2020 fut l’année Zoom dans le monde de l’information et de la formation. Cette entreprise américaine fondée il y a juste 10, en avril 2011, pèse aujourd’hui 115 milliards de dollars de capitalisation, sensiblement le même niveau que Netflix, né en 1997. C’est extraordinaire, son chiffre d’affaires progressé de 326 % en 2020 et, selon son CEO, devrait encore progresser encore de 40 % en 2021. En formation, Zoom a démocratisé le One to many, la visioconférence, et surtout le One to few, la classe virtuelle. Zoom a été faiseur de marché même face aux GAFAM. Alors, comment la pédagogie peut-elle s’approprier cet outil ? Existe-t-il une “Zoom pedagogy” ? Comment faire d’un outil une pratique ? Cela, a-t-il du sens ?
1, La pédagogie c’est l’ordonnancement des grains de formation
La pédagogie, c’est le chemin pour atteindre les objectifs définis préalablement que ce soient des connaissances, compétences ou des talents. Qu’est-ce que Zoom peut faire ? Prenons la fonctionnalité principale, Zoom peut partager l’écran avec le groupe et donc favorise les formations Powerpoint, lorsque l’animateur montre et lit ce qu’il montre. Effectivement, ce n’est pas la meilleure animation possible, en présentiel comme en numérique, passer 2 heures à lire un texte est pénible quel que soit le support. Dans le meilleur des cas, cela nécessite un très fort travail de rhétorique du formateur qui doit apprendre à ciseler ses mots et ses émotions pour rendre le pénible attractif. C’est l’animation du Top down ou le 1.0. La pédagogie peut se mettre au service de l’animation avec la possibilité de casser le rythme de l’animation avec par exemple la création de sondages. Pour plus de fluidité, il suffit de préparer les sondages ou les quiz en amont pour soutenir l’animation au gré de son ressenti.
Le 21ème siècle est le siècle de l’apprenant et de son interactivité, le 2.0, qui laisse la main aux apprenants en favorisant le pair à pair et/ou le Bottom up. Zoom favorise les travaux de groupes, grâce à sa fonctionnalité ad hoc, là où nombres de ses concurrents se cloisonnaient à la simple visioconférence avec un tchat, que ce soit Google Meet ou Skype, même Teams n’a pas trouvé une ergonomie comparable. Le tableau blanc interactif permet la restitution avec la prise en mains par les participants. On peut toutefois regretter la faiblesse des fonctionnalités du tableau blanc et surtout son design qui pourrait favoriser des outils comme le Mind mapping ou la carte heuristique par exemple, qui rappelons-le, est né dans les années 40, ou d’autres fonctionnalités comme le Métaplan.
Enfin, et non des moindres, tout ou partie de la session peut être enregistrée, avec possibilité de mettre en pause, lors des exercices pour éviter l’inflation des rushs. Autrement dit, cela ouvre la possibilité avec la formation synchrone de construire des formations asynchrones. L’enregistrement audio et vidéo ouvre des possibilités pédagogiques riches. Cela permet d’avoir à minima des replays pour les non-participants ou des supports pour les participants, mais en plus cela permet de penser des formations post formation, des pédagogies inversées, voir ce que certains appellent du e-learning canal historique. Autrement dit un écosystème apprenant enrichi grâce aux capitalisations successives. Comment ne pas profiter des questions des stagiaires pour faire des “aller plus loin” ou des FAQ qui viennent du terrain. Reste à mettre en ordre tout ce potentiel.
2, La pédagogie c’est donner de la saveur au savoir
Le fait de passer la formation du présentiel au numérique est souvent compris comme un copier/coller des contenus. C’est passer à côté du potentiel des supports numérique. Et ce d’autant que dans notre environnement d’infobésite, il faut capter le “temps de cerveau disponible”, c’est le premier pilier d’Apprendre de Stanislas Dehaene (2018). Comment rendre la formation extraordinaire, étymologiquement sortir la formation de son ordinaire. Il ne s’agit pas tant d’une surenchère pédagogique que de réenchanter les contenus. L’apprenant est un homo festivus. Et si l’on cherche à connaître les apprenants pour ce qu’ils sont et non comme on aimerait qu’il soit, il faut les écouter répondre à leurs attentes, mieux de les anticipées. Zoom, permet-il l’extraordinaire ?
Et bien oui, c’est tout le charme du numérique, grâce au web, il est possible de faire venir le monde dans sa formation. C’est la pratique des guests et plus particulièrement des guest-stars, faire venir des personnalités du domaine dans la formation. Pourquoi ne pas profiter de cette valorisation qui devient possible pour une personnalité de “passer une tête” pendant 30 minutes ou 1 heure ? Il suffit d’envoyer le lien à ses invités, rien de plus. La politique des invités permet des benchmarks avec des stars, mais aussi avec de simples guests. Imaginons le lancement d’un nouvel outil numérique, pourquoi ne pas interroger un invité qui des alter égo dans d’autres entreprises qui ont connu les mêmes interrogations et qui ont connu un succès story et répondre aux apprenants par leurs pairs. C’est une belle opportunité pédagogique.
Mais, grâce aux sous-groupes, il est possible de réinventer des pédagogies. Prenons le cas des World cafés ou les Tables apprenantes qui sont les outils de développement de la culture des entreprises apprenantes. Le numérique le permet à condition de l’oser. Et la motivation est au rendez-vous… même numériquement. Et on pourrait ajouter la possibilité de faire des learning expeditions, soit en partageant une vidéo, sur le modèle de “Première” de YouTube et stimulant les commentaires, soit en visitant en direct avec une personne qui fait visiter un musée, une entreprise, … et après le collectif peut travailler avec l’analogie. La visite du château de Fontainebleau se fait visiter en présentiel pour une learning expedition, pourquoi pas le faire en numérique avec une animation et le plus du numérique, c’est la capitalisation de la vidéo et de l’audio. Seule la créativité du pédagogue limite son domaine des possibles. Avec Zoom, il ne faut pas se poser la question qu’est-ce que l’outil peut m’apporter, mais comment je vais inventer des usages que l’outil n’avait même pas envisagés ?
3, La pédagogie, c’est aussi organiser l’animation des formateurs
L’animation a toujours été le parent pauvre de la pédagogie pour de nombreuses raisons que l’on a exposé dans un autre article (https://affen.fr/pedagogie/quest-ce-quun-bon-formateur/). Mais, aujourd’hui, tout change. Elle devient une force essentielle pour la réussite d’une formation. Et l’animation Zoom pose problème, comme toute rencontre synchrone : l’écran fait écran à la contagion émotionnelle. Un animateur présentiel peut par exemple faire un clin d’œil à un stagiaire pour lui montrer qu’il a compris son attente, et lui permet ainsi de réguler le groupe. Avec Zoom, un animateur qui fait un clin d’œil et tout le monde considère qu’il a un tic, parce que personne ne comprend le sens du signe. Or, la sémiologie est un outil essentiel de l’animation présentiel.
Il existe bien une animation Zoom ou synchrone. Il s’agit de compenser la contagion émotionnelle des micro-signaux. C’est la pratique de la sur-interpellation des apprenants. “Toi Vincent tu…” triple interpellation pour capter l’attention des apprenants. Et l’avantage est que les noms sont inscrits sous chaque apprenant, ce qui favorise l’interpellation. Et pour les animateurs qui ne mémorisent pas les noms, c’est un atout supplémentaire. Et le mode Gallery permet à l’animateur de faire des passerelles entre les apprenants et son animation permet de donner du rythme et de l’émotion à sa formation. L’animateur doit se construire une communication de zappeur pour toucher le plus de monde, le plus de fois possible.
La rhétorique du formateur nécessite d’utiliser les mots pour refaire du lien et donc nécessite de se professionnaliser pour construire une élégance d’animation. Quelles que soient les techniques que l’animateur met en œuvre, il se doit d’avoir des outils pour utiliser le verbe pour relier. Et tout particulièrement, dans des situations difficiles où la violence peut s’inviter, l’animateur doit construire sa posture de formateur coach. C’est de même nature que les formations en présentielles, mais pas de même degré, cela nécessite un investissement, voir un surinvestissement, de régulation. Zoom nécessite de professionnaliser le métier d’animation.
Comment conclure ? Zoom est un outil, même si l’outil n’est jamais neutre, il ouvre des opportunités stratégiques pour la formation, à condition de sortir de son seul usage, et de l’intégrer dans un écosystème centré sur l’apprenant. Jamais la pédagogie n’a eu un impératif d’être aussi créatif, inventer et se réinventer avec une myriade d’outils nouveaux numériques qui sont à la disposition des pédagogues. Le pédagogue devient un créatif de formation.
Fait à Paris, le 08 juin 2021
@StephaneDiebold