Le responsable de formation, doit-il devenir un influenceur social ?

par | 23 avril 2024 | Organisation

L’apprenant s’est émietté au sens de George Friedman. L’individualisation, puis la personnalisation des formations ont choisi la singularité au détriment du collectif, le social est singulier. Comment le responsable de formation, peut-il organiser la différenciation individuelle et en même temps, mobiliser l’ensemble des apprenants autour des projets stratégiques de l’entreprise ? Le multiple et l’un. L’autonomie de l’apprenant renforce cette tendance, c’est lui qui décide, il faut alors le convaincre. Comment le responsable de formation va-t-il convaincre ? Manipuler, convaincre, que doit faire un responsable de formation éthique ?

1, L’influence du responsable de formation

L’influence est une autorité, étymologiquement une capacité de faire grandir l’autre. Le responsable de formation a une capacité à faire grandir l’autre. D’où vient ce crédit ? Historiquement, des organisations. Dans l’Organisation Scientifique de la Formation (OSF), le responsable de formation était celui qui mettait en forme les taxonomies pré-définies par les experts, il profitait ainsi du crédit de la science et des experts. Le crédit était social, c’est la société qui lui donnait ce crédit. Mais avec le renversement de la pyramide (Taaichi Ohno), l’organisation apporte de moins en moins de crédit, demandant aux titulaires de se construire eux-mêmes leur propre autorité. La présomption d’autorité doit être validée par l’historique du titulaire.

Comment faire autorité personnellement ? Traditionnellement, la littérature retient deux axes, le leadership et le coaching, le degré d’usage de l’un ou de l’autre dépendent des périodes sociologiques, le référentiel s’adapte. Avec l’OSF, l’autorité était quantifiée. Benjamin Coriat parlait de la logique du chronomètre (1979), c’est le chiffre qui fait autorité, la mesure et le process. Lillian et Franck Gilbreth proposent le mouvement pour rationaliser l’autorité. Aujourd’hui, l’autorité devient plus émotionnelle et relationnelle. Une nouvelle standardisation des compétences. Par exemple Richard Thaler, Prix Nobel d’économie, propose en 2008, la technique du « Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision”. L’autorité se fait douceur. L’autorité d’en haut, fait émerger une autorité d’en bas, le bottom up.

Le responsable de formation a besoin de convaincre pour faire grandir, son influence dépend de plus en plus de sa contagion émotionnelle et surtout de sa capacité à faire des liens, construire des relations dans le temps, fidéliser autour de sa personne. Comment ? En construisant son réseau professionnel. En construisant des liens forts dans le domaine, et surtout des liens faibles, comme l’a montré Mark Granovetter en 1973. Le lien faible, avec une faible intensité émotionnelle et une faible fréquence, est plus impactant que les liens fort, car il propose sans imposer, une nouvelle façon d’influencer en douceur. Si l’apprenant devient autonomie, il devient décisionnaire, c’est à lui de décider pour apprendre mieux, il s’agit de le motiver à choisir l’engagement, donner envie d’apprendre.

2 Les bulles de filtres apprenantes

La nouveauté est la montée en puissance de la personnalisation. L’individualisation laisse la place à la personnalisation. Quelle différence ? L’individualisation est la division élémentaire de l’organisation, la partie indivisible. La forteresse de René Descartes : “Je pense donc je suis, dans la forteresse de mon esprit”. La personnalisation est la personae, le masque, l’être derrière le masque social. La poésie de chacun, l’esprit n’est plus une forteresse, mais un espace de création symbolique. Le changement est que la pensée est une alors que la poésie est multiple et éphémère. L’apprenant n’est plus cet être seulement rationnel, il est aussi émotionnel. Antonio Damasio va plus loin en disant que l’apprenant est d’abord et majoritairement émotionnel. L’émotionnel est l’irrationnel. C’est l’émergence de nouveaux comportements, des phénomènes de modes, des bavardages inutiles… et pourtant si importants.

Qu’est-ce que cela change ? La définition de nouveaux objectifs pédagogiques avec la maitrise de nouveaux comportements comme par exemple la maîtrise de l’intelligence collective ou du stress, plus généralement des soft skills. L’apprenant s’enrichit d’une nouvelle panoplie de formes à acquérir. Mais c’est aussi la pédagogie qui s’en trouve enrichit. La pédagogie centrée sur le contenu raisonnable et raisonné, s’ouvre à une pédagogie affective. Par exemple l’utilisation de la pédagogie ludique, déjà ancienne, pour mieux apprendre, ou encore des innovations comme la pairagogie et le courant de l’intelligence collective, les communautés apprenantes mises au service du cheminement de l’apprenant pour augmenter la performance formative. C’est l’ère des apprenants, mais des apprenants enrichis de l’émotion et/ou de la relation.

Le travail du responsable de formation est d’organiser ce territoire apprenant, qui est fondé sur la raison, l’émotion et la relation, au sein des entreprises. La communauté apprenante trouve un terrain de jeu particulièrement intéressant avec le web. Ce n’est pas pour rien que nombre des concepts en sont issus. La notion de bulle de filtres est particulièrement intéressante. Elle fut développée par Eli Pariser (2011, The filter bubble, what the Internet is hiding from you, La bulle de filtre, ce qu’Internet vous cache). Il s’agissait de critiquer le filtrage par les algorithmes qui sélectionne les contenus suivis par les internautes en fonction de leur comportement. Cet émiettement dû à la personnalisation s’applique bien aux algorithmes de la formation. Mais l’intérêt des bulles de filtre n’est pas seulement l’ajustement par la haut, mais aussi l’ajustement par le bas. Réunir les apprenants par leurs filtres sociaux pour en faire des communautés apprenantes.  Le cœur de l’identité métier, le responsable de formation organise les apprenants qui se reconnaissent ensemble.

3 Le responsable de formation, est-il un influenceur ?

S’il s’agit de faire du responsable de formation un Squeezie ou une Nabilla de la formation, il est fort à parié que la réponse soit non. Il faut rappeler que Squeezie, premier influenceur français, est suivi par 43 millions de followers, Nabilla, 14 millions et que leur rémunération n’a rien à voir avec celles des responsables de formation. Alors le match est-il plié ? Pas forcément, car il y a influenceur et influenceur. Les influenceurs star du BtoC ne doivent pas nous faire oublier qu’il existe aussi d’autres formes d’influenceur : les macro-influenceurs, les micro-influenceurs et surtout les nano-influenceurs beaucoup mieux adapté au BtoB. Qu’est-ce que cela veut dire ?

L’Organisation Scientifique du Travail rationalise tellement les postes de travail, qu’elle génère des « générations désenchantées » (Max Weber), le responsable de l’OSF à besoin de réenchanter sa raison d’être et de le faire savoir. C’est l’idée de promesse professionnelle. Sur quoi s’engage le RF envers les apprenants, sur quel métrique et quelles sont ses réalisations, ses améliorations et au final sa prochaine promesse ? Cette promesse centrée sur les apprenants permet si elle fait sens d’incarné la fonction. La proposition, a-t-elle rencontré son public ? Si la réponse est oui, elle suscite l’intérêt, l’engagement voir des fans autour du projet qu’elle porte. Le travail du responsable de formation est de ne pas démonétiser sa parole, de l’incarner pour construire une fidélisation des apprenants.

Comment ? En le faisant savoir, faire du buzz, du bruit autour de ses challenges. Philippe Muray avait cette belle formule, non seulement avoir une stratégie festive, mais de fêter la fête, de créer une culture de l’événement, un challenge pousse l’autre. Le responsable de formation se pense comme une marque, learnal branding, qu’il faut faire vivre dans le temps. Cette marque fait des placements de produits formatifs en suscitant l’adhésion des apprenants autonomes, érotiser la formation pour mobiliser autour des enjeux stratégiques de l’entreprise. Ce marketing est dans la littérature appelé marketing d’influence avec des stratégies top down ou bottom up, mais qui reste piloter par le responsable de formation. C’est un outil intéressant pour répondre aux enjeux contemporains et permettre aux apprenants de passer à l’action de leur propre initiative, un marketing d’orientation affective en quelque sorte.

Alors influenceur ou non ? Le choix est celui de l’entreprise et de sa vision des métiers. Répondre à la question à quoi sert le responsable de formation dans cette entreprise ? Mais le mot à une autre vertu : il permet de développer une politique que communication interne, et là deux stratégies s’opposent. Luchino Visconti dans le Guépard (1963) avait cette belle formule : « il faut que tout change pour que rien ne change », elle résume bien les deux stratégies. L’entreprise peut changer les mots pour que rien ne change, transformer l’appellation pour faire le même travail que d’ordinaire, l’illusion du changement. Ou l’entreprise peut ne rien changer dans les mots pour changer les choses assurant une identité sociale qui reste un marqueur stable dans un monde qui bouge. Les mots sont des stratégies sociales à eux seuls.

Fait à Paris, le 23 avril 2024

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