Que peut-on dire du Plan d’Investissement dans les Compétences ?

par | 16 janvier 2024 | Organisation

Le 19 décembre 1923, le Comité scientifique de l’évaluation du PIC, Plan d’Investissement dans les Compétences, faisait son 4ème bilan pour rendre compte de ce projet national (Evaluation du Plan d investissement dans les compétences 4e rapport | vie-publique.fr) après 5 années de pratique. Que faut-il en penser ? S’agit-il d’une réussite ou d’un échec pour la qualification de la main d’œuvre ? L’expérience, doit-elle être renouvelé en l’état, abandonnée totalement ou simplement amender ? Quels résultats pour la formation et plus spécifiquement pour la formation des adultes ? Quel enseignement peut-on tirer des PIC ?

1, Les PIC, de quoi s’agit-il ?

Le PIC fait partie du Grand Plan d’Investissement lancé par Edouard Philippe en septembre 2017 pour une période de 5 ans, de 2018 à 2022, avec quatre orientations : transition écologique, innovation, digitalisation de l’Etat et l’investissement dans les compétences. Le PIC est doté d’une enveloppe budgétaire de 15 milliards sur l’ensemble de la période. A compter de janvier 2023, c’est France Travail qui assure le pilotage du PIC en insistant particulière sur les projets régionaux. L’objectif du PIC vise à développer les compétences des publics vulnérables, mais aussi, répondre aux besoins des entreprises sur les métiers en tension et de répondre aux problèmes de transition des compétences en matières numérique, écologique ou autre. L’objectif était de former 2 millions de personnes, autrement dit 7 500 € par personne.

L’objectif était cohérent, on peut rappeler qu’à l’époque, l’INSEE estime qu’il existait par exemple 1,5 millions de NEET (Neither in Employment or in Education or Training), jeunes de 15 à 29 ans. Le PIC est dépensé pour moitié directement par l’Etat avec des programmes nationaux et pour moitié par des accords régionaux qui apporte des financements additionnels au sein des PRIC, Pactes Régionaux d’ Investissement dans les Compétences. Que peut-on en dire ? C’est une réussite, dans le sens où le taux d’entrées en formation des demandeurs d’emploi, en 2022, est 2 fois plus élevé qu’en 2017, soit un montant de 1,6 millions d’entrée dans les programmes de formation. Le taux de demandeurs d’emploi inscrit à Pôle Emploi qui suivent une formation passe de 8,5 % en 2017 à 10,3 %, soit une augmentation de 2 points avec un focus particulier pour les formations certifiantes qui passent de 2,8 % à 4,1 %.

Le PIC a formé en 5 ans plus d’1,5 millions de personnes ayant un niveau inférieur au baccalauréat, dont 450 000 jeunes. On n’est pas loin des 2 millions de l’objectif initial. Si l’on regarde le taux de remplissage des formations, alors que le programme PIC, qui n’a pas encore fini de dépenser l’ensemble de son budget, les rapporteurs estiment qu’il y a un satisfécit sur les populations les plus fragiles, même s’il reconnaisse que globalement le volume des stages de la formation professionnelle avait augmenté « dans des proportions relativement modeste », 6 %.

2, Que faut-il en penser ?

15 milliards est « un pognon de dingue », la moitié d’une année de formation professionnelle en France. Il est légitime de s’interroger sur le fonctionnement de cet investissement en qualification des plus fragiles. Beaucoup dénoncent le « mille-feuille administratif ». Si la région pilote la formation professionnelle depuis 1983 et surtout depuis la loi du 5 mars 2014, « la loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale », les branches professionnelles interviennent aussi, tout comme Pôle Emploi. La gouvernance globale du système était très inégalitaire. Une culture de la coordination doit se mettre en place pour qu’un investissement important trouve son équilibre local global, dans ce que le rapport appelle « un attelage Etat/Région » autour des politiques de requalification régionales.

De plus, certaines régions n’ont pas eu la réussite escomptée. Par exemple, le Grand Est a proposé des formations de soudeurs pour faire face à la pénurie de main d’œuvre dans ce domaine avec l’assurance de trouver un emploi, dès la sortie des embauches puisque le métier est en tension et que les entreprises sont depuis longtemps en attente de personnel qualifié. Le besoin est là, mais les stagiaires ne se sont pas présentés, zéro inscrit. Ce décalage d’adéquation entre l’offre et la demande pose question. Le rapport pointe un défaut de communication faisant l’hypothèse qu’une seule information suffirait à mobiliser les demandeurs d’emploi. Non seulement les déterminants sont plus nombreux, ce qui nécessite une étude par bassin de vie pour reprendre la catégorie de l’INSEE qui dépasse largement la seule information, et il y a sans doute un travail marketing sur l’attractivité de certains métiers pour donner l’envie.

Enfin, si l’on finance plus de 10 000 € pour former chacun des 1,5 millions de personnes formées, il est possible de s’interroger sur l’efficacité de la démarche. Depuis la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF, 2001) l’Etat a conscience de s’engager dans des investissements sans efficacité, et cela pose problème. Il est facile de flécher les fonds en formation, une fois la décision prise de l’allocation, mais là, il ne s’agissait pas tant d’investir en formation, mais d’assurer un retour à l’emploi avec une insertion par la requalification. Combien de personne ont été réintégrées dans le système ? Former, former, il en restera toujours quelque chose. Rien n’est moins sûr et ce d’autant que l’indicateur n’a pas été mis en place pour assurer un objectif et un suivi avec réajustement possible. L’Etat sait former, mais ne sait à quoi cela sert. C’est un problème, il faut sans doute aller plus loin.

3, Pour aller plus loin.

Le bilan identifie le fait que pour les publics fragile, le marché de la formation est structuré autour d’un petit nombre d’organismes de formation spécialisés qu’il évalue au nombre de 10 000. Si l’on compare aux 120 000 organismes de formation déclarés en France, cela fait une niche. L’augmentation de la demande de formation s’est traduite par une augmentation de leur chiffre d’affaires et souvent par l’embauche de formateurs indépendants pour pallier à cet afflux de commandes. Le marché est fragmenté et cet émiettement ne favorise pas l’innovation avec par exemple une refonte numérique de la prestation. On sent dans le bilan un regret de ne pas avoir de plus gros acteurs porteurs de plus de propositions d’innovation. C’est le vieux rêve de diminuer le nombre des OF pour restructurer la filière sur le modèle allemand.

La taille ne fait rien à l’affaire quand on sait ce que l’on veut faire. La formation réinterroge la politique non pas tant sur la vente de formation qui est suffisamment alimenté par le PIC, nourrissant ainsi des producteurs de formation. Mais, sur la structuration même de cette offre de formation. La manne financière aurait pu être l’occasion de restructurer le système, quelle que soit la restructuration. Par exemple, le bilan note l’importance des formations « Aide à la définition de son projet », « stage de remobilisation »… l’idée assez simple, l’apprenant doit être capable de projet professionnel. La projection nécessite de les doter d’une abstraction souvent développer par l’expérience de l’école. Aujourd’hui, les comportements opportunistes semblent mieux adaptés à un environnement en disruption. Tout comme d’ailleurs, les pédagogies affectives semblent mieux adapter à ces publics en manque de motivation intrinsèque, c’est avec la motivation extrinsèque, que l’on peut faire progresser ces populations spécifiques.

Cela aura pu être, aussi, l’occasion de structurer une filière de formation originale, voire de pratiquer une expérimentation avec des métriques qui pourraient faire école. Par exemple, le numérique peut être mutualisé et créer ainsi des formes d’accompagnement nouvelles comme la pairagogie, l’entraide des apprenants, mais structuré de façon à refaire du territoire apprenant partagé. Le numérique est un atout pour connaître et comprendre les apprenants et assurer une fidélisation apprenante, encore, faut-il proposer des projets dans ce sens. La pédagogie des plates-formes pour peu qu’elle soit centré sur l’apprenant devient un outil de socialisation extraordinaire pour les publics fragiles et très complémentaires de l’accompagnement présentiel qui se concentre sur le fait de donner l’envie… dans la durée.

Le PIC est un outil ordinaire de dépenses de formation extraordinaire. 15 milliards est une somme importante, la bonne question est de savoir s’il s’agit de dépense d’investissement ou de dépenses de fonctionnement ? Autrement dit, ce surplus d’engagement, doit-il être reconduit encore pour devenir un budget ordinaire ? Confucius avait cette belle formule, reprise par Mao : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson ». La formation sait apprendre à pêcher. Et cela conduit à deux interrogations. Premièrement, il s’agit de s’interroger sur la demande terrain, en rapprochant les stratégies des entreprises, de celles des institutions et de co-construire un positionnement cohérent, refaire du territoire. A ce jour, quel est-il ? Et deuxièmement, de structurer la filière de formation, l’offre, pour répondre à cette demande ponctuelle, mais aussi à construire la filière de demain. La scalabilité numérique ouvre de belles opportunités. A ce jour, quelle filière veut-on ? Les 15 milliards auraient pu être un véritable accélérateur pour la requalification des territoires et des populations, encore aurait-il fallu avoir une ambition à la hauteur des enjeux.

Fait à Paris, le 16 janvier 2024

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