Comment réenchanter nos pédagogies vidéo ?

par | 9 novembre 2021 | Pédagogie, Technologie

Cisco a inventé le barbarisme de “vidéoïfcation”… l’avenir de la formation, passera-t-elle forcément par la vidéoïfication ? Autrement dit, la vidéo, va-t-elle devenir l’outil star de la pédagogie numérique ? Et surtout quel usage ? Macluhan disait que le média est le message (1964), chaque média a sa grammaire propre. Comment écrire une pédagogie qui répond aux enjeux de la formation ? Quels sont les atouts et les handicaps de la vidéo ? La neutralité de l’outil n’existe pas, reste à en comprendre les usages pour construire la ou les nouvelles pédagogies de la formation. Comment marier efficacement pédagogie et vidéification ?   

1, La vidéo est un très bon outil pour la pédagogie canal historique 

L’archétype de la vidéo canal historique est Canal U lancé en 2 000, il reprend les cours filmés du CNAM. Il s’agissait des replays des cours d’Amphi. Le cadrage était sommaire avec une vidéo plein écran centré sur le professeur, sans plan de coupe… durée de la formation 2 à 3 heures. L’expert parle aux apprenants. Top down. Même si l’enregistrement était dans les conditions du direct, tout était sous contrôle puisque les techniques du direct comme le streaming (qui est né avec l’émergence du web en 1993, ne s’est massifiée qu’en 2007) n’était pas utilisé. Il s’agissait d’une vidéo remontée post enregistrement. Le cours se privait d’un atout important dans les usages, le fameux FOMO (Fear Of Missing Out), regarder le replay du live parce qu’il peut s’y passer quelque chose. Là, tout était calibré et recalibré par les experts de l’expertise, pas de surprise. 

Pédagogiquement, regarder une vidéo est la stratégie du one to one, l’apprenant est seul face à sa vidéo. C’est le rêve de l’Organisation Scientifique de la Formation que d’avoir un contenu d’expert réutilisable à merci pour assurer la rationaliser de la transmission pour tous. Que du bonheur pour l’économie du savoir, mais pas pour l’économie des apprenants. L’apprenant est considéré comme un individu, étymologiquement, la brique élémentaire d’un système. Les apprenants sont comme des petits pois, ils sont tous formés en boîte. La formation émiette les apprenants pour reprendre le terme de Georges Friedmann (1956), la formation en miettes. Former n’est pas apprendre, la formation est un apprentissage social. La vidéo dans son usage one to one, souffre de cette absence de socialisation des apprenants. Il est nécessaire de faire du sens et de la motivation, soit en réunissant avant/après le collectif pour en parler, soit en regardant ensemble la vidéo de façon synchrone. C’est par exemple, la fonction “Première” de YouTube qui permet de regarder ensemble une vidéo asynchrone “en live”. C’est le fameux seul ensemble. 

L’individualisation nécessite ce que les sociologues appellent l’érotisation de la formation. C’est tout le travail du responsable de formation ou de l’ingénieur pédagogique que de recréer avec une vidéo des aventures à vivre ensemble. Le marketing, c’est donner envie, ce n’est pas pour rien que le premier événement national sur le marketing de la formation a eu lieu en 2001, le début de l’odyssée de l’engagement. L’apprenant à de plus en plus de vidéos disponibles gratuitement sur le web, ce qui lui manque, c’est l’appétence, et le rôle des pédagogues que de construire des parcours qui donnent envie aux apprenants de s’engager dans les formations. Dans les entreprises qui se déverticalisent, où le collaborateur est de plus en plus responsabilisé, le marketing devient un atout pédagogique majeur. 

2, La vidéo asynchrone, le premier usage 

Le double avantage de la vidéo asynchrone est la capitalisation et la scalabilité. On peut constituer une bibliothèque de connaissances et de compétences que l’on organise autour de parcours. La mise à disposition de ressources pédagogiques a souvent été un échec des stratégies de vidéoïfication. C’est ce que Sheena Iyengar a montré avec l’expérience des pots de confitures, plus on propose de choix moins la personne choisit. Le pédagogue doit choisir ses vidéos et faire son travail de réenchantement. Reste que la vidéo a bien évolué depuis les débuts de Canal U, aujourd’hui, s’il y avait un modèle, ce serait TikTok. On peut rappeler que TikTok fait des tutos professionnels comme par exemple des tutos Excel avec une pédagogie originale : accélération de l’image, mise en lumière par les filtres, musiques, stickers pour les messages importants, … la scénarisation pédagogique évolue et surtout se démocratise.  

Si la vidéo devient de plus en plus attractive, elle n’en reste pas moins un média 1.0, et les apprenants veulent du 2.0. Ils veulent participer à leurs apprentissages avec au moins la possibilité de donner leur avis. Le like devient un signe d’engagement qui est fortement corrélé à l’apprentissage. La vidéo devient de plus en plus une prise de position qui ouvre au dialogue. Christian Salmon parle de l’ère du clash (2019) pour se faire entendre et ouvrir le débat et l’engagement. La rhétorique du formateur doit susciter la réaction. Et l’idéal est d’avoir un espace de capitalisation avec par exemple une communauté apprenante qui permet de façon asynchrone de regarder la vidéo, mais de profiter aussi du pair à pair, en regardant les réactions des autres. Le formateur devient animateur de communauté apprenante autour de la vidéo. 

Mais le summum de la vidéo asynchrone est de demander aux apprenants eux-mêmes de produire du contenu vidéo, c’est le Learner Generated Content (LGC). C’est une pédagogie par définition 2.0, bottom up. Chaque apprenant est doté de son propre smartphone. Il peut par exemple réaliser des questions vidéo ou des gestes métier, et le pédagogue construire la scénarisation. Des FAQ nourrissent un MOOC ou une MasterClass en le rendant plus opérationnel. Le travail du pédagogue est de mettre en forme les contenus et de stimuler les apprenants à devenir créateurs de contenus vidéos. 

3, Les vidéos synchrones, la révolution de 2020 

Le 17 mars 2020, le confinement a eu une conséquence, renforcé par le FNE-formation nouvelle génération, la massification des classes virtuelles et des visioconférences, le one to few et le one to many, les vidéos synchrones. Le streaming est une technologie disponible depuis 2007, mais la massification de son usage n’a eu lieu d’en 2020. En janvier 2020, seulement 72 % des organismes de formation avaient une présence numérique. Le gros avantage de la vidéo synchrone est qu’elle est animée et donc qu’il y a moins besoin de l’animer en amont ou en aval. Et qu’au final, il s’agit d’une posture qui est assez proche du présentiel et donc facilement assimilable par les animateurs. 

Reste toutefois comme en présentiel à développer une animation qui soit 2.0. Veut-on une animation YouTube ou Twitch ? S’agit-il d’un enseignant qui enseigne seul ou d’un enseignant qui interpelle les apprenants. Dans le deuxième cas, l’animateur change de posture, il se désacralise au profit d’une posture plus horizontale. Il a de nombreux outils à sa disposition pour animer tableaux blancs, sondages, sous-groupes, … Et il peut organiser l’extraordinaire. Sortir de l’ordinaire en invitant par exemple des guests, faire intervenir un témoignage pendant la formation un praticien, une star, … pour donner de la valeur à l’expérience formative. La pédagogie doit écrire de belles histoires. 

Enfin, une question intéressante pour les vidéos synchrones est de s’interroger sur la capitalisation de la formation.  Une formation de 7 heures de classe virtuelle peut donner 3 ou 2 heures de vidéos asynchrones, cela dépend des travaux de groupes. Le replay ouvre un usage nouveau dans la pédagogie. Une absence peut être rattrapée. Une prise de note peut être remémorée. Mais on peut aller plus loin, après avoir animé en synchrone deux ou trois sessions, il devient possible de monter un cursus asynchrone scalable. Cela peut devenir un levier de croissance pour l’organisme de formation avec un portefeuille de formation de plus en plus profond. L’apprenant peut aborder différentes situations d’apprentissage. 

La vidéo est un outil pédagogique. Il n’existe pas de neutralité technologique, mais l’usage est en devenir avant de construire des standards. Le pédagogue doit être un explorateur des possibles, un artisan au sens étymologique, celui qui utilise les ars, les outils. La vidéo a son usage propre, mais encore faut-il l’intégrer dans un écosystème apprenant plus large. Ce n’est pas pour rien, par exemple, que YouTube propose une fonctionnalité de transcription automatique et timée de la vidéo. L’apprenant peut ainsi lire et voir en même temps. Tout est à inventer et à industrialiser pour que la formation puisse faire son œuvre, qualifier socialement les apprenants.  

Fait à Paris, le 09 novembre 2021

@StephaneDiebold

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