Twitch est la petite chaîne qui monte… et bientôt, elle va fêter ses 10 ans, encore petite, mais elle a tout d’une grande. En une décennie, elle a su trouver sa place dans un écosystème déjà très concurrentiel. Un nouveau support numérique qui a un gros succès auprès de la jeunesse, les fameux milléniums tant convoités. Faut-il que la formation s’intéresser à ce média ? Qu’est-ce que Twitch peut apporter à la formation ? Faut-il faire des formations sur Twitch ? Autant de questions de nous allons tenter d’explorer.
1, Avec Twitch, de quoi parle-t-on au juste ?
Twitch est né d’une expérience assez extraordinaire en 2007, quand Justin Kan a lancé un live stream (un direct) 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sur sa vie de geek et de gamer. On peut rappeler que 2007 est le démarrage du streaming à grande échelle, YouTube n’a lancé le streaming sur sa plateforme qu’en 2008. C’était quasiment du jamais-vu à l’époque. Et sur cette base Justin Kan lance Twitch en 2011 avec au début des gamers qui voient jouer d’autres gamers en live. Assez naturellement Twitch a trouvé sa place dans le gaming et dans le eSport, ce qui a permis de vulgariser ces pratiques. En quelques années, Twitch est devenu la référence de toute une génération, les Milléniums. Même si Twitch n’est pas composé que des jeunes, un tiers des usagers ont plus de 35 ans.
Amazon a décidé de racheter Twitch en 2014 pour un peu moins d’un milliard de dollars à la surprise générale. Pourquoi ? Amazon a trouvé là un moyen de trouver un débouché à sa filiale Amazon Web Services, leader mondial du cloud, en fournissant une infrastructure Twitch qui nécessite énormément de logistique pour faire fonctionner le live à grande échelle. Certains parlent même de Cloud Gaming. Ils ont fait de Twitch la même chose que Google a fait avec YouTube en 2006, l’imposer comme le leader mondial.
Aujourd’hui, Twitch a largement dépassé sa base de gaming et de eSport pour s’orienter dans un premier temps vers la musique, le sport, la cuisine, les artistes, … Twitch, ne serait-il pas suffisamment sérieux pour les entreprises ? Pas forcément, si l’on regarde le lancement de la nouvelle émission live stream de Samuel Étienne qui a réussi avec François Holland à devenir le meilleur score mondial de Twitch pour la soirée entre 80 et 100 000 personnes en simultanées … et c’est sans parler du replay. Comme quoi le sérieux peut faire recette sur Twitch. Et pour la formation, qu’est-ce que Twitch peut apporter à la pédagogie ou à l’animation ?
2, Twitch, c’est du live
Avec le confinement, quasiment tous les organismes de formations sont passés au tout numérique faisant ainsi le bonheur des classes virtuelles, la “Zoom attitude”. La majeure partie des animateurs utilise la classe virtuelle comme un outil de visioconférence : raconter leur histoire devant un PowerPoint qui illustre le propos. La démarche est principalement Top Down qui est assez intéressant pour ceux qui savent raconter des histoires avec un minimum de compétences dans la rhétorique. Et, d’ailleurs, c’est assez utile pour créer des enregistrements qui pourraient servir de base à la rédaction de contenus reproductibles du type e-learning.
La technique du live, quant à elle, est beaucoup plus interactive. L’animateur interpelle constamment les apprenants en créant le Bottom Up avec une communication clivante, Christian Salmon parle de “l’ère du clash” ou les punch lines, qui favorise les prises de positions et les interventions des apprenants. Mais le live va plus loin, il peut se passer n’importe quoi à n’importe quel moment dans un live. Le streamer (le créateur de contenu) déroule une pédagogie affective qui suscite l’émotion. C’est l’occasion de construire des pédagogies extraordinaires, en surprenant les apprenants avec des Guests comme des benchmarks qui viennent illustrer la formation. C’est le monde entier qui peut s’inviter dans la formation. C’est l’ADN de Twitch que de créer des lives comme l’illustre l’expérience de Justin TV.
Le live crée une curiosité et une peur de rater l’événement. C’est le syndrome du FOMO, Fear Of Missing Out, la peur de rater quelque chose, que seul le live permet. Le live permet de capter l’attention des apprenants pour transmettre connaissances et compétences et de favoriser les interactions. D’ailleurs, le pair à pair est tellement important que dans le replay, il ne s’agit pas tant de la vidéo de l’événement que de la vidéo et du tchat pour avoir les réactions des apprenants, c’est cette interaction qui fait le live. Le live est une aventure pour les apprenants, il peut toujours se passer quelque chose et c’est ce qui crée une fidélisation au sein de la relation apprenante.
3, Twitch, c’est de l’engagement
Twitch crée une proximité entre les apprenants et l’animateur. C’est un échange moins formalisé que le discours traditionnel de l’expert. L’expert ne se cache pas derrière son savoir, il en est animateur. C’est un changement de posture, ce n’est plus l’apprenant qui va à l’expert, mais l’expert qui va à l’apprenant. Il met son savoir au service de l’apprenant, autrement dit, il propose une pédagogie agile. En partant des préoccupations et des réactions de l’apprenant, il doit reconstruire sa pédagogie pour atteindre les objectifs pédagogiques prédéfinis. L’improvisation dans l’animation devient exercice de style pour les formateurs.
Ce qui est intéressant dans la pratique de Twich, c’est que l’animation crée une communauté autour de la contagion émotionnelle. Cette communion apprenante permet aux viewers de réagir plus facilement. Le passage à l’acte est encouragé par la réaction des autres. On sort du classique 10 % des actifs ou pro-actifs, pour entrer dans des taux d’une tout autre nature. La culture de l’engagement permet aux observateurs d’agir plus facilement. On peut constater cette différence de culture quand on compare Twitch et YouTube. Les deux font des directs, mais dans si YouTube est plus mainstreaming et beaucoup plus regarder, Twitch à l’inverse est beaucoup plus dynamique, une autre culture que la formation va pouvoir expérimenter.
Il s’agit donc d’avoir une pédagogie de l’engagement, avec le fait de solliciter constamment les apprenants avec des likes, mais aussi des quizz, d’augmenter les métriques de l’engagement avec le fait de favoriser l’expression, le questionnement, jusqu’au fameux Learner Generated Content (LGC). L’engagement est une courbe d’apprentissage qui va accompagner l’animateur dans le fait de construire le feed back de son animation, et grâce à ce retour en live, il peut réajuster si nécessaire le positionnement de sa transmission.
Twitch est un outil pédagogique extraordinaire pour professionnaliser les animateurs. C’est un lieu d’entraînement, un learning lab qui permet à l’animateur d’entrer dans le 21ème siècle en sortant de la posture de l’expert. L’animateur du 20ème siècle était centré sur le savoir, alors que l’animateur du 21ème siècle est centré sur l’apprenant. Il est nécessaire de construire de nouvelles cartographies de compétences qui tiennent compte de l’évolution sociétale de l’apprenant avec les apprentissages communautaires et les apprentissages émotionnels. Twitch est un bon outil pour engager la transformation professionnelle des formateurs. Après tout, il faut bien un lieu pour s’entraîner…
Fait à Paris, le 15 mars 2021
@StephaneDiebold