Vive les formations gratuites

par | 14 décembre 2020 | Marketing, Organisation, Pédagogie

La gratuité et la formation sont deux idées qui ont des relations complexes. La formation gratuite représente un marqueur social, un grand rêve, un idéal de formation pour tous tout au long de la vie. Le numérique ouvre des perspectives intéressantes avec des produits comme les MOOC, mais pas que… Serait-ce à dire que l’avenir sera à des formations gratuites pour tous ? Que faire de cette nouvelle tendance ? Comment l’entreprise, terre de la marchandisation, peut s’approprier ce phénomène ? 

1, Le rêve de la formation gratuite pour tous 

Le rêve de la formation pour tous nous vient des Grecs qui en ont fait le fondement du citoyen éclairé par la connaissance du moment. Le cartésianisme en a repris les fondements en y ajoutant au 18ème siècle la science comme connaissance éclairante avec que l’on appelle le scientisme ou le saint-simonisme. C’est le fond du discours de Nicolas Condorcet (1792) où “l’instruction ne devait pas abandonner les individus au moment où ils sortent de l’école” avec des conceptions comme “l’éducation permanente” ou “la seconde instruction”, on dirait aujourd’hui formation tout au long de la vie. C’est la grande utopie de l’apprenant autodidacte, étymologiquement, capable de se choisir lui-même sa propre destinée. Aujourd’hui avec les formations gratuites accessibles à tous, on retrouve notre vieux rêve civilisationnel.  

On pourrait rajouter l’expérience originale des universités populaires nées au 19ème siècle, la première université populaire est née au Danemark en 1844 et a eu un écho particulier en France avec les associations philotechniques. La première université populaire française est née en 1848. Permettre de diffuser la connaissance à tous et particulièrement aux peuples, pour diffuser le progrès et le mérite comme ascenseur social. Les universités populaires, sont toujours d’actualité, on pourrait citer la très médiatique université du philosophe Michel Onfray ou encore l’association des universités populaires de France, créé en 1987, (http://www.universitespopulairesdefrance.fr/). On en dénombre plus de 300 en France. C’est peu et beaucoup à la fois. 

Le numérique ouvre un nouveau rêve de formations gratuite pour tous. C’est que contrairement aux modèles précédents, il ne s’agit pas d’un bien rare. Le modèle traditionnel est un sachant qui diffuse son savoir à un moment donné sur un lieu donné. C’est un événement formatif qui ne peut être dupliqué qu’à hauteur de la capacité du formateur à multiplier la même formation. Avec le numérique, la duplication du replay est possiblement infinie, ce n’est plus la limite de la diffusion qui fait limite mais la limite de l’apprentissage. Ce qui fait dire à certains que la formation peut être considéré comme un bien commun. Cette ressource gratuite permet à chaque individu d’exploiter et de tirer profit individuel de cette ressource commune. Finalement, le numérique a la possibilité de réaliser le vieux rêve libertaire de la diffusion de la formation pour tous. Et cela ouvre, des perspectives nouvelles une renaissance numérique, comme la Renaissance a permis une nouvelle posture face au savoir. 

 2, Si c’est gratuit, l’apprenant est le produit 

“Si c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit”. Cette punch line du numérique s’adapte particulièrement à la formation. Et en général, il s’agit d’une critique qui est adressée aux GAFAM ou aux BATX, sur le fait que l’usage des données comme par exemple notre historique permet de construire des profilages très pointus des usagers. C’est toute la critique des scandales du type Cambridge Analytica, dont le slogan est “les données détermines tout ce que nous faisons” et sa mission est de changer les comportements grâce aux données. Il a influencé des élections comme celle de Trump ou du Brexit en 2016 d’où la critique, et comme cette manipulation a été monétisée, c’est tout le monde de l’argent qui est condamné. Mais il est possible de poser le problème différemment. Comment ? L’apprenant est le grand inconnu du 20ème siècle. Ce pourrait être une façon efficace de profiler l’apprenant. Et ainsi de capitaliser des données qui permettrait de personnaliser les formations, remettre l’apprenant au centre de la formation (https://affen.fr/pedagogie/comment-remettre-lapprenant-au-centre-de-la-formation/). 

Cette première remarque doit être compléter par une seconde, si tout est gratuit comment monétiser et vivre de son métier de formateur ? L’exemple des MOOC est intéressant, à l’origine ils ont été réalisés par l’Education nationale qui payait par ailleurs les formateurs, le modèle économique était biaisé. Si l’on prend la numéro 1 des MOOC Cécile Desjoux avec plus de 200 000 inscrits sur son dernier MOOC, elle ne monétise qu’en proposant une certification à hauteur de 60 €. Ce qui peut représenter une certaine somme, si seulement 1 % demande le certificat, cela fait 120 000 € de monétisation. Mais pourquoi limiter son écosystème au seul certificat… pourquoi ne pas proposer un ouvrage, du coaching, des groupes de paroles, des mugs, …. C’est la stratégie de la longue traine, même avec un petit groupe on peut trouver des leviers de croissance en multipliant le nombre de produits. Le massif gratuit est un produit d’appel pour la monétisation. Et comme tout ou partie de la formation est scalable, on peut la réutiliser plusieurs fois. Comme quoi ce n’est pas forcement l’apprenant qui est le produit, mais le produit qui repose sur un autre modèle. 

Il s’agit plus d’un new deal, d’une nouvelle donne sociale. La barrière de l’argent n’est plus un frein à la formation à condition d’organiser la régulation. Il n’est pas absurde socialement d’offrir toutes les meilleures formations et d’étudier en retour les comportements des apprenants… un deal. Facebook nous offre un réseau international de près de 2 milliards d’individu connecté tous les jours, et cela, gratuitement, il n’est pas absurde de reproduire le même modèle… à condition qu’il y ait transparence des pratiques et une acceptation explicite. RGPD friendly. 

 3, Le gratuit a-t-il du sens en entreprise ? 

Avec l’optimisation des budgets le gratuit pourrait trouver un bel écho dans l’entreprise. Mais le plus grand intérêt est ailleurs… si l’on offre trop de choix à un apprenant, cela réduit son passage à l’acte. Le retail nous offre de nombreuses expériences où le nombre de parfums de confitures par exemple réduise d’autant l’acte d’achat, trop de choix tue le choix. Si l’on transpose ses expériences aux produits de formation, trop de formation empêche le passage à l’acte. C’est à l’entreprise de faire les choix préalables pour orienter et accompagner l’apprenant. Et l’entreprise peut aller plus loin en développant un travail de marketing pour renforcer la désirabilité des formations, autrement dit leur donner de la valeur affective. Grâce à cette hiérarchisation des formations, l’entreprise fait son travail d’ergonomie du choix. A chacun son travail. Le gratuit nécessite la valorisation. 

Un second point qui plaide en faveur de l’entreprise apprenante gratuite, c’est qu’elle organise ce que l’ancien Directeur Général de TF1 avait appelé “le temps de cerveau disponible”. Avec le gratuit, la rareté dans la formation n’est plus dans l’accès aux formations après avoir levé la barrière de l’argent, mais dans la capacité d’apprentissage de l‘individu afin d’éviter par exemple le burn-out de l’apprenant. Sachant que cette capacité est très différente d’un individu à l’autre, il est absurde de raisonner en capacité moyenne. On peut noter qu’il commence à y avoir des indicateurs d’attention, mais aujourd’hui la connaissance de l’apprenant nécessite encore un investissement dans la learning data. L’adage “apprenez, apprenez, il en restera toujours quelque chose” est vrai, mais il faut regarder ce qui reste à la fin, et l’inflation des formations suscite un sentiment de déclassement qui démotive l’apprenant. L’entreprise se doit de choisir et d’optimiser l’engagement apprenant pour optimiser l’efficacité de la formation.  

Enfin, le gratuit appelle la médiation de l’entreprise, elle devient organisme de certification. L’indicateur prix était qu’on le veuille ou non un indicateur de valeur. Avec le gratuit, il y a trop de formation, trop d’innovation, il est nécessaire de construire une veille sur les contenus, sur la pédagogie et sur l’animation. L’entreprise est comme le commissaire-priseur, il qualifie la formation pour permettre la décision de l’apprenant. L’avantage de l’entreprise, c’est qu’elle la même culture que ses collaborateurs, et pour cause. Elle est donc en autorité pour légitimement se faire entendre, à elle de devenir un agent de curation et de veille, mais aussi un agent de validation et de hiérarchisation. Le travail du responsable de formation est de développer un learning branding, une marque apprenante qui se construit en harmonie avec le corporate branding et le professional branding… la réputation est un outil majeur dans la mobilisation des compétences et des connaissances autour du projet stratégique de l’entreprise. 

Ce qui est assez extraordinaire avec le gratuit, c’est qu’il est agitateur de certitudes. Dans un monde organisé autour de la monétisation, l’argent était un bon indicateur. Si une entreprise voulait investir en formation, il suffisait de suivre l’argent pour savoir quel était son engagement. Le budget de formation était un bon indicateur. Avec le gratuit, une entreprise peut baisser le budget de formation et augmenter le nombre de personnes formées. Tous les experts-comptables de la formation vont devoir inventer des nouveaux indicateurs. L’alternative du gratuit oblige à réinterroger la formation, tant sur son efficience que sur son efficacité. Et le responsable de formation est celui qui par expérimentation dessine les formes de la nouvelle formation… en rappelant que la formation ne sert à rien si elle n’a pas de sens stratégique. Pour une stratégie donnée, la formation doit designer… avec les deux sens du terme : le design comme dessin, l’émotion pédagogique, et le design comme dessein, le sens des choses. Ce que la littérature appelle le Learning design … le gratuit n’est finalement pas la réponse mais bien la question. 

Fait à Paris le 02 mai 2014, dernière modification 11 décembre 2020, publié par MyRHline 

@StephaneDiebold 

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