LES FONDAMENTAUX DE LA FORMATION.
Le référentiel de compétences est au cœur du processus de formation, c’est la boussole qui va permettre de construire les objectifs pédagogiques et les parcours apprenants. Le référentiel de compétences est une construction du 20ième siècle, dans un monde qui était relativement stable. Mais dans un monde erratique, cet outil a-t-il encore son utilité ou faut-il en construire un autre mieux adapté ? Autrement dit, le référentiel de compétence est-il le résidu d’une histoire dépassée qu’une bureaucratie excessive maintient artificiellement, ou est-il un outil de pilotage qui garde encore son utilité dans le monde de la formation réel ? Que faut-il en penser ?
1, Qu’est-ce qu’un référentiel de compétences ?
Il existe bien des façons de construire un référentiel de compétences. Toutes les méthodologies se valent. Traditionnellement, on retient la construction d’une taxonomie de compétences. Construire une liste de compétences avec différents niveaux de références : par exemple, niveau 1, niveau 2 ou niveau 3. L’ensemble de ses compétences sont constitutifs suivant la méthodologie des activités, des métiers ou des professions. Il existe des référentiels de référentiels comme par exemple les référentiels de branches qui construisent un standard de références dans la branche professionnelle, ou d’autres institutions comme par exemple France Travail qui a construit un référentiel ROME (Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois) avec plus de 10 000 références qui se réactualisent dans le cadre du projet « Compétences 4.0 » (4 pour quatrième version).
Grâce à ces référentiels institutionnels, l’entreprise peut faire soit un copier/coller du référentiel existant, soit s’en servir de base pour l’amender en fonction des spécificités de l’entreprise, cela a le double avantage d’éviter la construction ex nihilo qui est un processus long et d’assurer une standardisation qui favorise la mobilité interentreprise. Un formateur pour adulte par exemple est souvent composé de 4 éléments pour reprendre France compétences : la conception amont de la formation, l’animation, l’accompagnement et la politique de qualité. Reste à décliner chacune des composantes. Par exemple, que signifie animer ? Là, il y a un travail de définition à réaliser : formateur leader, formateur coach, gestes et postures du formateur,… numérique, présentiel… Plus on désagrège les composantes plus c’est facile de construire des objectifs pédagogiques SMART.
Toute chose étant égale par ailleurs, le référentiel permet de piloter la gestion des compétences au sein de l’entreprise. Prenons par exemple, le nombre de départs à la retraite, c’est une chose facile à anticiper et cela se traduit par un départ de compétence qui peut mettre à mal le fonctionnement de l’entreprise, c’est ce que l’on appelle les compétences critiques. Les RH vont devoir organiser soit le recrutement des compétences outsiders, soit former avec le personnel existant, insiders. Le référentiel de compétence permet d’organiser des alertes compétences et d’organiser les stratégies opératoires. Avec des politiques de formation comme le tutorat, l’AFEST, le mentorat, le coaching, la formation… Le référentiel de compétence permet une agilité organisationnelle nouvelle.
2, Le référentiel, est-il un outil du passé ?
La notion de référentiel est issue de l’Organisation Scientifique de la Formation (OSF). Qu’il s’agisse de connaissances ou de compétences, sa rédaction est le fait des experts qui rédigent des nomenclatures avec l’autorité sociale qui leur était reconnue. Le travail de rationalisation a connu une domination dès la fin du 19ième siècle, permettait d’avoir des outils de pilotages. Frederick Taylor réduisait les compétences à une logique du chronomètre, alors que Franck et Liliane Gilberth, qui inventèrent l’ergonomie, réduisaient les compétences à des mouvements. Dans les deux cas, il s’agissait de construire un indicateur qui permettait l’évaluation quantifiable des compétences et ainsi d’assurer le pilotage de ces indicateurs.
Avec un monde qui bouge, le législateur a décidé de construire des référentiels qui anticipent les compétences dont l’entreprise devrait avoir besoin. Ce fut la loi de programmation pour la cohésion sociale, dite loi Borloo, en 2005, qui impose aux entreprises de plus de 300 salariés de négocier un plan triennal de gestion prévisionnelle des compétences, la GPEC. La définition des référentiels de compétences n’était plus seulement le fait de l’historique, mais intégrait le devenir stratégique de l’entreprise. Les premiers accords furent longs à se mettre en place avec des cycles de négociation en moyenne de 5 ans, mais ce fut un échec dans sa dimension prospective, aucun changement majeur n’a pu être anticipé avec cet outil de régulation. Il s’agissait davantage de reproduire l’existant que d’imaginer une transformation. Le référentiel est resté un outil du passé.
Pierre Dac avait cette belle formule : « Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir ». L’avenir se prépare par scénarisation, envisager tous les domaines des possibles connus à un instant « t » et leur attribuer une crédibilité à chacun des possibles avec la statistique comme par exemple la théorie des jeux qui permet de choisir. L’anticipation des compétences futures est un bel exercice qui tente de rationaliser l’aléa dans la politique de formation. Qui aurait pu anticiper des ruptures technologiques telles que ChatGPT ? Aujourd’hui, on s’interroge encore sur les conséquences sur la définition des référentiels alors que la rupture a commencé. C’est le travail d’anticipation traditionnel, construire un cadre méthodologique et surveiller les signaux faibles pour mesurer la chronologie possible. Un responsable de formation qui a construit un domaine des possibles dans les deeptechs numériques ne peut pas être surpris par ce changement, surtout s’il a anticipé le changement sociologique de la formation avec la montée en puissance de l’horizontalisation des processus. L’avenir appartient aux directeurs qui anticipent les directions.
3, Quel est l’avenir du référentiel ?
Le référentiel n’a d’avenir que dans son adaptabilité, l’agilité des référentiels devient un atout qui répond à l’agilité organisationnelle. Le numérique permet bien des ajustements locaux avec des conséquences globales. L’outil est disponible, reste à construire la régulation. Certains proposent l’intelligence collective pour organiser l’ajustement du référentiel. L’horizontalisation de la construction du référentiel répond bien à la sociologie des organisations contemporaines. Ce ne sont plus les experts seuls qui fondent l’expertise, ce sont les ouvriers, ceux qui œuvrent, qui par coordination ajuste le référentiel en fonction des réalités terrain. Le référentiel devient un outil de conscientisation des pratiques et aussi de mobilisation de chacun pour construire le manuel de son propre métier.
Francis Galton, scientifique britannique a monté en 1906, lors d’une foire agricole, que les participants pouvaient beaucoup mieux évaluer le poids réel d’un bœuf, en moyenne arithmétique, que les experts avec la même méthode. James Surowieski a parlé de la « sagesse des foules » (2004). Les foules peuvent anticiper mieux que les experts. D’autres approches proposent le Big data qui avec les variances et les covariances construit des modèles d’anticipation qui ne repose plus que sur l’historique, mais sur le potentiel des stratégies et des compétences, ce qu’on appelle la prédictibilité. Le gros avantage est que la data est une donnée qui évolue en temps réel et qui permet donc une agilité en fonction des situations futures. L’intelligence artificielle pose la question du calcul des référentiels, et surtout de la place de l’autonomie de l’homme face à la machine. Il s’agit d’une trajectoire sociale qui répond au besoin de traçabilité et de pilotage des compétences et qui respecte l’histoire du 20ième siècle en la matière. Elle est culturellement compatible, reste à savoir comment organiser la relation homme machine.
Le philosophe Maurice Blondel disait : « L’avenir ne se prévoit pas, il se prépare ». Lorsqu’on ne connaît pas l’avenir, il reste à militer pour faire de l’avenir un moment qui réponde à nos préoccupations présentes, construire un avenir meilleur ou plus beau, suivant les références. L’avenir appartient aux entrepreneurs, ceux qui entreprennent. Le référentiel est celui qui nous semble pertinent pour notre imaginaire. C’est la politique des talents. Un talent est une compétence anticipée, autrement dit, une compétence actuelle pour gérer une situation future. Pour sortir de la verbosité sociale, il est nécessaire de construire des référentiels talents avec ses sous-parties et ses indicateurs d’évaluation. La montée en puissance des soft skills en est un bon exemple. Si tout le monde est d’accord pour construire des compétences de bien-être, il s’agit de leur donner corps et matière dans un référentiel. Chaque entreprise devient militante d’un référentiel et l’avenir dira ce que seront les référentiels talents qui s’imposeront comme référence sociale.
Le référentiel est comme son nom l’indique une référence sociale, à être trop agile le marqueur social se perd, il faut du temps pour que la référence fasse son œuvre. C’est là où la notion de métier est importante. Un métier est un référentiel d’activités, mais aussi et surtout une identité. Et c’est là toute la subtilité. Si le référentiel change, l’identité doit rester la même, c’est ce qui permet d’assurer une transformation heureuse. L’agilité des compétences doit s’accompagner d’une stabilité de l’identité. « Tout change pour que rien ne change » (Visconti, Le guépard, 1963). La question est une question de transformation sociale. Et sans doute aussi une question stratégique : soit le référentiel devient un émiettement d’activité interchangeable, soit il s’agit de réenchanter les métiers, redonner de la fierté à son identité professionnelle… La construction du référentiel est l’occasion de choisir entre la bureaucratisation des compétences ou son érotisation sociale.
Fait à Paris, le 20 février 2024
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