Le neuropsychologue Stanislas Dehaene dans son ouvrage « Apprendre, les talents du cerveau, le défi des machines » (2018), considère que le feedback est essentiel à la formation. Il fait partie des quatre piliers pour apprendre. La pédagogie doit laisser une place importante au feedback, encore faut-il savoir ceux dont on parle ? Qu’est-ce que le feedback ? En quoi il permet d’optimiser un parcours de formation ? Que faut-il en penser ?
1, Qu’est-ce qu’un feedback ?
« Feed » signifie nourrir et « back » en arrière. Le feedback est donc un retour sur une expérience passée, la traduction française serait rétroaction. Il a été créé par le mathématicien Norbert Wiener en 1948 pour la cybernétique, qui est l’étude des mécanismes d’information. C’est naturellement que la modélisation a été utilisée dans les théories de la communication par Claude Shannon en 1949 avec un émetteur qui émet vers un récepteur via un canal de transmission, et le feedback est le retour du récepteur vers l’émetteur. A quoi cela peut-il servir ? En situation de formation, si le formateur émet une information, le feedback est un moyen d’évaluer la transmission de cette information et de voir comment l’apprenant s’approprie l’information et la formation.
Comment cela fonctionne-t-il ? C’est l’effet miroir. Il s’agit de se mettre en distance grâce au regard de l’autre et comme le disait Arthur Schopenhauer : « La nature de l’œil ne lui permet de regarder qu’au-dehors, il ne peut se voir lui-même. C’est pourquoi remarquer et blâmer les défauts des autres est un moyen propre à nous faire sentir les nôtres ». L’autre est un miroir pour nous aider à se voir. Et la force de la présence est celle qui enclenche le questionnement. Seul, il est plus difficile de se poser les bonnes questions. La puissance de la présence est de celle qui motive. C’est le principe du coach, il applique des protocoles de questions, on pourrait transmettre les questions, mais il manquerait la contagion émotionnelle qui permet grâce au regard de l’autre d’avoir la force de répondre.
Le feedback est un outil de conscientisation des apprentissages. Le pédagogue brésilien Paolo Freire (1969) fait du feedback et de la conscientisation un outil pédagogique de libération par la connaissance. Il s’agit de permettre à l’apprenant de se mettre à distance de ses apprentissages pour être capable d’agir en toute conscience sur la base d’une réalité objectivée. C’est ce qu’il appelle la « praxis humana », l’unité entre l’action de l’homme et sa réflexion sur le monde. La conscientisation ouvre à l’esprit critique de ses propres actions. Cette mise en distance consciente reste aujourd’hui au cœur du paradigme dominant. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur cette démarche de conscientisation. A l’époque, où le marxisme était dominant, la démarche d’une conscience matérialiste était congruente ; aujourd’hui, avec la montée en puissance des émotions et de l’inconscient neurologique, le modèle de conscientisation devrait au moins s’enrichir.
2. La place des erreurs dans la formation.
Le feedback est forcément lié à la gestion des erreurs. Dans notre société, l’erreur est mal perçue, alors que la réussite est l’accès à la performance. Pour les pédagogues, l’erreur est un signal d’apprentissage. Les neurosciences nous offrent un fondement à cette intuition. Le cerveau fait en permanence des prédictions qui reposent sur notre façon de penser le monde et des stéréotypes sociaux que nous avons choisi. Nos prévisions doivent se confronter à la réalité du monde pour soit les renforcer soit les amender. Le réel permet de corriger sa réalité du monde. Le feedback devient le moment de cette correction. C’est la raison pour laquelle de nombreux pédagogues se proposent de faire de ce moment un moment d’encouragement en développant un feedback positif. L’échec devient positif, c’est le moment où l’on apprend et non plus seulement celui où l’on valide la performance.
Mais les neurosciences vont plus loin dans l’explication. De quoi s’agit-il ? Apprendre n’est pas former. Former est un apprentissage socialisé, autrement dit ce que la société nous dit d’apprendre, le bien apprendre. Ce qui est culturel n’est donc pas naturel. Et l’on retrouve cette distinction dans le processus d’apprentissage. Chacun a un apprentissage naturel qui nous permet de développer des façons de faire. Certains considèrent la formation comme un processus d’inhibition. L’inhibition est notre capacité à contrôler ou à bloquer nos apprentissages naturels au profit d’un apprentissage social. Les neurones relâchent des hormones inhibitrices qui nuisent à l’activation d’autres neurones. L’inhibition est la façon de choisir l’activation de la chose apprise au détriment d’autres qui sont bloquées. La formation est donc une fonction d’interdiction de la mauvaise compétence au profit de la bonne.
Il s’agit d’éviter les erreurs. Apprendre ne consiste pas simplement à imprimer des savoirs pour ensuite les rappeler, il s’agit aussi de rappeler le bon savoir et de s’entraîner à laisser les autres en sommeil, l’inhibition généralisée. Apprendre à se contrôler devient le cœur de la formation. Une erreur est l’absence de contrôle de nos intuitions qui ne correspondent pas ou plus à la norme sociale qui fait le bien-penser. Les praticiens proposent de ne pas se mettre la pression qui réduit ses capacités d’inhibition, mais au contraire d’accueillir avec bienveillance ses erreurs pour mettre en place des stratégies correctrices afin de profiter du besoin de conformité sociale. Solomon Asch en 1951 a montré que ce besoin d’être socialisé pouvait être considéré comme un plaisir à ne plus être tout seul. Se former, c’est apprendre à se conformer.
3, Le feedback et l’effet Pygmalion
Dans les Métamorphoses, Ovide raconte l’histoire d’un sculpteur qui réussit une femme si extraordinaire qu’il en tomba amoureux. Devant la beauté d’un tel amour, Vénus, déesse de l’amour transforma sa statue en être vivant, Galatée. Michel Houellebecq avait cette belle formule : « La possibilité de vivre commence dans le regard de l’autre » (Particules élémentaires, 1998). L’effet Pygmalion a été expérimenté par Robert Rosenthal et Lenore Jacobson en 1966. Ils ont fait passer un test de QI à 650 élèves. Ils expliquent ensuite, aux enseignants que tous les élèves n’ont pas un développement cognitif identique, et fournissent une liste d’élèves qui devrait connaître une explosion intellectuelle durant l’année scolaire. Les élèves ont été choisis par hasard et pourtant quand ces élèves repassent le test du QI un an après, leur gain est de 15 points supérieurs à ceux qui n’étaient pas sur la liste. La force du regard, une prophétie autoréalisatrice de la façon dont l’animateur regarde l’apprenant.
Quand une personne dotée d’une autorité, comme le formateur, questionne l’apprenant sur son retour d’expérience, il construit ce qu’il regarde. Le feedback est rationnel et émotionnel. C’est toute la découverte des neurones miroirs, en 1991, chez les primates, et, en 2010, chez l’homme. Il s’agit d’un phénomène mimétique qui fait que l’homme t’adapte à l’intention émotionnelle de son interlocuteur particulièrement en autorité. Les neurones miroir sont un phénomène « primitif » qui favorise la proximité sociale dans l’espèce humaine et assure une régulation des rapports humains. L’intensité sur laquelle le formateur insistera permettra à l’apprenant de comprendre l’important et de mettre son attention sur ce type d’apprentissage. Apprendre, c’est dans le regard de l’autre que cela commence, et surtout, c’est dans son accompagnement que cela s’inscrit dans une véritable relation apprenante.
On pourrait remarquer que dans le paradigme des « foules intelligentes » (Howard Rheingold, 2005), les apprenants peuvent connaître des feedbacks issues d’autres pratiques comme la pairagogie ou même l’auto-feedback. Dans le cas de la pairagogie, il s’agit de créer des communions apprenantes pour que ce soit la contagion du groupe qui fasse office de feedback émotionnel. Le cas de l’auto-formation avec le quantify-self, l’apprenant s’auto-évalue, cela nécessite une valorisation sociale projective. L’apprenant doit avoir une capacité d’abstraction et de projection qui valorise le gain ultérieur comme moteur de ses apprentissages. Dans les deux cas, l’érotisation de la formation est un travail indispensable pour donner du sens aux apprentissages de chacun.
L’entreprise est le lieu de ce type d’apprentissage, à la fois dans le crédit qu’elle a accumulé dans le temps, dans la reconnaissance de la spécificité de sa pratique, et, parfois, dans l’ambition d’une promotion sociale. Fort cette histoire, elle a donc la possibilité de construire une communauté de destin qui donne du sens aux apprentissages. Le feedback est un outil de pilotage des apprentissages comme au 20ème siècle, mais c’est aussi un outil d’écoute plus proche de notre contemporanéité. Reste à faire de la formation, c’est-à-dire construire des formes sociales de connaissances et de compétences et de mettre en œuvre de modalité pédagogique pour atteindre ces formes. C’est dans l’émotion que les mises en œuvre peuvent trouver un débouché, c’est le rôle de l’entreprise de savoir redonner de la saveur au savoir et de devenir un incubateur à talents.
Fait à Paris, le 28 mars 2023
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