Qu’est-ce que la Science peut apporter à la formation ?

par | 30 janvier 2024 | Pédagogie

Cet article fait référence à ma conférence au Learning Technologies, le 24 janvier 2024 pour la sortie du livre « Les 100 expériences scientifiques de la formation » (2024, LAP Editions), 300 pages, 300 mots, 300 références documentées, sans prise de tête (https://www.lulu.com/shop/st%C3%A9phane-diebold/les-100-exp%C3%A9riences-scientifiques-de-la-formation/paperback/product-e77vjm8.html?page=1&pageSize=4) dans la même collection que « Les 100 Livres de la formation » (https://www.lulu.com/fr/shop/stephane-diebold/100-livres-de-la-formation/paperback/product-zg9yr7.html?page=1&pageSize=4 ).

La science et la formation sont comme l’huile et le vinaigre. Ils ne sont pas naturellement en émulation, mais si l’on arrive à trouver une belle dynamique entre ces deux composantes cela donne une autre saveur au savoir. La science et la formation sont deux mondes qui ont leur propre fonctionnement, reste à construire la relation. Comment la science et la formation peuvent s’enrichir mutuellement ? Ou plus précisément, comment la science peut enrichir la formation ? Quelques pistes non-exhaustives issues des 100 expériences scientifiques de la formation à propos des 3 chantiers majeurs de la formation. De quoi s’agit-il ?

1, La formation et l’intelligence numérique

ChatGPT est la mode du moment. Il est une des illustrations de la transition numérique de la formation. Le moteur de requête laisse place à un agent conversationnel. ChatGPT a à peine plus d’1 an et 2024 sera l’année du son déploiement et de sa multi-modalité. Qu’est-ce que cela change ? La production de formation explose sa productivité. Le formateur peut demander à ChatGPT de lui construire un programme, de le détailler de construire des quiz d’évaluation, des supports PowerPoint, des books stagiaires ou animateur. L’IA générative est comme son nom l’indique capable de générer autant de projets que l’on veut. La première conséquence est que la création de formation s’en trouve libérée, le nombre de formation décuplé, et surtout le nombre de support s’en trouve démultiplié. L’écrit est une chose, l’image une autre, et demain le podcast, la vidéo, voire la 3D… un formateur seul peut construire tout un écosystème apprenant. Il suffit de demander.

Depuis les années 80, John Sweller a montré que les écosystèmes permettent de mieux apprendre sur la base des duos, mais qui se généralisera à l’ensemble des supports et cela augmente la productivité de l’apprenant. La mémorisation des contenus est augmentée si face à la vidéo, il y  a un texte ou une infographie avec les messages importants. Le contenu devient cross canal, un grain de formation appelle le suivant : le texte appelle le podcast apprenant qui appelle les images avec les verbatims. La pédagogie consiste à conserver la cohérence, et construire le cheminement à travers les spécificités des différents supports. Chaque support est une répétition qui permet la mémorisation durable comme l’a montré Hermann Ebbinghaus en 1885. La science valide l’usage de l’IA générative.

Que nous dit d’autres la science de la formation ? L’agent conversationnel est une externalisation de la mémoire. Eleonore Maguire a montré dès 2000 sur les chauffeurs de taxi londonien, que la formation, apprentissage des rues, doublait l’hippocampe, cœur de la consolidation, le passage de la mémoire de travail à la mémoire à long terme. A l’inverse, l’usage des GPS efface la mémoire qui n’est plus rappelée. L’externalisation libère du temps de cerveau disponible, Michel Serres suppose que cela ouvre à de nouveaux usages pour des fonctions supérieures. Mais la créativité fonctionne par analogie, souvent la nuit, le cerveau associe des matériaux improbables ce qui fait la créativité. Or, l’analogie suppose l’internalisation de la mémoire, l’externalisation rend l’apprenant idiot. La science nous avertit le social pourra faire le nécessaire si besoin est.

2, L’horizontalisation de la formation

ChatGPT permet à l’apprenant de reprendre la main sur ses apprentissages. Il n’y a plus le même besoin de médiation. Pour reprendre le mot d’Ivan Illitch, l’apprenant devient « auteur » de sa propre formation, il devient pédagogue, animateur. La verticalité dominante dans l’Organisation Scientifique de la Formation est en interrogation, nos sociétés sont sujettes à un moment de défiance face à cette verticalité. L’Institut Sapiens a montré que si les Français sont largement pro-scientifiques, il n’en demeure pas moins que deux Français sur trois ont plus confiance à un voisin qui ne connaît rien à la formation qu’une autorité scientifique socialement émérite. Les apprenants ont une appétence pour la proximité, les savoirs d’en haut doit apprendre à se transmettre d’en bas. Dans la définition, où former, c’est apprendre ensemble, le 20ième siècle insiste sur l’apprendre et le 21ième siècle sur l’ensemble.

C’est l’émergence du courant de l’intelligence collective. Howard Rheingold est le père de la pairagogie, même s’il n’est pas le seul à avoir utiliser le mot, il l’a fait. Le collectif était infantilisé durant le 20ième siècle, étymologiquement l’enfant est celui qui n’a pas le droit à la parole, non seulement pour le 21ème siècle, il est invité à s’exprimer, l’adulte n’est plus infantilisé, mais en plus, on considère cette démarche est intelligente, voire même sage. Changement de paradigme. En 2012, Howard Rheingold lance même un projet de handbook, où ce sont les apprenants eux-mêmes qui construisent le manuel leur propre apprentissage. Le symbole est fort du passage de l’expert à l’apprenant. La formation s’horizontalise. Pédagogiquement, cela se traduit par la création d’une politique d’engagement avec des indicateurs de pilotage, de l’avis, au social scoring, et du learner generated content autour de communauté apprenante. Un nouveau monde émerge.

Comment expliquer ce phénomène, qu’Howard Rheingold avait identifié avec l’analyse des flash mobs, dont la première en France a eu lieu en 2003 au musée du Louvre ? Qu’est-ce qui explique cette performance artistique sans sens ? La science propose plusieurs explications. Paul Zak en 2004 montre par exemple que lorsqu’une personne raconte une histoire, cela lui permet de générer de l’ocytocine, une des hormones du plaisir. Et ce qui est inattendu, c’est que lorsqu’on étudie ceux qui écoutent il y a une synchronisation, les deux produisent de l’ocytocine. Autrement, dit le fait de se raconter des histoires, de vivre une aventure ensemble, est un grand kiff pour toutes les parties. C’est d’ailleurs ce que l’anthropologue Pauline Wiessner considère que c’est là, la naissance de la formation, en se racontant ses histoires et en prenant plaisir à s’informer et à se former, il y a plus de 50 000 ans. La notion de culture chez Homo sapiens. La joie serait inhérente à la culture et à la formation. La science nous ouvre des perspectives nouvelles.

3, L’érotisation de la formation

Avec le développement des contenus de qualité disponibles gratuitement, les barrières à l’entrée du monde de la formation, s’en trouve réduite au point où chacun peut apprendre seul n’importe quel sujet. Mieux avec des outils comme ChatGPT, les agents conversationnels permettent à chaque apprenant de construire ses propres apprentissages et de se réajuster en fonction de notre niveau, il suffit à l’apprenant de le dire. Et pourtant, le tsunami apprenant n’a pas eu lieu. Que peut-on en dire ? La pulsion apprenante proposée par Saint Augustin ou Sigmund Freud n’a pas eu lieu. La science nous montre qu’il ne faut pas confondre, apprendre et former. Apprendre est naturel, former est culturel. La formation reprend la mécanique de l’apprentissage pour assurer la socialisation de certains apprentissages. Antonio Damasio a montré qu’il existait des formations naturelles.

Que nous apprend la science ? Sheena Lyengar a diffusé la théorie des pots de confitures. Plus on développe le nombre de pots de confitures, plus les clients sont contents, mais plus on augmente la diversité des pots, moins les gens achètent. Sheena Lyengar propose deux expériences, une avec 24 parfums et une avec 6 parfums, et la différence d’achat est de 1 à 10. Autrement dit, moins on propose, plus le client achète. Quelle conséquence pour la formation ? Laisser l’apprenant avec une myriade de formation sur plateformes LMS n’est pas une liberté offerte à l’apprenant, mais un blocage. Trop de choix, tue le choix. C’est à l’entreprise, autorité sociale, de faire une sélection et de vendre cette sélection aux apprenants, autrement dit, leur montrer le gain pour eux de se former. C’est le travail d’érotisation de la formation. Le responsable de formation devient un marketeux.

Reste à déterminer les modalités de l’érotisation. Par exemple, Kurt Lewis a montré que pendant la Seconde Guerre mondiale aux Etats-Unis, les familles américaines ne mangeaient pas d’abats, qui étaient culturellement considérés comme des sous-produits. Les autorités voulaient inciter les ménagères à consommer ces produites à fortes qualités nutritives et surtout disponibles en période de guerre. Il a composé deux groupes de ménagères. Le premier était avec une explication des bienfaits des abats et l’intérêt de les cuisiner. Le second était avec une mise en pratique, les femmes cuisinaient directement. Conclusion, pour le premier groupe, seulement 3 % ont changé leur comportement en cuisinant, et pour le second groupe, 31 %. De 1 à 10, nous sommes entrés dans l’âge du faire. Faire vaut mieux que tous les discours. Autrement dit, une politique de transformation nécessite de ne pas trop intellectualiser pour éviter la pression du passe à l’acte, plus on explique plus la peur de faire grandit alors que si l’on débute par le faire, le passage à l’acte est désacralisé. Maîtriser de nouveaux supports numériques nécessite d’abord de faire. Cet exemple illustre le fait que la pédagogie doit se doter d’outils de veille d’une sociologie des apprenants.

« Science sans conscience, n’est que ruine de l’âme » (François Rabelais). Certains comme Hartmut Rosa parle de la pédagogie de la résonnance, faire du sens. La science n’aide pas à faire du sens, c’est le sens qui aide à faire de la science, ce que Thomas Khun appelle le changement de paradigme dominant. En période de disruption, la formation ne peut pas s’appuyer sur toute la science, mais sur la science que les responsables de formation choisissent. Il y a un rôle de militantisme jusqu’à ce que le paradigme se stabilise. Aujourd’hui, la formation n’est plus une ingénierie, mais un artisanat, un artisan des ars, qui cherche les meilleurs usages. Artisan et artiste ont la même racine, l’ingénierie s’ouvre à la poésie, en période de transition. Guillaume Apollinaire avait cette belle formule : « il est grand temps de rallumer les étoiles », la science peut aider, mais ne saurait être le faiseur d’étoiles.

Fait à Paris, le 30 janvier 2024

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