Comment définir les objectifs en formation ?

par | 21 février 2023 | Pédagogie

LES FONDAMENTAUX DE LA FORMATION.

La définition des objectifs est au cœur de l’ingénierie de la formation, former pour quoi, mais aussi de la pédagogie, vers où conduire les apprenants. C’est aussi toute la difficulté de l’exercice. Abraham Lincoln disait qu’ « un objectif bien défini est à moitié atteint ». Comment construire des bons objectifs en formation ?

1, La définition des objectifs pédagogiques

Cette pratique est née en 1935 aux Etats-Unis avec le travail de Ralph Tyler qui propose une organisation scientifique de la formation fondée sur des comportements observables et mesurables. « Le responsable doit comprendre l’importance du marketing dans son métier » n’est pas un comportement observable à la différence de « Le responsable de formation doit être capable de construire un programme de marketing qui atteigne un taux d’engagement de 20 % pour les formations managériales ». On peut rappeler qu’à l’époque, la culture était behavioriste et que cette rationalisation avait pour finalité le progrès social.

De nombreux auteurs ont apporté leur concours à cette rationalisation. La référence est Benjamin Bloom avec sa fameuse « Taxonomie de Bloom » crée en 1956. Il s’agit de construire 6 types d’objectifs partant du plus simple au plus compliqué : la connaissance, la compréhension de la connaissance, l’application, l’analyse, l’évaluation et la création. Par exemple, la connaissance se traduit par des verbes comme mémoriser, nommer, répéter, identifier, décrire, définir, dupliquer, montrer, dire, pour définir les objectifs liés à cet objectif de base et de pourvoir construire plus facilement des critères d’évaluation. D’autres auteurs comme David Krathwohl (2002) propose des aménagements pour introduire les processus cognitifs sortant par là même de la démarche behavioriste, mais proposant une démarche plus dans le paradigme dominant contemporain.

La grande critique du modèle de Benjamin Bloom, et qui en fait aussi sa force, est la rationalisation. Une fois que les objectifs sont bien définis, la pédagogie prend le relais avec la définition des grains de formation. Cette fragmentation fine de la pédagogie permet de calculer étape par étape la progression vers l’objectif quantifié. On parle même d’ingénierie de la formation tant la rationalisation a ses adeptes. Mais cette rationalisation centrée sur les contenus laisse peu de place à l’apprenant, ce qui renforce la posture de l’infantilisation des apprenants et pose de le problème d’en faire des acteurs, voir des auteurs de leurs apprentissages. La critique principale à ces méthodologies est que dans un monde en disruption, il devient de plus en plus difficile de définir des objectifs précis avec deux écueils : soit l’objectif est tellement généraliste que l’objectif devient valise et inutile, soit l’objectif est trop précis et il devient tout à la fois très bureaucratique et très vite obsolète. Le modèle de Bloom reste toutefois un marqueur dans le paradigme dominant de la culture de la formation.

2, La définition des objectifs par compétence

La notion de compétence est née en 1971 avec Noam Chomsky dans la linguistique et s’est ensuite déployée dans le monde de la formation professionnelle dans les années 80. Le point d’orgue social est en 1998, le lancement par le CNPF d’ « Objectif compétences ». Dès le début la littérature à soulever l’opposition entre les compétences individuelles et les savoirs collectifs, une responsabilisation des apprenants dans leurs apprentissages qui interroge. C’est un changement culturel par rapport à l’Organisation Scientifique de la Formation avec l’introduction de l’imprévu dans la rationalité et sur l’adaptabilité qui est son corollaire. Guy Le Boterf parle même de « savoir-agir ». Le passage à la compétence est « l’actualisation de ce que l’on sait dans un contexte singulier marqué par les relations de travail, une culture institutionnelle, des aléas, des contraintes temporelles, des ressources » (De la compétence, essai sur un attracteur étrange, 1994).

Reste à construire les référentiels de compétences qui permettent d’établir les objectifs de la formation. Et dans un monde qui bouge, il faut structurer l’évolution de ces changements. Ce fut l’idée de la loi Borloo (2005) qui crée la GPEC, Gestion Prévisionnelle des Emplois et des compétences. La lourdeur du processus 4 à 5 ans pour construire une cartographie, là où des entreprises ont des visibilités de quelques mois, et surtout, l’inefficacité de la prévision ont enterré l’ambition de la loi, transformant la GPEC en GEPP, Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels (2017), la fin de la prévision. En 2017 l’Institut du futur, basé à Palo Alto, a présenté une étude qui montre que 85 % des emplois de 2030 n’existaient pas à l’époque. Autrement dit, si on ne sait pas où on va, il est difficile de définir des objectifs à atteindre et la mécanique de la formation de masse ne peut pas se mettre en place, sauf à inventer une nouvelle machine à former.

La définition des objectifs par compétences pose même problème que la définition des objectifs pédagogiques : il est difficile de construire des objectifs mesurables. Certains contournent la difficulté en prônant l’agilité des compétences : faute de les définir, il s’agit de se préparer à les changer. Autrement dit, faute de choisir des référentiels, on travaille au fait de ne pas en avoir. C’est tout l’enjeu par exemple des softs skills, ces compétences douces. Mais là encore la mesurabilité pose problème. Quel est l’objectif quantifiable pour une formation de gestion du stress ? Il existe des taxonomies et des indicateurs de la « bonne » gestion du stress, mais quel est la bonne gestion du stress pour l’individu et pour l’entreprise ? Comment organiser un référentiel socialement acceptable qui permet de piloter la pédagogie, la progression vers ce référentiel ?

3, La définition d’objectifs alternatifs

Les critiques précédentes ont conduit certaines entreprises à aller chercher des solutions vers les talents. Le responsable de formation devient un responsable des talents. Suivant les définitions, un talent est une compétence anticipée, un potentiel de compétence. Autrement dit, on n’est plus dans le savoir-faire, mais dans une estimation d’un futur savoir-faire. « Tout changer pour que rien ne change » disait Luciano Visconti. L’évanescence des définitions ne doit pas nous faire oublier que la mécanique de la formation dépend de la précision des objectifs. Le caractère scientifique est préservé en s’adossant à des tests de personnalité. Mais le problème reste le même pour l’entreprise. Si on reprend l’exemple des soft skills, comment évaluer le talent d’un manager inspirant ? Et pourtant, c’est essentiel dans l’engagement des collaborateurs. Il n’existe pas d’outils, il faut donc les inventer. Pareillement, si on veut former au lâcher prise, un véritable talent d’agilité personnelle, comment calculer un pourcentage de lâcher prise ? Il est besoin de faire un travail d’organisation pour construire des indicateurs socialement acceptés.

Une autre solution est de demander à la machine de définir des objectifs individuels et/ou collectifs. C’est la politique du Big Data particulièrement bien adaptée aux soft skills. Au lieu de définir des objectifs standards pour l’ensemble de l’entreprise, le Big Data comme son nom l’indique brasse des données personnelles, possiblement anonymisées, pour construire des diagnostics personnalisés. La machine connaît mieux l’apprenant qu’il ne se connaît lui-même. Le numérique permet la construction des talents avec les indicateurs qui assurent le pilotage. Le pilotage de la formation peut même se faire par l’apprenant avec une politique de quantify-self qui lui donne la main sur les outils de progression pédagogique. La politique de réduction de risques par exemple de burn-out trouve ainsi une capacité à générer des objectifs quantifiable individuel et collectif, mieux une politique de prédictibilité, construire des objectifs sur des problèmes qui n’existent pas encore.

D’autres, enfin, proposent des Learning contrats qui représentent une belle innovation sociale. Eu égard au flottement des référentiels centralisés, pourquoi ne pas proposer des définitions d’objectifs partagées, ce qui est partiellement en germe dans les entretiens professionnels, mais là avec des indicateurs co-inventer. Si l’on reste sur la gestion du stress, il existe des bracelets d’évaluation. L’entreprise française Mercurochrome a lancé des bracelets connectés comme « coach stress » pour moins de 40 euros et avec près de 10 ans d’expérience, reste à construire autour de ces outils de e-santé des courbes d’apprentissage socialement accepté, c’est l’enjeu de ces learning contrats qui partent des aspirations des apprenants pour les faire progresser. La même chose peut être faite avec le hard skills. Cette pratique des learning contracts s’inscrit bien dans la politique de responsabilisation des apprenants qui est aujourd’hui dominante. L’entreprise co-produit les talents de chacun.

L’interrogation sur les objectifs de la formation questionne la forme même de la formation. Dans un monde qui bouge, il est normal de faire bouger les choses. La chose formative bouge avec le monde et réinterroge ses pratiques. La notion d’opérationnalité ne doit pas nous faire oublier que la chose est sociale. Le rêve de l’Organisation Scientifique de la formation qui est de vouloir tout mesurer à l’aune de la raison, laisse place à à l’innovation. On a pu voir par exemple, la pédagogie de la résonnance (Harmunt Rosa, 2022), une autre façon de penser la raison avec ce que Michel Maffesoli appelle la raison sensible. C’est un moment magique où il est possible d’écouter les idées. « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent » (Mao, 1957) avant qu’une nouvelle normalisation définisse la future forme de la formation. Profitons de l’instant présent.

Fait à Paris, le 21 février 2023

@StephaneDIEB pour les commentaires Twitter

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