Pourquoi les découvertes sur l’inné gène la formation ?

par | 16 novembre 2021 | Pédagogie

Le débat sur l’inné et l’acquis est un débat ancien qui a pris plusieurs formes. C’est un débat radical, au sens étymologique du terme, qui retourne à la racine des choses, et donc aux racines de la formation. 1942 est la date de la découverte de l’épigénétique au point d’en faire une révolution dans l’odyssée du vivant et de l’espèce. Cette nouvelle perspective réinterroge le vieux débat inné acquis en ouvrant une porosité entre les deux qui peut avoir des conséquences importantes dans le monde de la formation. Qu’est-ce que cette découverte sur les gênes peut avoir de gênant dans la formation ?  

1, Un débat déjà ancien dans le monde de la formation 

Sans remonter à l’Antiquité qui a fait souvent berceau de cette opposition, la frontière contemporaine est née au 17e et 18e siècle avec l’opposition entre la nature et la société, le 19e et 20e siècle ont repris l’opposition en parlant d’inné et acquis. Le débat s’est enrichit de l’opposition entre les biologistes porteurs de la culture de l’hérédité fondée souvent sur les gênes, et, les sociologues qui regardent à partir culturel et du social. Une taxonomie qui permet à chacun de rester dans son domaine de compétences. La génétique a pu développer au 20ème siècle la notion de programme génétique. Le programme génétique est étymologiquement ce qui est écrit dans nos gênes et qui conduit à la construction d’un déterminisme biologique. Le comportement humain serait donc expliqué par la génétique. C’était la thèse qui a connu un certain succès au tout début du 20ème siècle avec la phrénologie et son application dans la détermination de la morphologie des comportements criminels ou plus tard par l’eugénisme, la sélection des individus composé des “bons” gènes. 

Et l’apprentissage dans tout cela ? Cette question a connu une actualité avec dans les années 50, la querelle entre les behavioristes et les éthologues. Les premiers sont souvent associés à l’expérience d’Ivan Pavlov qui fera de lui un Prix Nobel en 1904. Le médecin russe a prouvé que si l’on accoutumait un chien à un stimuli sonore, une clochette, par exemple, au moment de prendre sa pâtée, ce stimuli pouvait à la longue déclencher la salivation de l’animal sans qu’il soit accompagné de nourriture. C’est ce que l’on appelle le “réflexe de Pavlov”. C’est une réaction acquise, provoquée par un stimulus extérieur, les réflexes conditionnés par l’environnement. Là où les éthologues comme Konrad Lorenz et sa fameuse expérience avec des oisons. Il constate que les poussins sont programmés à s’attacher à leur mère dès la sortie de l’œuf, il prend la place de mère et les oisillons programmé à suivre le premier objet mobile le suivent comme leur mère. Ces comportements sont innés, prédéterminés. Les comportements prédéterminés ne sont pas du domaine de la formation. 

La problématique de la formation est posée par John Locke ou par Jean-Jacques Rousseau, grand lecteur de Locke, dans Pensée sur l’éducation (1693), pour lequel l’homme est une page blanche, une “table rase” sur laquelle chaque individu apprend. C’est l’expérience qui permet l’impression tout au long de la vie. Tout s’acquiert. La formation est le processus qui imprime les formes sociales de l’adulte. Cette construction sociale est devenue le paradigme dominant. On peut l’illustré par deux citations émérites : “l’homme est un animal social” de Platon et “l’homme est un être de culture” du philosophe Pierre Manent. Qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? 

2, la révolution épigénétique 

La génétique est née au 19ème siècle, avec Gregor Mendel et ses expériences sur les petits poids, mais ce n’est qu’avec la découverte de l’ADN en 1962 que le paradigme génétique s’est renforcé en faisant de l’ADN le support matériel des gênes. La génétique est devenue l’étude de la programmation des comportements humains. Contrairement à ses précurseurs Lamarck (1802) ou Darwin, la génétique ne varie pas en fonction de l’environnement. Les petites variations de l’ADN ne sont dues qu’au hasard. On peut noter que Lamarck, comme Darwin, pensait qu’il existait une transmission des caractères acquis. C’est l’histoire de la girafe qui a force d’attraper les feuilles de plus en plus hautes, allonge son cou. Cette modification physique devient héréditaire. La génétique a fait disparaître cette dimension pour assurer le cloisonnement autour de la programmation génétique. 

Mais avec la naissance de l’épigénétique à la fin du 20ème siècle, les choses changent. René Atlan considère que c’est “la fin du tout génétique”. Le tout génétique ne peut plus expliquer les variations du programme, il faut donc introduire des interactions avec l’environnement. La culture, les interactions environnementales, peut influencer la nature de l’homme. C’est le cas observé chez les abeilles, toutes les abeilles ont le même patrimoine génétique, mais en fonction de leur nourriture, du pollen ou de la gelée royale, le programme génétique en fait des petites abeilles ou des reines. Le potentiel a besoin de son environnement pour en faire une réalité. En 1744, Karl Liné avait constaté que la fleur, la peloria, pouvait connaître des mutations génétiques important qu’il ne pouvait pas expliquer. Ce n’est qu’en 1999 que Brigitte Cohen découvre le gene du link. La peloria ajoute une enzyme qui empêche l’utilisation du gène du link. Cet ajout est relativement stable qui assure une hérédité aux générations de peloria suivant, et cela durant 270 ans avant de disparaître. Il ne s’agit pas d’une mutation génétique, puisque les gènes sont toujours là mais la mutation est assez stable pour assurer une hérédité. Brigitte Cohen explique la mécanique de la porosité entre l’inné et l’acquis. 

Le même type d’expériences a été réalisé sur des souris. En 2013, une expérience à a conduit à faire sentir à une souris l’odeur d’un composé chimique. Quand une souris était exposée à cette odeur, elle recevait un choc électrique. Dix jours plus tard, les souris se sont accouplées, et ainsi de suite sur deux générations successives. Dans la même situation les deuxièmes générations, alors qu’elle découvrait l’odeur chimique ont développé les mêmes réactions de stress. La même expérience a été réalisée lors d’une insémination artificielle pour éviter tout contact avec la mère, qui pourrait transmettre cette peur pendant la grossesse, même résultat. Les descendants ont réagi 200 fois plus fort que les souris témoin. Les souris ont transmis une “mémoire de la peur” à leurs héritiers. Autrement dit, l’apprentissage peut être intergénérationnelle grâce aux gènes. 

3, Qu’est-ce que cela peut changer dans la formation ? 

Une des hypothèses structurantes de la pensée formative est celle des Lumières et particulièrement celle de John Locke avec la théorie de la “table rase”, l’homme est une feuille blanche sur laquelle soit la société peut écrire son histoire, soit l’individu lui-même suivant l’idéologie à laquelle on fait référence. Et bien l’épigénèse ouvre une nouvelle voie la feuille de chaque individu n’est pas blanche, elle est écrite de l’histoire des anciens. Elle donne raison à Bernard de Chartres (12ème siècle) : “Nous sommes comme des nains assis sur des épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que nous sommes élevés par eux”. La transmission des anciens. 

Si l’on extrapole le travail de l’épigénétisme, on pourrait peut-être expliquer pourquoi non seulement la culture influence la vie des individus, mais aussi elle favorise celle des descendants. La société est inégalitaire en termes de culture et cette inégalité serait transmissible aux générations successives. D’où si l’on croit en un politique d’égalité, l’impérieuse nécessité de construire des institutions d’acquisition des connaissances et des compétences pour que génération après génération les inégalités se résorbent. La formation pour tous avec une perspective nouvelle tout au long de sa généalogie. L’apprenant n’est plus seulement comptable de ses propres apprentissages, mais aussi celui de sa descendance.  

Et c’est aussi une chance pour l’individu de regarder différemment la formation. Cela ouvre à la formation intergénérationnelle. Il ne s’agit plus de penser la formation, comme par exemple dans la théorie du capital humain, Gary Becker (1964), comme un investissement personnel avec un retour sur investissement, mais un investissement altruiste pour sa descendance enfants, petits-enfants voir plus. On pourrait parler d’investissement familial, intergénérationnel. Je m’engage pour des descendants que je ne connais pas. C’est le principe de responsabilité de Hans Jonas (1979) appliqué à sa famille pour toutes les générations futures. Au final, cela ouvre une nouvelle éthique de la formation. 

La formation est un apprentissage socialisé, autrement dit, c’est une construction sociale. L’épigénisme est une révolution scientifique, reste à savoir ce que le social veut en faire… et comment elle peut le transformer ou non en révolution formative. Ce qui semble intéressant, c’est la montée en puissance dans la société de l’éthique intergénérationnelle… et l’épigénétique pourrait être un débouché pour une révolution formative, sur un mécanisme que certains auteurs ont illustré, comme Thomas Khun avec la structure des révolutions scientifiques (1962). La société a la formation qu’elle mérite. 

Fait à Paris le 16 novembre 2021 

@StephaneDiebold 

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