Comment les soft skills, deviendront-elles des hard skills ?

par | 19 septembre 2023 | Pédagogie

L’appellation « Soft skills » a eu 50 ans en 2022. Elle est née aux États-Unis, et, est aujourd’hui, plus que jamais d’actualité. Le Forum de Davos dans son « Future of jobs report 2023 » en fait le cœur de l’avenir, comme en 2022 d’ailleurs avec un accent particulier sur l’adaptabilité aux nouvelles technologies. Tout le monde est d’accord, sur l’importance des soft skills, mais de quoi parle-t-on au juste ? Quelle définition, quelles métriques pour les soft skills ? Quel pilotage pour quel objectif ? Comment en faire une véritable politique de formation ?

1, Comment définir les soft skills ?

La première idée, et souvent la seule est que les soft skills se définisse par défaut. Il s’agit des compétences qui ne sont pas « hard ». Le « hard » étant la compétence calibrée comme par exemple la technique ou les mathématiques, il y a ceux qui savent résoudre une équation différentielle de premier niveau et ceux qui ne savent pas. Il existe un référentiel pour les hard skills, il suffit de l’appliquer. C’est la raison pour laquelle les soft skills se sont dotés d’un référentiel. AFNOR propose même une première norme de référence, la NF X50-767. Elle définit les soft skills comme « une attitude à mobiliser et à mettre en œuvre des ressources personnelles pour agir efficacement dans un contexte professionnel ». Une pierre est posée pour le travail d’édifice d’une définition commune.

On pourrait ajouter le livre « Le défi des soft skills, comment les développer au 21ième siècle ? » (2022, Jérémy Lamri, Michel Barabel, Todd Lubart et Olivier Meier, Dunod) qui propose 10 soft skills à travailler : la communication la collaboration, l’influence, la gestion d’équipe, la transmission, l’anticipation, la pensée logique, l’approche systémique, le processus créatif, et, le développement de soi. D’autres proposent d’autres listes, cela tourne toujours autour du relationnel et de la cognition. Tout est bon, mais le diable se cache parfois dans les détails. Prenons un exemple : « le développement de soi » qui est défini par la capacité de chacun à s’auto-évaluer, introspection, et la capacité à identifier les moyens de les mettre en œuvre. Lorsque l’on sort des définitions génériques, il devient délicat de trouver des indicateurs opératoires. Le développement de soi comme capacité à s’auto-évaluer et identifier les moyens à mettre en œuvre fait pâle figure face à toutes les composantes de soi et de la partie de soi qu’il faudrait développer. Comment choisir parmi toutes les définitions ?

On peut noter deux points. Le premier est que les soft skils abordent le domaine de la personne et non plus de l’individu. Certains y voient une porosité forte entre la vie privée et la vie professionnelle. A trop socialiser, on réduit la place de l’intime et de la poésie de chacun. La question est philosophique, mais loin d’être neutre, particulièrement dans le taux d’acceptabilité social. Le second point est le fait que choisir des compétences comportementales est plus facile à évaluer d’une compétence cognitive. La perfection du geste se voit et se calcul, la perfection de la cognition est plus difficilement à observer, même si des outils existent.

2, La mesurabilité comme clé

Le problème est à la fois la taxonomie et la mesure de cette taxonomie. Prenons un exemple, tout le monde semble d’accord pour dire que la compétence relationnelle est importante pour les métiers de contact, comme les managers. Qu’appelle-t-on une relation ? Beaucoup la résume à la communication, qui est généralement assez bien calibrée autour grâce à des notions de leadership et de manager coach. Mais d’autres définitions existent, comme par exemple, la sémiologie parle de la contagion émotionnelle avec les neurones miroir. Quelle définition faut-il retenir ? Lorsque l’on sait que les micro-signaux sont à l’origine de la confiance, de l’autorité, de l’authenticité, et que cela est scientifiquement démontré, faut-il intégrer la sémiologie dans toutes les formations de managers ? Il existe encore bien d’autres définitions possibles, comment choisir ? C’est le travail de taxonomie sociale, ce que la société dit être le vrai, le bien.

Une fois poser le choix du contenu, se pose la question des métriques. Comment mesurer la qualité relationnelle d’un manager ? Encore une fois, c’est tout le travail du social que de construire avec une compétence, un outil d’évaluation qui soit accepté. On le sait le thermomètre ne fait pas le malade, mais il permet de mesurer la performance et donc le progrès quelle que soit la notion d’objectifs retenue. Parler par exemple de la rhétorique du manager  nécessite de lui donner une définition socialement acceptée. Une compétence sans évaluation est incantatoire.

La technologie peut venir au secours des soft skills. Si l’on prend par exemple une politique de bien être, voire de bonheur, la technologie peut permettre de construire des indicateurs de performance et donc de ROI. Les wearables sont des très bons outils d’évaluation en reprenant par exemple la fréquence respiratoire le bracelet connecté deviennent un outil d’évaluation extraordinaire qui connaît mieux le bien être de la personne que la personne elle-même. Offrir une Apple Watch ou une Scan Watch (WeThings) est un outil intéressant pour construire des indicateurs de performance. La formation est alors capable de quantifier en temps réel le bien-être individuel et donc d’évaluer les besoins qui correspondent à la politique de formation de l’entreprise.

3, Le problème est social

La question de la définition des soft skills est de même nature que la définition des hard skills. Lorsque Frédéric Taylor a proposé l’Organisation Scientifique, il s’est trouvé confronté à la même situation, quelle taxonomie pour standardiser le travail ? Il a demandé à Franck et Liliane Gilbreth de décomposer les mouvements pour pouvoir créer des standards plus efficaces, de les simplifier et ensuite de les chronométrer. Ce travail d’ergonomie des compétences a permis de faire le travail d’organisation et de supervision autour d’indicateurs de performance. Les hard skills n’étaient pas naturellement transposables en standard, c’est ce travail de définition qui a permis le passage des compétences de l’artisan à celui de l’ouvrier.

Le travail de standardisation sociale nécessite de choisir des indicateurs. Un ouvrier spécialisé n’est pas plus facile à standardiser que le bonheur d’un collaborateur. Les standards ne valent que ce que tous veulent bien en faire. Si l’on veut définir les compétences du manager du 21ième siècle, il est nécessaire de choisir des composantes, et donc d’en supprimer d’autres. Si l’on dit que le manager doit être communicant pour un niveau 1, les bases, il faut définir les composantes, avec par exemple les accusés réceptions positifs, les questions ouvertes, l’écoute active. Un algorithme peut très bien lire/écouter chacune des composantes pour évaluer en temps réel un indicateur. La formation peut alors faire son travail d’ordonnancement et de pédagogie pour des soft skills comme pour les hard skills.

Enfin, l’usage des indicateurs est aujourd’hui en interrogation, et la réponse est encore une fois sociale. S’agit-il de permettre aux apprenants de s’auto-évaluer autour de politique de quantify-self, horizontalisation de l’évaluation, ou une politique de Big data, verticalisation de l’évaluation, ou même un mixte des deux ? Le siècle dernier était marqué par une défiance sociale, lutte des classes oblige, aujourd’hui la défiance est toujours au rendez-vous, mais avec d’autres raisons. La solution comme précédemment nécessite de s’engager dans une courbe d’apprentissage pour construire des usages partagées par l’ensemble du corps social, faire de l’entreprise une Learning compagny.

La question des soft skills est une question importante, car elle répond à un besoin social. Dans un monde en disruption, où par définition, on ne sait pas où l’on va, beaucoup préfère incanter les soft skills que de faire le travail de construction des formes de la formation des soft skills. Quand on ne sait pas où l’on va, et que la projection est difficile, il reste le militantisme, militer dans les compétences que l’on croit bonne et marketer cette proposition sociale pour faire adhérer l’ensemble de l’entreprise, érotiser la formation autour de compétences que l’on a choisi, c’est un des rôles essentiel du responsable de formation pour assurer la transformation des soft et des hard skills.

Fait à Paris, le 19 septembre 2023

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