Le responsable de formation est un nano-influenceur

par | 25 janvier 2021 | Marketing, Pédagogie, Responsable de formation

Le métier du responsable formation se réinvente sous nos yeux, passant d’un métier d’autorité fonctionnelle issu de la Seconde Guerre mondiale, à un métier de séduction et de motivation. Ce que certains appellent l’autorité de la séduction… oxymore qui en dit long sur les contradictions de l’évolution du métier. Savoir faire lien devient une compétence essentielle dans le fait de former, surtout si la formation se pense comme une relation apprenante. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Comment l’influence fait-elle formation ? 

1, Le responsable de formation est un faiseur de liens 

La notion de lien social est une notion ancienne qui trouve son origine au 19ème siècle avec Émile Durkheim. Il s’agit d’un arbitrage entre l’individualisme radical et le besoin de solidarité propre à chaque personne. Le sociologue Mark Granovetter propose en 1973 dans “La force des liens faibles” une distinction intéressante entre les liens forts et les liens faibles. Il définit le lien à partir de 4 critères : la fréquence des contacts, l’intensité émotionnelle, l’intimité et la réciprocité des services rendus. Les liens forts se traduisent par des relations soutenues et fréquentes, alors que les liens faibles sont des contacts brefs et occasionnels. Les liens faibles sont la force du réseau. Le responsable de formation est celui qui construit le réseau qui va distribuer la formation.  

La massification de l’entreprise que Georges Friedmann avait appelé l’émiettement du travail (1956) avait besoin de forces structurantes pour faire collectif ou du moins ce que Jérôme Fourquet appelle aujourd’hui des archipels (2019). Avoir des liens n’est pas suffisant, il faut que le lien fasse sens, ce que Pierre Bourdieu appelait le capital symbolique ou le capital culturel. En e-learning, le “one to one” des années 80 a permis la massification rationnelle de la relation. Mais très vite, l’apprenant a fait part de son manque l’émotion qui complète la raison. Apprendre seul face à une machine nécessite d’être un apprenant sociopathe, qui apprend sans l’interaction avec les autres. Ce qui est loin d’être… à priori un lieu commun. Si le lien traditionnel permet d’ouvrir des opportunités comme la personnalisation des parcours de formation, c’est oublier que la formation est par définition sociale et qu’il est nécessaire de réintroduire “l’apprendre ensemble”. 

La grande nouveauté est de considérer la relation non plus dans une démarche quantitative, comme par exemple avec le nombre de contacts, mais dans une démarche qualitative, s’intéresser à l’intensité émotionnelle de la relation. L’important n’est pas le nombre mais la qualité des contacts. Autrement dit, il est possible de faire communauté riche en échanges avec peu de relations, “moins, c’est plus”. La communauté devient un lieu d’émulation. Le rôle du responsable de formation devient d’écrire la pédagogie qui favorise l’engagement des apprenants, faire en sorte qu’ils se passent toujours quelque chose pour que le foisonnement fasse apprentissage. Le responsable de formation est un community manager, un animateur de communauté apprenante. 

2, Le Direct to learner (DTL) 

Traditionnellement, la formation est issue de la ligne hiérarchique. Le CEREQ avait fait une étude qui montrait que 81 % de la formation passe par le management (n+1) que ce soit pour demander la formation ou pour la valider, si le demande vient du collaborateur. Le manager était donc l’influenceur traditionnel de la formation, celui qui donne l’envie à un collaborateur de suivre ou non une formation. Mais avec la saturation de la ligne hiérarchique et la montée en puissance de l’individualisation de l’apprenant, se développe une désintermédiation de la formation, le Direct To Learner (DTL). Le responsable de formation devient celui qui s’adresse directement aux apprenants pour favoriser l’engagement, le fameux Call to action. Mais est-il un influenceur ? 

La notion même d’influenceur a évolué. Les influenceurs traditionnels sont ceux qui arrivent à mobiliser plusieurs millions de followers. En France, Cyprien mobilise une communauté de 32 millions d’abonnés, ce qui s’adapte assez bien aux communautés de clients, mais assez mal aux communautés interne d’entreprise. Les plateformes d’influences, du type Hivency, propose un nouveau concept, les influenceurs de petits groupes, les micro-influenceurs ou les nano-influenceurs. Les nano-influenceurs ont moins de 5 000 followers alors que les micro-influenceurs ont 5 000 et 100 000 followers. La force des petits groupes est que s’ils sont moins visibles que les influenceurs star, il n’en demeure pas moins beaucoup plus efficace en matière d’engagement. Rien ne sert d’avoir un réseau très important, si l’on n’est pas capable de le mobiliser. La taille ne fait rien à l’affaire … si la communauté a des choses à apprendre le petit nombre fait la qualité. Reste à trouver l’animateur. 

L’animateur doit se construire une crédibilité professionnelle auprès des apprenants, les sachants sans faire ont du mal à trouver une autorité dans la communauté. C’est tout l’enjeu du storytelling personnel ? Le premier point est que l’animateur est souvent issu de l’entreprise, il en connaît la culture et son parcours fait foi par les expériences qu’il a capitalisées. Mais ce n’est pas tant le point de départ de l’influenceur que son activité quel est son style, son engagement, ses pratiques, … autrement dit son professional branding qui va lui permettre non seulement être entendu mais surtout être inspirant pour les apprenants avec la fameuse contagion émotionnelle. La crédibilité est une variable qui se construit au quotidien… il ne s’agit pas d’un titre ou diplôme acquis une bonne fois pour toute, elle s’acquière par nos pratiques. 

3, La pédagogie de l’influence 

L’influence ou la séduction commence par le fait d’écouter les personnes que l’on influence afin de comprendre les micro-tendances et d’anticiper les attentes. C’est ce que les hommes de marketing appellent “écouter les bruits”. Cette veille porte tout à la fois sur les contenus qui font écho, sur les supports, sur les pédagogies, … autant de chantiers pour analyser les signaux faibles pour anticiper les nouvelles pratiques. Sans analyse de la data, il n’y a pas de formation de la séduction… et sans formation de la séduction, il est nécessaire d’avoir une ligne hiérarchique forte. 

Ecouter pour anticiper, mais aussi écouter pour faire sens. C’est-à dire définir une promesse produit de la formation.  Qu’est-ce que la formation à dire ? Qu’est-ce-qu’elle a à dire d’intéressant pour l’apprenant ? Autrement dit, à minima la formation doit faire sa réclame, dire son utilité. Il ne s’agit plus de marquer les apprenants du sceau de la connaissance ou de la compétence reconnue, il s’agit de les engager. La formation milite pour quoi ? C’est tout le travail de publicité de la formation auprès de ces publics cibles. Il ne s’agit pas de produire de nouveaux wordings, mais d’une vraie histoire qui donne envie. Le marketing disait Oliviero Toscani était de mettre en société. La formation doit être mise en société. 

On sait vendre des yaourts, on doit savoir vendre des formations qui nourrissent les orientations stratégiques de l’entreprise ou du moins des valeurs du corporate branding. La force n’est pas obligée s’il y a la séduction, mieux, en partant de l’apprenant, c’est tout l’engagement qui est réinventer. L’apprenant à qui l’on propose une véritable aventure formative est prêt à s’engager avec le fameux Learner Generated Content (LGC) où c’est l’apprenant lui-même qui fournit les grains pédagogiques. Reste au pédagogue à cheminer pour atteindre les objectifs prédéterminés. La formation est la rencontre des individus avec un dessein collectif porté par l’entreprise. 

Le responsable de formation dans cette dimension d’influenceur est celui qui crée les réseaux pour assurer le changement opérationnel de l’entreprise. C’est une posture de formateur coach qui écoute et accueille avec bienveillance les apprenants et de formateur leader qui propose un chemin de réenchantement des apprenants. Le travail d’influence est une évolution intéressante, car il s’agit d’un retour aux traditions du début du siècle dernier : réduire la place de la fonction pour augmenter la place de la personnalité qui occupe la fonction, seul garant de l’authenticité du métier. Le responsable de formation doit se réinventer, encore faut-il qu’il s’en donne les outils, dont le premier est l’écoute des apprenants. Imagine-t-on un produit sans analyse des clients, alors pourquoi envisager en formation sans analyse des apprenants ? 

Fait à Paris le 25 janvier 2021

@StephaneDiebold
 

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