivre la promesse initiale. Cet engagement dépend de la culture voulut avec des nouveautés pédagogiques comme le Learner Generated Content ou la pairagogie.

Reste la capitalisation. C’est une partie qui est souvent sous-évaluée. La formation a toujours été ponctuelle, elle devient relationnelle, c’est-à-dire engager les apprenants dans le temps. Le numérique permet de tenir compte de l’histoire de chacun, individualisation, et de tous. Mick Levy constatait que seulement 32 % des données sont exploitées par les entreprises, c’est un changement culturel que de rentrer dans l’ère de la data. Il s’agit de socialiser la data pour assurer une acceptabilité de la part des producteurs de data, les apprenants. Faire des apprenants de podcasteurs par exemple devient un outil de knowledge management. Il s’agit de faire vivre le média, de l’animer pour en faire un outil efficace. Quels sont les métriques apprenants de cet outil pour montrer que l’engagement est utile socialement ?

3, Les modalités opérationnelles

Etre à l’écoute de l’apprenant, c’est construire toute une série d’outils de pilotage de cette écoute. Cela va de l’élaboration de baromètres one to one, jusqu’au social scoring, où chacun connaît l’avis de tous. Le 20ème est le siècle de l’apprenant privé de la parole, étymologiquement une infantilisation des adultes. Le 21ème siècle change la donne, il s’agit de construire des lieux de paroles pour sortir de la formation en blind test. L’apprenant est à découvrir dans ses usages, c’est la promesse de la politique d’individualisation que permet aujourd’hui le numérique. Mais cette parole longtemps pensée dans un émiettement des apprenants, « La société des individus » de Norbert Elias (1987), doit aussi être pensée dans sa dimension collective, « Le temps des tribus » de Michel Maffesoli (1988), les communions apprenantes.

Si l’idée du collectif comme valeur apprenante a fait son chemin, le marketing de la formation a fait son travail, l’écoute nécessite son corollaire d’entendre ce qu’on écoute, autrement dit de faire attention aux surprises. La première difficulté est d’organiser l’émulation des apprenants silencieux depuis des siècles. Tout le monde se rappelle de cette émulation : « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent » et au final Mao a repris la main en différenciant les « fleurs parfumées » et les « fleurs vénéneuses » pour reverticaliser le pouvoir. Entendre, c’est accepter les surprises qui sortent des standards de la formation mieux c’est de stimuler cette expression déviante. Bien des choses peuvent remonter par exemple une demande de bien-être avec des outils de pleines consciences, de nudge ou même de nutrition pour améliorer les performances de chacun et de tous. Faire de la formation un lieu de créativité. Redonner une éthique, un sens aux apprentissages.

La fidélisation apprenante est un moment clé dans la relation. La fidélisation est une politique de confiance : dire ce que l’on fait, faire ce que l’on dit. Quelle est la promesse de la formation pour les apprenants ? Donner du sens. L’entraide est une valeur importante dans l’entreprise, peut-on aider les apprenants en difficulté pour lutter contre l’illettrisme ou l’illettrisme numérique ? Tous les sujets sont bons à condition qu’il soit médiatisé autour des valeurs de la formation. « La numérisation heureuse » aider chaque apprenant à retrouver son autonomie numérique et d’en faire des créateurs de contenus pour l’entreprise. Redonner la parole à chacun en faire des Instagrameurs, des YouTubers, il devient facile de trouver des ambassadeurs ou des tuteurs pour ce type de programme. Ce qui manque parfois, c’est juste l’érotisation, remettre la formation en société. Une autre façon de penser la formation.

L’entreprise devient de plus en plus, un espace de transformation sociétale, sortant de sa traditionnelle vocation sociale et économique. Les enjeux sociétaux doivent de plus en plus trouver un écho dans l’enceinte de l’entreprise, c’est à la fois une contrainte des temps et une opportunité du moment. Parler d’en haut démonétise la parole, les collaborateurs ne sont pas dupe, ils voient « L’empire du Bien » (Philippe Muray, 1991), utiliser des beaux mots jusqu’à ce qu’ils soient démonétisés et les changer. « Il faut que tout change pour que rien ne change » (Luchino Visconti, 1963). Qui n’a pas entendu parler de la bienveillance en entreprise ? Or, l’entreprise est un lieu de proximité, de crédit, un lieu où le changement peut s’incarner. Et la formation est une opportunité, car elle est encore dotée d’un fort crédit social. C’est toute l’opportunité de la culture de l’apprenant, montrer en proximité et valider les connaissances et compétences qui feront le talent de l’entreprise qui se construit, incarner une réalité.

Fait à Paris, le 03 mai 2023

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