On parle de plus en plus des décrocheurs, de l’absence de motivation des apprenants, de la difficulté de capter leur attention longuement, … autrement dit, l’apprenant ne fait pas beaucoup d’effort pour être à la hauteur des investissements formatifs de l’entreprise. Une autre vision pourrait être que ce sont les produits de formation qui ne savent pas donner envie aux apprenants. Comment faire en sorte que les formations indispensables à la transformation des entreprises motivent les apprenants ? Comment se fait-il qu’on est capable de motiver des individus pour des yaourts et pas pour des formations ? Que faut-il faire pour érotiser les formations, les rendre désirables ?
1, Arrêtons les formations en blind test
Le 20e siècle a été marqué dans le fait de laisser à l’expert la maîtrise de la pédagogie et de la formation, l’Organisation Scientifique de la Formation (OSF). La conséquence en a été le fait de favoriser la rationalité des contenus et faire en sorte que la ligne hiérarchique impose la transmission de ces contenus. Les apprenants étaient considérés comme des petits-pois, tout le monde dans la boîte apprenait de la même façon.
Le 21e siècle est le siècle de l’apprenant first. Et cela fait un changement majeur. Il va falloir connaître les apprenants. Que veulent-ils vraiment ? Quels sont leurs médias ? Quelles sont leurs pédagogies ? Quels sont leurs usages ? Il est indispensable de développer une sociologie des apprenants. On est capable de le faire pour les clients, pourquoi s’en priver pour les apprenants ? Et cela éviter de produire des formations qui tapent à côté de leur cible.
Dans un monde de plus en plus agile, la création d’un marketing apprenant devient un atout pour pouvoir agir rapidement à la transformation des connaissances et des compétences.
2, Arrêtons d’individualiser les formations, réunissons-les
L’individualisation est au cœur du modèle du 20e siècle, Marcel Gauchet parlait d’individualisme radical. En 1958, Georges Friedmann parlait de l’émiettement de l’entreprise, ce modèle est arrivé à son aboutissement avec ce que Norbert Elias appelait la Société des individus (1989). Pour que la formation soit en miettes, il est nécessaire de penser l’apprenant acteur de ses propres formations, ce qui est conforme à l’esprit Saint-simonien du 19ème siècle, lui promettant ainsi un progrès social individuel.
Le numérique a permis cette individualisation en masse, dès 1981, en développant la pédagogie du One to One. Ce mouvement a fait émerger, dès le début du 21ème siècle, la relation apprenante avec la naissance Learner Relationship Management, la centralisation du pilotage qui permettait en direct de connaître chaque apprenant, grâce à son historique, et de lui proposer la formation qui lui convient au moment où il en avait besoin. Mais comme tout processus marketing, il est à son début centré sur l’offre, et c’est lorsqu’on s’aperçoit de difficultés de débouchés que l’on s’interroge sur la demande. C’est la limite du blind test, à un moment, il faut sortir de la Matrice pour interroger les apprenants.
Si l’on écoute les apprenants, l’individualisation radicale n’a pas eu lieu. Dans ceux qui écoutent, certains considèrent que l’individualisme fait partie du monde d’avant. Le sociologue, Michel Maffesoli, de l’Institut Universitaire de France, considère que le tripode de l’individualisation, de la rationalisation et du progrès, n’est plus d’actualité et qu’il est remplacé par le tripode de la communauté, de l’émotion et de l’immédiateté. Ce qu’il appelait, en 1988, “Le temps des tribus” et que l’on retrouve en formation avec les communautés apprenantes.
La formation professionnelle en entreprise ne consiste plus à émietter les formations à l’individu, mais à mobiliser l’ensemble des collaborateurs autour des connaissances et des compétences qui lui sont propres. Il s’agit de réunir plus de séparer. Dans le nouveau monde, la formation joue le rôle de corps intermédiaire tellement indispensable à la socialisation des collaborateurs, ce que d’autres appellent l’entreprise apprenante.
Le travail du marketing est l’analyse de ces communautés pour en faire des communions apprenante, et le numérique est un outil particulièrement efficace pour mettre en œuvre l’industrialisation de ce “seul ensemble”.
3, Construisons une envie d’apprendre ensemble
L’entreprise est un lieu qui a un impératif, l’opérationnalité. Il faut que la formation fasse son œuvre. Bernard Steigler avait écrit un livre “Réenchanter le monde” (2006) pour proposer de miser sur “l’esprit” dans l’organisation. Et cet esprit se doit d’être émotionnel pour mobiliser les forces vives. Mobiliser et émotionnel ont une racine commune, ce n’est pas pour rien. Ce travail d’organisation doit être entrepris en formation.
Faire ce travail de médiation nécessite de réinterroger nos us et coutumes pour produire. Car au fond, on sait bien que le produit est l’argument marketing majeur. Henry Ford avait dit un jour “Si j’avais demandé aux clients ce qu’ils voulaient, ils m’auraient dit : un cheval plus rapide”… Le marketing n’est pas de demander aux apprenants ce qu’ils veulent, pourquoi le sauraient-ils, vu que souvent les entreprises elles-mêmes n’en savent rien. Le marketing n’est pas la collecter les besoins pour y répondre, mais pour reprendre la citation de Steve Jobs : “notre travail est d’imaginer ce qu’ils veulent avant même qu’ils y pensent”.
Le marketing nécessite de créer un espace de veilles internes et externes, pour nourrir le service formation des signaux faibles et lui permettre de devenir un espace de créativité de formation. La formation se dote de compétences nouvelles pour l’analyse data scientist, la veille, mais aussi pour l’émotion, le design, l’ergonomie, … C’est ce que Donald Norman (1988) avait appelé l’UX et qui commence à faire son entrée dans la formation avec la Learner eXeprience (LX). Le produit de formation vu du point de vue de l’apprenant. On retrouve cette pratique avec par exemple les communautés apprenantes, dont il ne s’agit pas tant de réunir des apprenants ensemble que de créer l’émotion apprenante des Lives, des Mèmes, des Guests, des challenges, … autour de leur commun apprenant, souvent un commun métier. Le marketing nécessite de réinventer l’animation, mais aussi la pédagogie, tout comme l’écosystème apprenant autour de l’émotion, ce que certains appellent la raison sensible.
Comment savoir si le marketing est efficace ? La confiance n’exclut pas le contrôle disait Lénine, il faut donc construire des outils de contrôles. Chaque contrôle n’est que le reflet de ce que l’on veut contrôler. Le siècle de l’apprenant va devoir inverser la pyramide de Kirkpatrick, pour mettre en avant le LSAT (Learner SATisfaction). Si on considère l’apprenant comme adulte, il n’est pas absurde de l’interroger plutôt que de créer des outils de plus en plus improbables qui ne fonctionnent pas. C’est un changement culturel indispensable qui peut prendre bien des formes. La littérature retient souvent le TripAdvisor de la formation, les apprenants évaluent et ils voient les évaluations des autres. Mais il y a bien d’autres outils d’évaluation que le numérique permet comme les taux d’engagement, mais aussi le quantify self, ou encore le fameux Learner Generated Content (LGC) qui a fait son entrée dans bien des entreprises. L’apprenant devient l’étalon de la réussite d’une opération marketing.
Le marketing n’est plus une réclame qui vante les avantages d’un produit. C’est une promesse qui s’inscrit dans le temps, c’est une relation qui dit sa promesse en amont et qui annonce sa réalisation en aval, c’est une nouvelle façon de créer de la confiance. Les marketeurs parlent de fidélisation à la marque, le learnal branding. Le travail de la formation est de faire un plan stratégique de la marque pour définir sa raison d’être, de la communiquer et de l’ajuster en fonction des résultats obtenus. Le marketing est un outil éprouvé qui redonne sa dimension stratégique à la formation, dans le cadre du corporate branding… à condition d’avoir de l’ambition pour les apprenants.
Paris, le 23 mars 2021, publié par MagRH
@StephaneDiebold