La France poursuit la déqualification de sa population active

par | 11 octobre 2022 | Organisation

Une nouvelle note de conjoncture du Conseil d’Analyse Economique (https://www.cae-eco.fr/cap-sur-le-capital-humain-pour-renouer-avec-la-croissance-de-la-productivite) est sortie le 29 septembre 2022 pour aborder la qualification de la population active française. Conclusion : c’était mieux avant. Que peut-on dire du constat ? Quelle conséquence pour l’avenir ? Et surtout comment faire face à la déqualification de la population active en France ? Comment la formation peut-elle inverser la situation ? Cela, est-il encore possible ?

1, Une étude de plus

« Nous mobilisons des données issues de quatre sources : l’enquête PISA (pour les étudiants de 15 ans), les enquêtes TIMSS (en fin d’école et de collège), et les études « Lire, écrire, compter » de CEDRE (en fin d’école et de collège) de la DEPP. Nous observons une dégradation continue au cours du temps ». Selon l’enquête TIMSS 2019 pour les mathématiques, la France est même avant dernière devant le Chili, dernière de l’Europe. Les nouveaux entrants sont de moins en moins qualifiés. La nouveauté de l’étude est que cette dégradation touche aussi bien les derniers déciles que les premiers. Même les élites baissent en qualité. On pourrait citer aussi à l’autre bout de la chaîne, les NEET (No Educational Employmeent Training), les jeunes décrocheurs de 15 à 29 ans, qui sont évalués en stock à 1,5 millions en France. Les nouveaux entrants sur le marché du travail sont de moins en moins bons, et la tendance devrait se poursuivre. La question du remplacement des boomers dans les entreprises se pose avec d’autant plus d’acuité.

Si les nouveaux entrants interrogent, l’évaluation de ceux qui sont déjà sur le marché, n’est pas sans questionnement non plus. Les enquêtes PIAAC de l’OCDE qui mettent l’accent sur l’usage de la lecture (la « littératie, capacité de comprendre et de réagir de façon appropriée aux textes écrits »), du calcul (la « numératie, capacité d’utiliser des concepts numériques et mathématique ») et « la résolution de problèmes dans un environnement à forte composante technologique : capacité d’accéder à des informations trouvées, transformées et communiquées dans des environnement numérique, de les interpréter et de les analyser » pour évaluer le degré de maitrise des adultes (entre 16 et 65 ans), la France est respectivement 21ème, 19ème et 22ème sur 24 pays. Certains critiques l’outil avec cette bonne vieille habitude : lorsqu’on a rien à proposer, il suffit de critique le constat, parler du thermomètre faute de soigner le malade. Quelles que soient les positions sur les PIAAC, ils permettre la comparaison internationale dans le temps pour les pays de l’OCDE qui participent à l’enquête, ce qui est déjà en soit intéressant.

Les indicateurs ne sont pas bons. La formation professionnelle est appelée à pallier les carences de la formation initiale. Malgré les sommes engagées, près de 30 milliards par an, la France garde des indicateurs modestes. Si l’on reprend le taux d’accès à la formation en France, il est de 36 % alors qu’en Allemagne, il est à 53 % et en Grande-Bretagne 56 %. Il y a bien une spécificité française. Mais la note du CAE nous rassure, la situation n’est pas irréversible. « L’Allemagne et le Portugal ont réagi vivement à leurs mauvais résultats aux enquêtes internationales PISA dans les années 2 000 et ont connu une remontée spectaculaire, ce qui démontre qu’il est possible de faire des progrès importants seulement en un quinquennat ».

2, Une idée assez classique, mais qu’il est bon de rappeler

L’intérêt de cette note n’est pas dans le constat global de la déqualification, mais dans le fait d’associer cette déqualification avec la croissance économique via la productivité. « La productivité du travail (production sur le nombre d’heures travaillées) décroche par rapport à l’Allemagne et les Etats-Unis depuis 20 ans », « entre 2004 et 2019 par rapport à l’Allemagne et les Etats-Unis représente un manque à gagner de 140 milliards d’euros de PIB pour la France en 2019, soit environ 65 milliards de recettes fiscales annuelles ». Rappelons que la formation professionnelle représente un budget global de 30 milliards environ, soit une capacité d’investissement supplémentaire de 2 fois le budget actuel et que cela représente un manque à gagner de 5,8 points de PIB en 2019.

Cette analyse est à mettre en parallèle avec le travail de Nathalie Chusseau et de Jacques Pelletant, de l’Institut Sapiens (2019), qui arrivent à des conclusions similaires, mais avec un regard particulier. « Si l’on forme 3 millions de personnes (soit 10 % de la population active française, c’est-à-dire la part des actifs occupants un emploi touché directement par la révolution digitale) sur une durée de 6 mois, on obtient une augmentation de 2,5 % du PIB ; si la durée de formation atteint 1 an, le PIB progresse de 3,4 % grâce à une amélioration du capital humain et de la productivité ». 1 euro investit en formation génère donc entre 4 et 6 € de retombées économiques. D’autres enquêtes corroborent la rentabilité de l’investissement formation : en moyenne d’un investissement d’un an en formation assure une rentabilité de 7 % environ. Si l’on compare ce résultat à la rentabilité de la bourse par exemple sur le temps long (200 ans) le taux de rentabilité de la bourse correspond à 5;5 % par an. Autrement dit, un investissement en capital humain est plus rentable qu’un investissement purement financier.

Cette note de synthèse propose un chiffrement nouveau sur une situation déjà connu depuis longtemps. Ce qui est nouveau que l’on sort du modèle traditionnel du marché du travail dualiste de l’économiste Michael Pioré qui supposait que ceux qui travaillaient en France avaient une productivité comparativement favorable et que cela permettait le ruissellement vers les autres catégories à productivité beaucoup plus faible. Cette note de conjoncture montre que la baisse de productivité est générale, elle concerne même nos élites. Nous sommes donc mondialement moins productifs que nos concurrents, et la formation s’inscrit dans le temps.

3, Que peut-on faire ?

La note fait 4 propositions : mettre en place une stratégie nationale ambitieuse, fixer des objectifs à moyen et long terme, un fond de 100 millions d’euros pour financer l’innovation et accroître le Crédit d’Impôt Recherche dans les grands groupes. Ce qui est intéressant dans ces propositions est de revenir à une véritable ambition formative et de l’inscrire dans le temps. Réinventer les « Hussards noirs de la République » (Charles Peguy) dans le cadre une planification à court et à long terme. La formation aujourd’hui fait la création de richesse de demain. Et second point intéressant, c’est de proposer une gouvernance entre le privé et le public pour coordonner l’innovation et l’ambition formative. L’Etat par construction ne sait pas innover dans la durée. Il peut devenir un architecte de l’innovation en formation.

L’étude propose une analyse de la formation, toute chose étant égale par ailleurs. Autrement dit sans ouvrir la boite du contenu de la formation, de la façon de la produire et de la diffuser. Le numérique ouvre une opportunité particulière. Si l’on observe le volume des formations en jeu. Le système actuel ne peut pas répondre au besoin en l’état, il est nécessaire d’inventer de nouvelles formes de formation. Et la scalabilité du numérique qui permet de multiplier les contenus de formation et des usages à l’infini ouvre des opportunités nouvelles. L’Etat qui finance n’a pas encore assuré le pilotage numérique des organismes de formation, pilotage qui nécessite une structuration learner d’une plateforme française, européenne ou francophone pour structurer le marché. L’avenir de la formation passera moins par la diffusion de contenu que par l’accompagnement de l’acquisition autour de pédagogies nouvelles comme la pairagogie et/ou les communautés apprenantes. C’est le pilotage du marché qui n’est pas encore engagé.

Si la demande est essentielle en proposant une politique learner first, la production est aussi essentielle pour assurer la souveraineté de la formation. C’est la problématique du pilotage de la filière EdTech. La dynamique est là avec des pépites comme EdTech France, AFINEF, France Immersive learning,… mais il manque une perspective à moyen terme pour créer les externalités qui ont fait les beaux jours de la Silicon Valley à son époque. Autrement dit, quelles sont les priorités stratégiques qui seront choisies pour mobiliser les entreprises startups, ou non, autour de ces trajectoires technologiques : Intelligence artificielle, Big data, IoT, Plateformes, Blockchain, XR,… avec des passerelles avec la recherche institutionnelle. Quels sont les signaux envoyés par l’Etat ? Si l’Etat veut garder un rôle majeur dans la formation, il se doit d’assurer le pilotage de la transformation numérique.

Cette étude macroéconomique de la formation concerne l’Etat, mais l’entreprise reste l’atout majeur de la formation. La productivité ne se décrète pas elle se construit, et c’est dans les entreprises qu’elle prend forme majoritairement. Seule l’entreprise peut organiser la formation professionnelle, car elles ont accès aux collaborateurs et elles peuvent assurer la diffusion de l’information, comme d’autres, mais surtout donner de la valeur sociale à la formation et permettre ainsi au salarié d’avoir envie de se former. Le marketing de la formation trouve son efficacité au niveau de l’entreprise qui a la taille et le crédit de la parole sociale. La requalification de la population active est un enjeu qui nécessite de créer un écosystème avec une nouvelle gouvernance qui associe privé public pour répondre aux enjeux quali et quanti de la formation.

Fait à Paris le 11 novembre 2022

@StephaneDIEB

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