Formation, que penser de la battle snack content vs slow content ? 

par | 22 février 2022 | Pédagogie

Le content est en interrogation. L’émergence du snack content ou nugget learning réinterroge dans la taille des grains de formation (https://affen.fr/pedagogie/le-snack-content-va-t-il-revolutionner-la-pedagogie/). Certains disent que la taille ne fait rien à l’affaire, mais la réalité montre qu’il existe une nouvelle dynamique dans le mixte pédagogique au profit du snack content. Que faut-il en penser ? Qui sera le vainqueur de la battle snack content vs slow content ? Le combat, se fera-t-il par KO, le snack content a-t-il vocation à remplacer le slow content mal adapté à un monde qui va de plus en plus vite ? Faut-il réécrire toutes nos histoires apprenantes en snack content ? 

1, La victoire annoncée du snack content 

Yves Citton, en 2014, faisait paraître deux ouvrages : un sur l’économie de l’attention et l’autre sur l’écologie de l’attention. “Le temps de cerveau disponible” (Patrick Le Lay, 2004) devient l’or noir du 21ème siècle. La formation est touchée de plein fouet par ce phénomène, l’inflation des contenus. Mark Schaefer en 2014 parle de “content shock”, le choc de contenu, ce qui lui permettra d’énoncer une loi, la loi de Schaefer : le volume du contenu web double tous les 9 à 24 mois. La croissance exponentielle des contenus se heurte à la saturation quotidienne de consommation qui avoisine déjà les 12 heures ce qui est énorme. La stratégie des producteurs de contenus est de demander de moins en moins d’effort pour le consommateur. 

Le burn-out attentionnel est important en formation, pour l’éviter, il s’agit de proposer des contenus de plus en plus courts, fast learning, grains facilement digérables, des contenus qui appellent l’attention par des angles transgressifs, l’émotion étant un bon outil pour capter l’attention. Lorsque l’on sait que 30 % du web n’est et ne sera jamais regardé par personne, la pédagogie ne consiste plus à produire du contenu, mais produire du contenu facilement digérable. C’est le passage fa la formation fonction de l’offre à une formation fonction de la demande de formation. C’est l’apprenant qui prime sur l’expert. C’est la vieille polémique que Montaigne avait envers les Scolastiques : “avoir une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine”. La quantité doit laisser place à la qualité. Le snack content prend donc une avance remarquée face au slow content. 

On pourrait rajouter que le snack content favorise l’engagement. Un contenu long et bien structuré, riche en information le rend inaccessible à la réaction. Au mieux, on obtient un like ou un “merci” mais quant à rentrer dans la structure de l’argumentation, cela nécessite une forte estime de soi, le gros morceau impressionne. Alors que le petit morceau est plus accessible. Le snack content permet une pédagogie 2.0. Le snack content est ciselé pour l’engagement en favorisant les réactions émotionnelles (on peut rappeler que les mots émotion, motivation et mouvement ont une racine commune), le taux d’engagement s’en trouvera accru d’autant. La battle snack content slow content, est-elle déjà pliée ? 

2, Le slow content, est-il fini ? 

Etrangement les contenus qui prennent du temps connaissent aussi une croissance assez marquée. Si l’on prend le cas des podcasts, en France en 2021, c’est une augmentation de 20 % de plus par rapport à 2020. La durée moyenne d’un podcast en France est entre 20 et 44 minutes. L’émergence des podcasts natifs autorise les podcasts apprenants. C’est un support bien adapté pour les connaissances avec une fidélisation qui défie toute concurrence. Une fois passé la découverte, les podcasts sont écoutés à plus de 80 % dans leur intégralité, selon Harris média, et au moins un podcast par semaine, selon Baromètre Acast. Voilà un format long qui trouve sa place avec des usages particuliers, comme le multitasking, faire une autre activité en même temps (sport, transport, …) et revenir sur les passages intéressants. Le format long se réinvente pour coller aux réalités sociales. 

Les formats longs sont trop longs quand les contenus sont pénibles… Quitte à faire pénible autant faire court, c’est la grande chance du snack content. Aujourd’hui, on est en questionnement sur les savoirs fossiles. Ces savoirs qui ont eu une vie qui n’est plus, mais qui est toujours utilisés dans les formations. Il est intéressant d’avoir une sociologie de la formation sur les problématiques opérationnelles, mais surtout avoir des responsables de formation qui fassent des choix face au domaine des possibles de plus en plus large et qui proposent de réenchanter les métiers. Si l’on prend un exemple, pour parler des managers : depuis la fin du siècle dernier, les compétences managériales sont grossièrement de trois types autour de la maîtrise des entretiens personnels, de la conduite de réunion et de la définition des objectifs. Quels sont les choix possibles ? Il faut faire des choix dans la définition éthique du métier, de la définition de la notion de relation, de celle de cognition… et pourquoi pas teinter l’ensemble de neuroscience si le cœur vous en dit. Les standards ne sont plus socialisés, il est nécessaire de faire des choix, de raconter une histoire métier avant même de parler de pédagogie. Ces cheminements peuvent érotiser comme disent les sociologues, les contenus, une nouvelle ligne éditoriale. 

Une fois choisit le content, c’est la transmission qui pose question et nécessite réinvention. Il s’agit par exemple, de sortir des classes virtuelles classiques pour travailler leur animation, au sens étymologique du terme. Choisit-on des animations Twitch pour favoriser l’engagement ? Enregistre-t-on le contenu pour assurer la scalabilité ? Enregistrer le contenu et les réactions au contenu, permet à l’apprenant asynchrone de profiter en différé de la réaction du groupe, apprendre seul ensemble. Tout est bon, mais il faut créer les routines pédagogiques nouvelles. Puisque la période s’y prête, pourquoi ne pas revenir aux débats, c’est un outil passionnant pour acquérir de la connaissance. Retour à la scolastique, deux thèses s’opposent, et l’apprenant apprend grâce au travail de l’animateur qui stimule la contagion émotionnelle. Un moment de tension apprenante qui permet à chacun de se faire une idée. Extraordinaire outil de mémorisation. Et la longueur ne fait rien à l’affaire, quand c’est bon, c’est bon.  

3, Et si la battle devenait un écosystème ? 

La pédagogie, c’est le chemin … tous les chemins sont bons pour peu qu’ils conduisent aux objectifs pédagogiques. Et c’est là où le snack content peut nourrir le slow content et inversement. Le snack content par un travail d’interpellation, capte l’attention de l’apprenant pour donner de la valeur au slow content. C’est la pédagogie de l’avènement, mettre en tension l’apprenant, en désir, pour donner plus d’intensité à un événement formatif. Organiser des événements apprenant synchrone ou asynchrone où il se passe quelque chose. C’est le FOMO, Fear Of Missing Out, la peur de rater quelque chose. C’est une écriture nouvelle qui propose des contenus affectivement marqués, ce qui permet d’accroître l’acquisition des connaissances et compétences, le design dans la pédagogie. 

Le slow learning peut être un bon laboratoire pédagogique, il permet de recycler les contenus avec un reels ou une story pour reprendre les points essentiels. Favorisant ainsi la mémorisation, une image permet de mémoriser en moyenne 5 fois plus qu’un texte, mais aussi permet de favoriser l’interactivité des apprenants. La marche est moins haute que celle d’un content hyperstructuré qui impressionne. Tous ces événements formatifs sont capitalisables. Augmentant encore le recyclage des contenus. La somme des contenus peut faire l’objet d’un SPOC ou d’une Master class permettant d’organiser des parcours pédagogiques individualisés. De nouvelles opportunités pédagogiques peuvent voir le jour sans surcoûts majeurs. 

La complémentarité des supports est un outil de transmission qui augmente son domaine des possibles. Une vidéo, ou un podcast, peut automatiquement et gratuitement (mais avec relecture) proposer une transcription, un mixte vidéo/audio et texte. C’est le travail de pédagogie qui évolue : passer d’une pédagogie multicanale à une pédagogie trans-canale, un canal qui appelle l’autre. Le fléchage doit tenir compte de l’ergonomie de l’apprenant, faciliter les apprentissages. C’est un travail d’écoute des usages pour s’ajuster et proposer des formations agiles. Par exemple, pour construire de l’interactivité, un sondage peut être une belle ouverture en synchrone ou asynchrone, mais si on veut aller plus loin dans le LGC (Learner Generated Content) écrire avec ses pouces peut poser des problèmes à certains, on peut proposer d’enregistrer les questions audios sur leur smartphone, et le taux d’engagement permet un suivi. L’engagement se construit de pair avec le recyclage des contenus (FAQ par exemple) qui enrichissent le slow content. C’est le travail de l’organisation pédagogique. 

Le contenu et le contenant sont à réinventer ensemble dans une nouvelle cohérence. Le travail d’écriture pédagogique devient souvent, comme disaient les designers “habiller le bossu” faire du beau avec du laid. La formation appelle le marketing pour réenchanter les contenus. Comment ? En mettant en place des outils pour connaître les apprenants, leurs réactions et pouvoir ainsi leur proposer le meilleur contenu au meilleur moment. Et si finalement la meilleure façon de proposer des contenus était de demander aux apprenants de le faire eux-mêmes ? Une autre façon de penser la formation, en remettant l’apprenant au centre du processus, l’apprenant-roi. Que les contenus soient courts ou longs au final, l’intérêt est de savoir si l’apprenant apprend ? Il suffit parfois simplement de lui demander… 

Fait à Paris, le 22 février 2022 

@StephaneDiebold 

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