Comment manager à distance ?

par | 30 novembre 2020 | Pédagogie, Responsable de formation, Technologie

Un nouvel Accord National Interprofessionnel (ANI) est en train de se signer avant la fin de l’année 2020 sur le télétravail. Il reprend en cela les termes du précédent ANI précédent sur le sujet (19 juillet 2005) et de l’ordonnance du 22 septembre 2017 qu’il réactualise. Le télétravail est à l’honneur, tout particulièrement avec les deux confinements successifs. Et le télétravail appelle le management. Comment manager des télétravailleurs ? Y a-t-il des spécificités par rapport au management en présentiel ? Y a-t-il un nouveau modèle managérial qui se dessine ? 

1, S’agit-il du retour du management des tâcherons ? 

“Le télétravail désigne toutes formes d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par le salarié hors de ses locaux, de façon volontaire en utilisant les techniques de l’information et de la communication”. Le lieu de la réalisation de ce télétravail peut être le domicile du collaborateur, ou des lieux-dits comme des espaces de coworking. Comment manager cette situation nouvelle ? La situation n’est pas si nouvelle que cela puisque la loi de 2005 proposait déjà un encadrement juridique, la nouveauté tient à réactualisation, rappelons que 2005, c’est le tout début de Facebook, donc de nouvelles pratiques sont apparues. Mais surtout, la nouveauté tient à sa généralisation tout particulièrement avec les deux confinements successifs. On peut noter que certains métiers ne permettent pas le télétravail, un ouvrier sur une chaîne, un vendeur en boutique, un ramasseur d’ordures, … principalement des métiers à faible valorisation, et cela pose des questions. Mais pour le reste, le télétravail est une alternative intéressante à condition de savoir le gérer. 

L’organisation en télétravail reprend une organisation traditionnelle, celle du management avant le salariat. Le salariat est né de l’industrialisation, au 19ème siècle en France, tous sur le même lieu de travail, avant il y avait les tâcherons qui vendait leur tâche, on dirait aujourd’hui, les freelances. Si la subordination du salarié demeure, l’organisation par tâcheron peut être un exemple intéressant. Aujourd’hui, il existe 3 millions d’indépendants pour 26 millions de salariés. Mais la frontière n’est pas sans porosité. Au sein de l’entreprise, on parle de plus en plus d’intrapreneurs, ces salariés qui se comportent comme des indépendants. Les salariés eux-mêmes font bouger les frontières, en 2016 McKinsey avait estimé qu’en France, il existait environ 13 millions d’indépendants, autrement dit majoritairement des salariés qui veulent se faire un complétement de salaires en dehors des locaux de l’entreprise et pour leur propre compte. Le mouvement s’est enclenché depuis le 21ème siècle, certains y voit la fin du salariat, au moins nous pourrions y voir avec le télétravail une nouvelle façon de réguler certains comportements. 

Le changement managérial majeur du télétravail, est comme dans le cas du management des tâcherons, de remplacer un management d’obligation de moyen en obligation de résultat. Pour le salarié, l’obligation de moyen est une obligation pour laquelle il doit faire la preuve qu’il a mise en œuvre tous les moyens à sa disposition pour accomplir la prestation même si le résultat n’est pas là, alors qu’avec l’obligation de résultat, c’est la réalisation qui fait foi, laissant au collaborateur une plus grande latitude quant au process de réalisation. Cette distinction, bien établie dans la littérature juridique, amène un changement majeur dans le management du télétravail. Le manager ne peut plus accompagner le collaborateur comme il le ferait sur le lieu de travail, il lui laisse donc à son domicile s’organiser comme il le veut, c’est un élément de l’acceptabilité social, pour ne parler que du résultat. C’est la performance du tâcheron. C’est aussi ce qui existait déjà dans l’entreprise pour les métiers qui ne restait pas dans l’entreprise, comme par exemple, les commerciaux, il y avait les revues d’affaires pour évaluer leur performance et le suivi de cette dernière. La nouveauté tient surtout au fait de généraliser une pratique marginale à l’ensemble des salariés, ou au moins la majorité. De quelles pratiques s’agit-il ? 

2, Comment réussir son télémanagement ? 

L’obligation de résultat nécessite de définir la qualité attendue de la prestation. Toutes les méthodes sont bonnes, mais souvent la plus retenue, pour des raisons mnémotechniques, est celle de Georges Doran en 1981 avec l’acronyme SMART qui formalise le management par objectif de Peter Drucker : Spécifique, Mesurable, Acceptable, Réaliste et Timé. La nouveauté avec le télémanagement, ce n’est pas tant l’outil, que l’acceptabilité de la quantification, autrement dit construire des indicateurs 2.0. Que ce soit sous forme de réunion ou d’entretien individuel, la transmission nécessite plus que d’accoutumer de valider avec le collaborateur, afin qu’il s’approprie bien l’objectif, la reformulation et la définition des modes opératoires est souvent un bon outil de rassurance pour le manager. 

Le travail de télémanagement consiste comme en présentiel à créer des routines de performance. La routine consiste à économiser l’attention du collaborateur. Toutes les méthodes sont bonnes. On pourrait reprendre la “technique des 90 jours”. On définit une routine hebdomadaire, tous les lundis par exemple pour assurer le suivi. Cela permet d’utiliser le collectif pour soutenir l’engagement individuel des collaborateurs. Tous les 7 jours, tous les 30 jours et tous les 90 jours. Les routines mensuelles et trimestrielles permettent de gagner en perspective et de donner du sens au travail par tâche. Ces routines de performance permettent de mutualiser le télétravail autour des résultats, mais ce n’est pas suffisant. 

Dans le management contemporain, c’est l’affect qui fait le lien pas la seule rationalisation des performances. Il faut donc mettre en œuvre des outils pour mutualiser le process autant que le résultat. Ce sont des outils comme Slack ou Teams où chacun peut suivre l’avancer du travail de tous. C’est une façon de resocialiser les collaborateurs en organisant le pair à pair. Et cela présente un avantage complémentaire, le knowledge management, le collectif sais et apprend du travail des autres. Si d’aventure un collaborateur quittent l’entreprise, ses connaissances et ses compétences restent pour partie dans le collectif. 

3, La clé du succès du management distanciel 

Si le 20e siècle a été marqué par la rationalisation des process avec l’Organisation Scientifique du Travail (OST), le taylorisme, c’était avec une certaine idée de l’homme, l’individu rationalisant comme progrès social.  La raison comme process et comme objectif. Le 21ème siècle a ouvert une perspective nouvelle avec l’émergence de l’émotion. L’homo sapiens devient aussi demens pour reprendre le beau terme d’Edgar Morin. Informer n’est pas suffisant, il faut réenchanter la rationalisation tout particulièrement en ces périodes d’infobésité. Comment réenchanter un management distanciel ? 

Une des techniques de réenchantement est de créer un management extraordinaire, étymologiquement qui sorte de l’ordinaire. L’ordinaire étant la routine managériale, le “comme d’hab”, l’extraordinaire sort des routines. Faire de l’extraordinaire en distanciel, qu’est-ce que cela veut dire ? Le numérique ouvre de belles perspectives comme faire des partages de pratiques, du benchmark hors de l’entreprise, des groupes de paroles, des managers inspirants, …   On peut inviter le monde entier dans son management. Mais l’extraordinaire peut aussi être interne, comme par exemple des techniques d’entreprise apprenante. Il est possible de faire un world café numérique pour libérer la parole sur des pratiques ou des tables apprenantes. 

Le management doit construire des communions managériales pour cristalliser les collaborateurs distanciels autour du projet de l’entreprise. Un collaborateur est pour reprendre le mot de Philippe Muray, un homo festivus et le rôle du manager est d’organiser, de fêter la fête, le manager devient un homo festivus festivus.  

Le distanciel pose les mêmes questions que le présentiel… à savoir comment réenchanter les collaborateurs autour du projet de l’entreprise. C’est le travail du corporate branding, redonner du sens qui fasse sens.  C’est le travail de la ligne hiérarchique que d’assurer la transformation culturelle de l’entreprise et la fonction formation a son rôle à jouer. Elle peut former, mais aussi donner l’exemple, faire de la formation un moment extraordinaire avec une pédagogie affective pour que le management puisse se servir de l’expérience et du crédit de la formation pour accélérer sa propre réinvention. Le distanciel est plus une question… reste à tous à créer ensemble les bonnes réponses… 

Fait à Paris, le 30 novembre 2020

@StephaneDiebold

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