L’excellence de la relation apprenante

par | 14 mai 2024 | Organisation

La notion d’excellence vient des politiques de qualité avec deux grandes périodes l’assurance qualité (l’expérience japonaise d’Edwards Deming au sortir de la seconde guerre mondiale) et la qualité totale des années 80 (le livre de Thomas Peters et Robert Waterman, Le prix de l’excellence, 1983). L’excellence est une politique de qualité qui se veut totale. Reste à définir la qualité que l’on veut. La période a choisi de remettre l’apprenant au centre de la formation. Sortir de la formation des experts, pour ouvrir les process de qualité à l’apprenant et plus particulièrement à la relation apprenante. C’est un changement culturel, pour sortir de la formation bureaucratique au sens de Michel Crozier, pour analyser la qualité de l’usager de la formation, l’apprenant-roi. Comment assurer cette transformation culturelle de cette qualité ? Quelle forme doit-elle prendre ? Comment construire l’excellence de la relation apprenante ?

1, Construire une data relationnelle

Le 21ème siècle s’est traduit pars l’émergence de nouveaux concepts pédagogique, la relation apprenante fait partie de ces nouveaux concepts. Cette notion de relation apprenante doit beaucoup à la relation client qui elle-même doit beaucoup au numérique qui a permis de mettre en place un nouveau domaine des possibles. La formation n’est plus seulement dispensée une formation, conçue comme un acte one shot qui réponde à une demande, c’est un parcours qui s’inscrit dans le temps pour chaque apprenant. Le numérique par sa traçabilité permet de construire des datas qui assurent un pilotage. Si l’on se rappelle que 32 % seulement des données de l’entreprise sont exploitées sur des modèles du 20ème siècle (Mick Levy, Sortez vos données du frigo, 2021), il s’agit de construire les modèles de data qui vont répondent à cette nouvelle forme. La première étape consiste à construire le parcourt avec des métriques, comme par exemple, comment l’apprenant et/ou le manager a-t-il pris contact avec la formation ?

Identifier l’ensemble des points de contacts de l’apprenant est une première étape pour faire un travail d’ergonomie, favoriser la fluidité de la relation. Traditionnellement, l’ergonomie travaille à l’inverse, il s’agit d’identifier les « points noirs » de la relation pour les supprimer ou au moins les atténuer. Cela peut prendre différentes formes comme par exemple la création d’un service de réclamation des apprenants (https://affen.fr/wp-admin/post.php?post=844&action=edit). Si l’on prend l’indicateur du temps de réaction entre la demande de formation et la réponse du service de formation, voire de la participation effective à la formation, il est possible de calculer un temps moyen qui servira de référence, ou, de travailler sur les « valeurs aberrantes », comme disent les statisticiens, les situations extrêmes qui sont rares statistiquement, mais à fort impact sur la perception de la relation apprenante. Une fois qu’on a un chiffre, le travail est pilotable. Si les premiers « points noirs » sont facile à gérer, l’excellence passe par la création de métriques de plus en plus fins. L’excellence apprenante est une courbe d’apprentissage.

Se mettre à la place de l’apprenant et non plus de l’expert est un regard particulier qui ouvre des perspectives de qualité. Mais la qualité n’est pas faite pour les qualiticiens, mais pour les apprenants. Il est donc nécessaire d’organiser une politique de communication. Les chiffres sont parlant, partir des chiffres donne une certaine crédibilité. Encore faut-il construire une promesse et d’engager l’apprenant intéressé à suivre cette promesse par ses propres moyens. La quantification est plus facile à suivre, sinon il existe la qualification avec des focus groupes par exemple. Le travail de progression des indicateurs est soit aléatoire, les fameux 10 % de variation, soit calculé sur le modèle des droites de régression, qui reprend l’historique et le projette autour d’une moyenne. On peut noter qu’avec le Big data le calcul n’est plus forcément historicisé, mais il dépend d’autres facteurs, on calcule le potentiel de la qualité à atteindre par un calcul de variance et de covariance. Quelle que soit la méthode choisie, la data fait le pilotage.

2, Le design relationnel

La notion de design reprend tout ou partie du travail de l’ergonomie, mais introduit une notion complémentaire qu’est celle de l’émotion. Autrement dit, si l’ergonomie favorise la fluidité de la relation apprenante avec la réduction des points noirs, réduire la  non-qualité, le design quant à lui propose une valorisation qui suscite l’adhésion, le fameux « effet waouh » de la relation apprenante, il se passe quelque chose qui accrédite la notion de qualité perçue par l’apprenant. Si l’extraordinaire suscite l’émotion, l’ordinaire a aussi sa place, particulièrement avec des politiques de « kaizen », petites améliorations incrémentales, lancé par Taiichi Ohno, qui améliore l’ensemble de la relation. On peut remarquer que l’apprenant est particulièrement responsable, au sens de Hans Jonas : il propose des améliorations qui s’appliqueront pour les futurs apprenants pour peu qu’ils aient le sentiment que leur contribution sera prise en compte. L’excellence relationnelle est éthique.

Le travail là encore est de construire des datas relationnelles fondée sur la satisfaction de l’apprenant pour pouvoir piloter le système. La grande nouveauté est de questionner l’apprenant et d’en faire le cœur du système. L’apprenant remplace l’expert dans l’évaluation. Cela suppose que l’on croit l’apprenant suffisamment adulte pour dire si la formation lui a été profitable en matière de connaissance ou de compétence. La satisfaction de l’apprenant est une courbe d’apprentissage, plus la formation leur demande, plus leur analyse sera fine. La clé de l’excellence est qu’elle vient de l’apprenant lui-même et que l’organisation doit inventer des outils de captation de la data émotionnelle. Si au début, il s’agit de mettre des étoiles, comme dans toute bonne politique de social scoring, le temps permettra du verbatim, et cet engagement se fera jusqu’au Learnal Generating Content (LGC), où l’apprenant proposera du contenu. La formation devient un espace de partage, un nouveau territoire de didactique, une communauté apprenante.

Là encore, c’est la transparence qui prime. « A quoi va servir l’avis donné ? », s’il sert à sanctionner, il est fort à parier qu’une solidarité stérilisera la parole, alors qu’à l’inverse, s’il s’agit d’une politique de qualité totale, la parole se libérera. Prenons un exemple, l’évaluation du formateur. Le social scoring est intéressant, car non seulement chacun donne sa note ou ses étoiles, mais réajuste sa vision par rapport à celle du groupe, permettant une évaluation collective plus proche du ressenti de chacun. Que faire des évaluations ? Féliciter les meilleurs sans stigmatiser les moins bons ? Leur permettre d’être une référence métier pour les autres ? La positive attitude du système permet à chaque apprenant d’accepter de jouer le jeu. Prenons la politique des « bravos » ou des « mercis » au formateur : les apprenants disent merci ou bravo pour quelque chose qui l’a touché dans la formation. Cela donne un sentiment de reconnaissance pour le formateur, et/ou son manager, et de gratification métier, l’effet waouh pour le formateur qui va l’inciter à l’aller plus loin.

3, Fêter l’excellence

La culture de l’excellence passe par le fait de fêter la data. Si l’on reprend Philippe Muray, on pourrait dire que non seulement l’apprenant est homo festivus, mais il est aussi et surtout homo festivus festivus. Il aime fêter la fête. Il s’agit pour le service de formation d’organiser des rituels qui montrent la culture que l’entreprise choisit de mettre à l’honneur. La politique de l’excellence dans la formation peut servir ainsi de levier de transformation pour l’ensemble de l’entreprise. C’est un travail de marketing ou de design que de faire la fête à la formation en redonnant la main aux apprenants, en les félicitant d’avoir appris et d’en faire des ambassadeurs pour le reste des collaborateurs. Faire des apprenants, des formateurs, des militants de la chose apprise, une incarnation sociale qui donne du sens.

Le service de formation développe sa créativité pour faire savoir son utilité. Tout est bon que ce soit des challenges, des Awards pour faire connaître les priorités du service de formation. Il me revient à l’esprit une expérience particulière, sur le modèle de la fresque du climat, un service formation avait créé une fresque de la formation pour permettre à chaque apprenant de savoir quoi demandé à la formation et de susciter des envies de formation. Au final, cela s’est traduit par la formation de politique de mentoring, les meilleurs accompagnent les nouveaux, cela aurait pu prendre bien des formes que ce soit sur les formes avec des outils comme l’AFEST, l’accompagnement, mais aussi sur les contenus, la taxonomie. Libérer la parole des apprenants, les écouter pour être au plus près de leurs attentes. Et on peut être surpris. Par exemple, selon une étude du BCG, plus de 60 % des collaborateurs pensent que l’IA va transformer la formation pourquoi pas leur demandé en quoi ?

La grande force de l’excellence est de considérer la formation comme un service proposé aux collaborateurs. Dans un moment où les activités se transforment pourquoi ne pas demander aux usagers du service comment ils perçoivent les changements et même quels sont les changements qui leur semblent pertinents. La culture de l’excellence est un changement majeur pour la formation : construire des outils de pilotages de la connaissance et de la compétence individuelles et collective, mais chaque outil n’est que le reflet de ce que l’on choisit d’évaluer. Encore faut-il choisir une stratégie pour la formation ? Ce que l’on pourrait ajouter c’est que par définition sémantique l’excellence est une façon de se surpasser avec une ambition qui permet l’adhésion et le réenchantement. Quelle que soit l’orientation, les fonctions supports ont besoin d’ambition, plus que de pratique médiane pour exciter les collaborateurs à être porteur d’un projet social.

La formation est un des deux leviers de transformation de l’entreprise (ligne formative et ligne managériale), elle a ceci de particulier, c’est qu’elle peut servir de territoire d’expérimentation sociale et de légitimation sociale de la transformation. L’enjeu n’est plus tant la transition que chacun sait être inévitable, mais les modalités de ces transformations. La politique de l’excellence est un levier de transformation pour engager la transformation globale de l’entreprise par un effet de mimétisme. Remettre l’apprenant au centre de la formation devient un étendard pour construire une transformation heureuse de la formation. Et cette transformation pourrait servir de méthodologie pour une généralisation à toute l’entreprise. Le responsable de formation ne deviendrait-il pas un chief happiness officer ?

Fait à Paris, le 14 mai 2024

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