La surprise fait son entrée en formation. Les responsables de formation parlent de plus en plus de « l’effet waouh »… bluffer l’apprenant, qu’il en prenne pleins les mirettes. S’agit-il d’une tentative désespérée de capter l’attention des apprenants ou d’un changement structurel de la pédagogie qu’on dit de plus en plus affective ? Que faut-il penser de la surprise qui surprend les habitudes du monde de la formation ? Faut-il devenir un militant de la formation du spectacle ou un résistant à une mode qui passera tôt ou tard ? Que faut-il en penser ?
1, La surprise pédagogique ou l’effet waouh
La surprise est une émotion primaire. Elle fait partie des 6 émotions de base. Elle est une réaction à une situation que le cerveau n’a pas anticipée. La surprise permet de s’extraire rapidement d’une situation, de prendre du recul pour s’adapter à la situation non anticipée. En cas de danger, la surprise laissera place à la peur ; en cas de bonne nouvelle, c’est la joie qui remplacera la surprise. La surprise génère une suractivité cognitive comme dans une situation de réaction de stress avec la libération d’adrénaline, la tension des muscles ou une attention focalisée pour analyser la situation et savoir comment réagir avec agilité. Autrement dit, la surprise est un moment d’agitation cognitive qui peut être à l’apprentissage.
C’est ce que l’on appelle l’effet waouh. Construire une pédagogie extraordinaire, qui sorte de l’ordinaire pour capter l’attention cognitive de l’apprenant sur les messages forts de la formation. L’effet waouh dépend de l’historique de chaque formation. Extraordinaire est souvent perçu comme un investissement budgétaire. Proposer par exemple une formation immersive avec des casques de réalités virtuelles est extraordinaire pour des publics peu habitués à la 3D et effectivement cela aura un coût pour financer la technologie et la création pédagogique spécifique. Mais sortir de l’ordinaire peut très bien s’organiser à frais constant, dans une culture ordinairement très verticale, des outils de pairagogies ne nécessite pas d’investissement particulier. L’argent n’est pas le problème.
Il s’agit plutôt d’une philosophie de formation. Remettre l’apprenant au centre de la formation, nécessite de penser différemment la pédagogie. C’est ce qu’on appelle une Learner eXperience, une LX, créée un moment magique, un moment avec un fort impact émotionnel. La pédagogie fait un travail de captation de l’activité cérébrale de la surprise pour permettre un focus, une attention, une mémorisation et un engagement plus fort de l’apprenant. Mais la surprise n’est pas un amusement au sens étymologique du terme, muser, errer sans but, il ne s’agit de distraire l’apprenant mais de l’accompagner sur un cheminement pédagogique. La différence est assez simple, il s’agit de l’acquisition des connaissances et des compétences définit préalablement dans les objectifs pédagogiques de la formation, sans objectifs pédagogiques pas de formation.
2, La surprise comme dissonance cognitive
La dissonance cognitive a été inventée par Léon Festinger en 1957, c’est quand la réalité n’est pas conforme au réel. L’individu se trouve en tension et a besoin de recréer une réalité qui puisse répondre à cette tension. Un pacifiste qui travaillerait dans une usine d’armement pourrait connaître une dissonance cognitive entre son réel et sa réalité. Il changerait sa réalité par exemple en minimisant l’importance de son travail pour qui le sens soit plus acceptable pour lui. Le cerveau a horreur du vide et de l’incohérence. La dissonance cognitive dépend de la mémoire épisodique qui appartient à la mémoire à long terme et qu’on l’appelle aussi la mémoire autobiographique, dont le rôle est de mettre en ordre tous les détails de notre histoire, faire sens.
Lionel Naccache, neuroscientifique français, avait cette belle formule lorsqu’il considérait que le cerveau était une machine à se représenter le monde, une capacité à se faire un « cinéma intérieur ». Lorsqu’une idée ou une émotion surprend, c’est que l’homme ne l’a pas anticipé. La surprise est un outil de construction de nos pensées à la condition de lui donner du sens. La grande nouveauté de la recherche est d’adjoindre à la dissonance cognitive de Léon Festinger fondée sur la raison, une dissonance cognitive fondée sur l’émotion et l’inconscient. La surprise n’est pas qu’intellectuelle. La pédagogie ouvre le cheminement de l’apprenant avec cette dissonance et une réponse qu’il s’agit d’ancrer dans nos pratiques.
Lionel Naccache rapporte une expérience maintes fois reproduite sur le fait de prendre un groupe d’étudiant opposé à la peine de mort de leur demander de réaliser une dissertation pour justifier le fait de rétablir la peine de mort. On s’aperçoit que le simple fait de leur demander de construire une histoire alternative change leur jugement de façon plus ou moins significativement sur la question. L’histoire qui était construire dans un sens, peut trouver un sens alternatif. De la même façon, quand un individu doit choisir entre deux objets A et B qui lui sont indifférents, le seul fait d’en choisir un au détriment de l’autre augmentera sa préférence dans la durée. Notre action initialement indifférenciée conduira à reproduire le choix au point de préférer l’un à l’autre. La pédagogie oriente les comportements des apprenants dans le sens de l’objectif à atteindre.
3, La surprise comme outil de bien-être
La surprise rend heureux. Le psychologue social, Norbert Schwarz a mené une série d’expérience dont l’une consistait à mettre une pièce de 10 centimes sur la vitre d’une photocopieuse avant d’interroger les participants à l’expérience sur leur niveau de bien-être. Trouver 10 centimes suffit pour que les participants se considèrent comme chanceux et réévalue la vision de l’ensemble de leur vie comparativement au groupe de contrôle. Cette expérience montre que la surprise, même à petit prix, peut avoir des conséquences fortes dans la perception que les apprenants peuvent avoir des choses. Le cerveau aime être surpris, cela le stimule pour le meilleur ou pour le pire.
Une autre expérience est éclairante. Des scientifiques des facultés de médecine Emory et Baylor ont utilisé l’IRM pour mesurer les modifications cérébrales des participants. Ils ont servi de l’eau et du jus de fruit en blind test avec deux cas, soit ils prévenaient les participant sur la nature du le liquide qu’ils allaient recevoir soit la distribution était imprévisible. Les résultats ont montré qu’en situations imprévisibles les participants ont activée plus fortement des circuits de plaisir et de récompense. Cela semble dire que le cerveau est programmé pour désirer l’imprévu. En matière de fidélisation apprenante, le parcours est comme celui d’un couple. S’il s’agit de faire toujours la même chose, le couple s’enlise, alors que la surprise réveille et stimule cérébralement la relation. La surprise érotise la pédagogie.
Wael Asaad, neuroscientifique à l’Université de Brown, concluait que « les événements inattendus jouent un rôle crucial dans l’apprentissage ». Les événements inattendus provoquent une réponse forte de notre circuit de récompense ce qui renforce l’apprentissage doublement sur la consolidation mémorielle mais aussi sur l’envie de revenir à l’apprentissage. La surprise est addictive, certains médecins le comparent aux mêmes réactions que procure la drogue en matière de modification de l’activité cérébrale identifiée par l’IRM fonctionnel. La surprise devient un outil pour rendre les apprenants addicts aux apprentissages.
Le paradigme traditionnel de la formation porte sur l’individualisme des apprentissages. L’apprenant est surpris est souvent décrit dans ses conséquences individuelles. Mais, la surprise peut être aussi collective, ce qui renforce la charge émotionnelle au point de développer des communions apprenantes qui insistent davantage sur le ensemble que sur l’apprendre. La formation devient alors un lieu de resocialisation sur des contenus comme traditionnellement mais aussi et surtout sur des expériences humaines partagées. La formation réhumanise les contenus. Autrement dit, la formation fait l’homme dans son besoin de reliance à l’autre et au collectif. C’est l’ère du nous qui s’invite dans le paradigme de l’ère du je. La pédagogie doit surprendre pour accroître ses performances. Elle doit être extraordinaire, sortir de l’ordinaire de son histoire pour inventer une histoire nouvelle… La surprise surprend le paradigme dominant en fait dissonance, reste à écrire le sens de l’histoire nouvelle qui se dessine.
Fait à Paris, le 13 février 2024
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