Les universités d’entreprise sont des objets qui se démocratisent dans la gouvernance apprenante. Sous l’impulsion d’Annick Renaud Coulon, depuis 2013, il y a même des Global Concil of Corporates University Awards qui mettent en valeur les “winners” des universités internes dans le monde. C’est dire qu’il existe un véritable écosystème des universités d’entreprise. Mais quelle place doit-on leur donner ? Surtout si on la confronte aux formations traditionnelles, ou aux écoles internes, autre institution montante ? A quel moment l’université est-elle pertinente pour l’entreprise ?
1, Qu’est-ce qu’une université d’entreprise ?
L’université d’entreprise est tout d’abord un oxymore, un vocable qui relie deux notions qui s’opposent : l’université, fait référence à l’universel alors que l’entreprise repose sur le spécifique. D’où vient l’université d’entreprise ?
On peut remonter à l’histoire de l’université pour comprendre le concept contemporain. L’université est née à la fin du Moyen-Âge, c’est la fameuse controverse entre Pierre Abélard et Bernard de Clairvaux. Il y a bien des façons de relater cette controverse, pour notre part, nous allons remarquer que leur opposition repose sur une différence entre les villes qui retrouvent une liberté et les campagnes, qui préféraient la tradition. La première université est celle de Paris en 1 150. Les campagnes étaient dominées par les écoles rurales principalement occupées par les copistes qui réécrivaient les ouvrages bibliques. La connaissance consistait à reproduire la connaissance existante. Les universités sont une création qui s’émancipe des autorités ecclésiastiques avec des enseignements qui renouent avec les enseignements de l’Antiquité. Pierre Abélard représente cette ouverture d’esprit qui se libère de la reproduction des monastères ruraux.
Cette distinction historique retrouve une actualité contemporaine. L’université d’entreprise est un espace de prospective et d’ouverture sur le domaine des possibles stratégiques de l’entreprise, avec des questions comme “qu’est-ce que le confinement va changer dans l’entreprise ?”, “qu’est-ce que le numérique va changer ?” ou encore “quel est l’avenir de nos métiers ?”. L’école, l’académie (l’académie est d’origine grecque alors que la scole est latine) ou l’institution (une somme d’écoles) représente la standardisation des savoirs et des compétences au sein d’une entreprise, la professionnalisation, alors que les universités d’entreprise ou les campus (qui sont des lieux interactifs autour des universités, on dirait aujourd’hui 2.0) en appellent à la prospective et la réflexion stratégique dans un monde qui ne cesse de bouger.
2, A quoi sert une université d’entreprise ?
L’université d’entreprise est un espace stratégique de veille pour anticiper et préparer l’organisation à profiter d’éventuelles externalités. C’est la théorie des signaux faibles qui existe depuis les années 70 et les travaux de Igor Ansoff. L’idée assez séduisante de veiller les signaux faibles pour anticiper les opportunités ou les risques stratégiques. Il est nécessaire toutefois de structurer une écoute organisationnelle. On ne perçoit que ce que l’on veut voir, il est donc nécessaire de construire un programme qui cartographie la disruption.
La grosse différence entre aujourd’hui et à la fin du siècle dernier, c’est que l’université d’entreprise ne saurait être réservée au seul sommet stratégique. C’est un travail d’acculturation qui concerne à minimum la ligne hiérarchique pour faciliter son agilité mais bien souvent concerne l’ensemble de l’organisation. Ce sont des programmes d’intelligences collectives qui consistent à mobiliser l’ensemble des collaborateurs pour avoir un espace de veille plus large. Dans ce cas, l’université est la synthèse du travail de tous et un espace de mise en perspective, on dit parfois autoréflexif, pour donner du sens aux choses.
L’université d’entreprise est la tête de gondole de l’entreprise apprenante. C’est une politique de socialisation du changement, dans ce que l’entreprise est capable d’entendre.
3, L’université d’entreprise est-elle indispensable ?
Malgré tous les efforts et tous les budgets dépensés dans la recherche et développement, le Groupe Accor, n’a jamais inventé Airbnb ou les chauffeurs de taxi, Uber. La disruption est rarement le fait de grosses structures qui savent assez mal se réinventer. L’idée n’est donc pas tant de réinventer les connaissances et les compétences de l’entreprise que d’identifier les lieux de changement. L’université est le lieu de la rationalisation du changement.
Reste ensuite le passage à l’acte. A trop intellectualiser, on finit par rendre plus difficile le passage à l’acte. Il y a ceux qui disent et ceux qui font. C’est tout l’enjeu des learning lab qui sont des lieux de “makers”, entre les modes opératoires automatisés, comme les écoles, et la rationalisation du domaine des possibles des universités. Un laboratoire de pratiques, ce que certains appellent un “bac à sable”, l’intelligence des doigts. La gouvernance des compétences nécessite des articulations entre université d’entreprise, learning lab et école interne.
Le travail d’organisation apprenante n’exonère en rien le choix stratégique de la formation. La réussite d’une université d’entreprise repose sur le réenchantement de la formation non pas tant sur une standardisation des institutions mais sur l’histoire, le storytelling que l’on construit avec un militantisme qui nous guide. Peter Drucker disait : “rien ne sert de défendre le monde d’hier, quand on peut construire le monde de demain”… encore faut-il en avoir le courage….
Fait à Paris, dans sa version originale, le 10 septembre 2010, publiée par Studyrama, dernière modification, le 09 novembre 2020, publié par Focus RH
@StephaneDiebold