La formation est souvent associée à une politique égalitariste : « Donner la même change à chacun ». L’égalité des chances est au cœur de la matrice républicaine. Elle en a même fait un des éléments de sa devise nationale. Alors quelle est la problématique ? Si tout le monde est d’accord, c’est souvent qu’il y a malentendu. Et à mal définir les choses, on rajoute du malheur au monde… Qu’est-ce qui se cache derrière le terme d’égalité ? S’agit-il d’une égalité juridique, le même droit à chacun ? S’agit-il d’une égalité sociale, économique ? La question est d’autant plus intéressante, c’est qu’elle sert souvent de socle pour penser la formation ? Finalement, que penser de la formation égalitaire, aujourd’hui ?
1, Une vieille histoire française
L’égalité est une valeur forte de la France républicaine. Alexis de Tocqueville parlait d’une marche inéluctable vers l’égalité (De la démocratie en Amérique, 1835), c’est la notion de progressisme, rien ne peut arrêter dans la durée le progrès social. L’égalité est un projet politique. Beaumarchais dans « Le mariage de Figaro » (1778) répondant au Comte « Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de bien ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus ». Lutter contre les individus qui se sont juste donné la peine de bien naître et proposer un modèle où c’est l’esprit qui est cœur du modèle qui fera révolution. « L’esprit seul peut tout changer ». L’égalité est au cœur de notre paradigme. Même si certain son plus égaux que d’autres, comme disait Orwell, la distinction est le fait de la raison et non de la naissance.
L’individu permet de penser l’égalité de tous et le rôle de la société est de permettre à chacun de progresser selon ses moyens. Reprenant en cela, la position de Jean-Jacques Rousseau, Nicolas de Condorcet en 1791 dans son Mémoire sur l’instruction publique, rappelais que la formation était le moyen mis au service de chacun pour se perfectionner. La formation est l’outil qui permet à tous de gagner en autonomie. L’individu, cette brique élémentaire du système, devient un maître de son destin et la formation son levier. La connaissance qui libère de la naissance, le seul fait de bien naître. Cette libération de l’Ancien monde est un progrès social grâce à l’égalité des chances.
Il ne s’agit pas tant de supprimer les différences que de permettre à chacun de pouvoir réussir s’il désire. La révolution française a généralisé sous couvert d’égalitarisme le développement de la méritocratie, la réussite au mérite. Jules Ferry, icône républicaine, en 1870, prononce un discours sur l’égalité d’éducation, dont l’objectif est de « faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l’inégalité d’éducation. C’est le problème du siècle (20ième siècle) et nous devons nous y attacher ». C’est une politique « généreuse », « pacifique » qui poursuit l’œuvre de la révolution française, l’égalité de chance fondée sur le mérite et faire que chacun soit s’il le désire maître de son destin grâce à la formation qui libère.
2, La lutte contre les inégalités
L’égalité est un projet politique. Et pourtant, nombre de voix s’opposent à l’égalitarisme. Alexis de Tocqueville lui-même notait le dilemme entre égalité et liberté, qu’il était difficile d’avoir les deux. D’autres disent que l’égalité pour tous est souvent perçue comme un moyen de brimer les meilleurs, la dictature égalitaire tire vers le bas et au final décourage le mérite comme ascenseur sociale. La nation égalitaire pour ses fondateurs n’était pas sans sélection, sans la création d’une élite, composée des meilleurs, mais de permette à chacun de pouvoir faire partie de cette élite en fonction de son mérite. L’égalité était à son origine une politique de promotion sociale, faire en sorte que les derniers déciles puissent être les premiers et que chacun profite de cette dynamique sociale. La formation était homérique. Il s’agissait d’un rêve de progrès du cercle de la raison pour tous, raison qui est au cœur de l’autonomie individuelle.
C’est pour cela que certaines voix, comme le livre d’Erwan Le Naon (L’obsession égalitaire, comment la lutte contre les inégalités produit l’injustice, 2023), propose de sortir de l’égalité statistique pour proposer une lutte contre les injustices. Il ne s’agit pas tant de dénaturer les marqueurs de reconnaissance sociale que de permette une mobilité sociale qui permet comme dans l’esprit des créateurs de la république, au moins bien loti d’atteindre les sommets en fonction du mérite. L’INSEE en 2022 a montré que l’ascenseur n’était pas bloqué, même si les déterminismes sociaux restent encore forts. Bien naître reste un atout majeur. « En France, les inégalités de revenus se reproduisent en partie entre les générations, mais les trajectoires individuelles montrent qu’une mobilité existe et est plus ou moins fréquente selon les caractéristiques des individus » (Michael Sicsic). La formation est le levier de cette mobilité. D’ailleurs, c’est bien pour cela que le CPF surdote les basses qualifications pour leur permettent une meilleure mobilité sociale.
Permette aux plus défavorisé de retrouver une faveur sociale. Certains proposent d’aller plus loin avec des politiques de discrimination positive. Il s’agit d’identifier des populations politiquement éloignées de la norme et de leur permettre un ascenseur social en les favorisant au détriment des autres. Que ce soit des catégories sexuelles, ethniques, religieuses, quel que soit le groupe à privilégier. Cette politique issue des Etats-Unis, avec en 1961, « l’affirmation action » pour l’accès aux Universités américaines, trouve sa limite justement aux Etats-Unis avec l’arrêt de la Cour Suprême Américaine, le 29 juin 2023 remet en cause de « l’affirmation action » au nom même de l’égalitarisme, les étudiants devant être traité en fonction de leurs compétences et non à partir de « critères raciaux ». C’est le principe politique du mérite qui est choisi pour permettre à chacun d’accéder à la formation, une filière d’excellence fondée sur la compétence. Le choix de ce que l’on veut égaliser est social tout autant que le choix de vouloir égaliser les choses qui par nature sont inégales.
3, La formation égalitaire est social
La formation est traditionnellement inégalitaire dans sa construction. Le sachant est celui qui transmet ou qui aide à faire émerger, suivant les écoles, la connaissance et la compétence. Il y a celui qui sait et celui qui ne sait pas. Tout le travail pédagogique est celui de faire monter en connaissance ou compétences les apprenants. C’est la problématique du Maître et de l’élève, celui que le Maître élève au-dessus de son niveau initial. Ces postures sont réinterrogées en formation. Historiquement, Alain Renaut parlait en 2004 de « La fin de l’autorité ». A force de dire que toutes les voix se valent pourquoi sacraliser celle de certains. C’est le courant de la déconstruction qui propose dans un premier temps une contestation de l’inégalité, l’apprenant est aussi important que le formateur, voir même plus, car c’est pour lui qu’est faite la formation, « apprenant first ».
Ce mouvement à ouvert voie à un courant du 21ème siècle, la pairagogie, la pédagogie écrite par des scientifiques surtout dans l’Organisation Scientifique de la Formation (OSF), est remplacé par une pédagogie des apprenants. Howard Rheingold en 2005 écrivait « Les foules intelligentes » et en 2012 « The peeragogy handbook » deux marqueurs pour faire de l’apprenant l’auteur de sa propre formation. L’horizontalisation de la formation qui est la pierre angulaire de l’égalité dans la création des formations, faire de chacun des apprenants, des concepteurs et des animateurs de formation. Ce mouvement libertarien de la formation, on dirait en France anarchiste de la formation, donne égalité de voix à tous avec parfois des formes intermédiaires comme le Learner Generated Content.
Le numérique renforce l’émiettement de la formation permettant à chacun de se construire une formation avec la machine. Si l’on prend l’exemple de ChatGPT, l’apprenant face à un agent conversationnel échange 24h/24 pour acquérir connaissance. Apprendre une langue étrangère devient facile avec les exercices que les agents conversationnels proposent et corrigent, et même les progressions pédagogiques qui tiennent compte des spécificités de chaque apprenant compte tenu de son historique. Le numérique lève les barrières à un égalitarisme des apprenants, le savoir numérique se met au service de chaque apprenant. Et pour une bonne part, gratuitement grâce à la scalabilité des contenus, tout comme l’accompagnement avec des logiques économiques de plateforme. L’égalitarisme est en marche et pourrait faire progrès social pour tous.
Au final, le projet d’égalité et particulièrement aujourd’hui avec les politiques d’apprenant first, est comme cela a toujours été le cas, le problème de la motivation. Mettre à disposition à chacun la bibliothèque du monde n’en fait pas pour autant des lecteurs. Il y a un travail social d’érotisation, donner envie socialement, par exemple en vue de la fameuse distinction de Pierre Bourdieu. Le rôle social, ou sociétal, des entreprises est justement de donner du sens à la formation avec ses deux composantes : une finalité, raisonnablement acceptable pour un désir reporté comme disent les spécialistes de la psyché, la sublimation ; et une résonance qui stimule au présent une raison sensible de s’engager. Cette double clé est la réussite d’une formation horizontalisée, qui mettrait l’égalité en centre de la formation, mais au service non pas d’elle-même, mais d’une ambition militante et partagée, un progrès en somme une progression sociale, qui reste à construire…
Fait à Paris, le 28 novembre 2023
@StephaneDIEB, pour vos commentaires sur X (ex-Twitter)