Happy birthday ChatGPT ! A quand la formation ?

par | 5 décembre 2023 | Technologie

CHRONIQUE DE L’IA FORMATIVE

ChatGPT vient d’avoir un an. Voilà un an que ce LLM (Large Langage Model) s’est ouvert au grand public, et en 2 mois, plus de 100 millions d’utilisateurs ont téléchargé l’application, du jamais vu. En 6 mois, 2 milliards. C’est inouï. Certains considèrent déjà qu’il s’agit d’une deep tech, une technologie de rupture de même nature de l’émergence du web ou du mobile. Les agents conversationnels envahissent le monde. Et que fait la formation dans ce mouvement planétaire ? Qu’est-ce que cela change dans la création de l’industrie de la formation ? Et pour les apprenants ? Que faut-il penser d’une technologie qui fête ses un an de lancement ?

1, Faut-il avoir peur de la machine qui apprend ?

Avec le recul d’une année complète, ce qui semble beaucoup dans le nouveau monde, l’intelligence artificielle générative fait débat, autrement dit elle permet la confrontation d’idée sur le phénomène pour permettre à la société qui pense de penser les conséquences d’une telle technologie. Faire débat, c’est sortir de la sidération ou de l’effet waouh pour proposer une trajectoire sociale, une trajectoire pensée avec ses opportunités et ses dangers. La première considération est que l’IA générative ne peut être le fait que les GAFAM, pas tant dans sa conception que dans son déploiement. Si Mistral AI (https://mistral.ai/), le ChatGPT français crée en 2023, existe, il lui faudra de la data massive pour sa phase d’apprentissage et seuls les GAFAM ont l’accès. C’est une des raisons pour laquelle X.AI d’Elon Musk, créé aussi en 2023, a sur le papier plus de chance que notre start-up française. Avantage pour les gros avec un risque d’oligopole.

La véritable critique sur le fond, est que l’intelligente artificielle n’est pas si intelligente que cela. Jean Piaget disait « L’intelligence ce n’est pas ce que l’on sait, mais ce que l’on fait quand on ne sait pas ». A cette définition, ChatGPT n’est pas intelligent, il mixte le savoir qui existe déjà. Pour certains ChatGPT n’est qu’un répétiteur, pas un inventeur. Ce qui laisse une place pour l’homme, inventeur émérite… voilà une pensée rassurante qui favorise l’acceptabilité sociale de la machine. Mais la posture est douteuse surtout si l’on pense à l’intelligence artificielle générale qui nous est promise pour dans une dizaine d’années suivant les auteurs. L’intelligence sera-t-elle pour demain ? Surtout si l’on considère, à l’instar de Douglas Hofstdter et Emmanuel Sander (L’analogie, cœur de la pensée, 2013) que l’invention ce fait par analogie et que la machine est faite pour l’analogie à grande échelle, il serait doute de ne pas pouvoir inventer une machine qui invente, à terme. Peu importe, aujourd’hui, la machine ne fait qu’agréger massivement en temps réel ce qui est déjà une belle innovation.

ChatGPT inquiète faute de pensée l’avenir. De nombreux métiers sont en interrogation sur un véritable risque existentielle. La disparition de certains métiers est dans l’ordre du progrès social, le progrès conduit au changement voire à la disparition de certains métiers datés. Les réveilleurs, très présents jusqu’au début du 20ième siècle, tapaient au carreau pour réveiller leur client, le métier a disparu avec la montée en puissance du réveil. On pourrait parler du métier d’allumeur de réverbères apparu au milieu du 17ième siècle à Paris et disparu autour des années 1940 avec le développement de l’électricité ; ou encore des poinçonneurs dans les transports publics disparus en 1973 ou encore du métier de caissière en voie de disparition par les caisses en libre accès. Le changement est inhérent au progrès. Ce qui est dangereux ce n’est pas tant le changement que l’absence d’organisation sociale qui anticipe et structure le changement.

2, Oser l’infusion organisationnelle

On peut reprendre la distinction classique entre l’infusion et la percolation de l’innovation. La percolation est le fait de faire passer l’eau en force pour permettre aux saveurs d’enrichir le produit, c’est le petit café du matin. Alors que l’infusion, consiste à mettre le parfum dans l’eau pour lui permettre de prendre les qualités gustatives du produit immergé, l’infusion du soir. Par analogie, l’innovation peut se faire en force ou en douceur, par percolation ou par infusion. Le pilotage de la transformation choisit sa stratégie en fonction de sa capacité à anticiper ou non le changement. ChatGPT est un outil disruptif, autrement dit, il y a ceux qui le regarde comme un OVNI, Objet Virtuel Non Identifié, comme une curiosité et ceux qui se lance dans son acculturation sociale. L’Institut 4.10 de la Sécurité Sociale, par exemple, a lancé un vaste programme d’infusion de l’IA générative, quelques mois seulement après le lancement de ChatGPT pour ses cadres dirigeants, évitant ainsi l’éventuelle violence d’une percolation à venir. Organiser les innovations.

Le phénomène n’a rien de nouveau, Benjamin Coriat avait écrit en 1990 dans L’atelier et le robot. On pourrait aussi parler de la robotisation du retail. Monoprix avait à Levallois-Perret expérimenté, dans les années 2 000, le magasin sans caissière. Le POC, Proof Of Concept, était positif, mais ce n’est qu’aujourd’hui, 20 ans après, que la massification se réaliser. C’est vrai aussi que la concurrence pousse à l’innovation. Amazon teste depuis quelques années le paiement par l’appli de son smartphone, donc sans caisse. Le moment est schumpetérien pour l’ensemble de l’économie. On pourrait dire que Joseph Schumpeter, début du 20ième siècle, rien de nouveau sous le soleil, pas besoin de se précipité au risque de mal faire. « Il faut donner du temps au temps » disait Don Quichotte. C’est tout l’enjeu de la disruption, autrement dit le changement rapide, le syndrome de la reine rouge. Le biologiste Leigh Van Valen reprenait le livre « De l’autre côté du miroir » de Lewis Carroll où la Reine Rouge affirmait « qu’il faut courir aussi vite que possible pour rester à la même place ». La course à l’économie est lancée, il y a ceux qui courent et ceux qui regardent les coureurs.

ChatGPT a lancé la course, une course de fond avec des accélérations qui permettent à chacun de rester ou non dans le peloton. Ce qui est notable dans cette transformation, c’est que son adoption sociale n’est pas le fait des sommets stratégiques, mais de la base, des usagers eux-mêmes. L’adoption mondiale à 2 milliards de téléchargements en 6 mois relève de l’exploit mais surtout de l’horizontalisation de l’adoption. Les early adopters ont été technophile, mais rapidement dépassé par des usagers qui voyaient l’intérêt et l’ergonomie de ChatGPT. Ce qui fait qu’aujourd’hui, la courbe d’apprentissage des entreprises est en retard par rapport à l’innovation de masse. Tout l’intérêt est d’organiser, faute d’initier, l’intelligence collective autour de ses pratiques. Si l’INSEE considère qu’il existe bien 15 % de la population qui serait « illectronistes », et donc qui nécessiterait une formation particulière ; 85 % peuvent très bien « naturellement » développer leur propre courbe d’apprentissage à condition d’initier le mouvement.

3, Et la formation ?

Dans le cadre de la stratégie France 2030, l’IA a pris une place particulière avec la création du Comité de l’Intelligence Artificielle générative, le 19 septembre 2023 dont le but est éclairé le gouvernement dans cette révolution technologique. L’écosystème public se met en place. On peut noter que le privé n’est pas en reste avec par exemple Mistral IA qui est opérationnel et Kyutai, l’Open Ai à la Française de Xavier Neil lancé le 17 novembre 2023. L’originalité de Kyutai est qu’il est en open source, seule possibilité pour rattraper le retard au démarrage des acteurs français, la force de l’intelligence collective, comme d’ailleurs l’était à l’origine Open AI. La structuration de la réponse française est une structuration de l’offre qui à terme pourrait être positive, mais l’IA générative peut aussi structurer la demande et les usages. Comment l’IA va-t-elle transformer la formation ? Nous avons déjà abordé le sujet (https://affen.fr/technologie/formation-linvasion-de-lia-a-commence/), la nouveauté est que la course à l’adoption a été lancée pour les usages ?

L’infusion ou la percolation de l’IA est particulièrement intéressante pour tous les métiers de l’administration de la formation qui pourrait facilement être pilotée par l’IA et donc libérer des forces vives pour les actions de formation. Cette idée simple, voir même simpliste, nécessite d’avoir une nouvelle gouvernance de la formation pour éviter les freins légitimes au changement et à terme la percolation. Comparaison n’est pas raison, mais permet la mise en perspective. La plateforme FUN MOOC lancée en 2013, soit un an après le lancement de Coursera de Sandford et d’EdX de Harvard, ce qui en faisait une innovation majeure dans la stratégie des plateformes éducative pouvant doter la France d’un outil extraordinairement scalable de la formation. 10 ans après où est le projet du Amazon français de la formation ? Du Netflix du MOOC ? L’intérêt n’est pas tant d’avoir la bonne idée au bon moment, mais de la faire pivoter dans le temps pour qu’elle puisse porter toutes ses potentialités.

ChatGPT n’échappe pas à ce timing, un an après l’émergence de l’outil reste à construire l’usage par l’organisation de la formation. Toutes les étapes se trouvent boostées que ce soit sur la définition pédagogique, la construction des supports, des situations apprenantes, et même le marketing de la formation pour donner envie, ChatGPT est un accélérateur de performance à tous les niveaux. Les métiers de la formation deviennent plus créatifs avec un gain de temps extraordinaire que ce soit les animateurs, les pédagogues ou les managers de la formation, tous vont profiter de gains de productivité. La question n’est pas de savoir s’il faut ou non accepter ChatGPT dans son métier mais comment le métier va s’enrichir avec l’IA. Il y aura ceux qui resteront productifs avec l’IA et ceux qui ne le seront pas. La formation de par sa légitimité sociale est souvent un accélérateur d’intégration de l’innovation. Et si la formation est stratégique pour l’entreprise, elle se dotera ainsi de marges de manœuvre nouvelles pour se transformer.

ChatGPT comme innovation choisie est la rencontre d’une technologie et d’un social. L’entreprise a une responsabilité particulière en la matière. C’est d’érotiser l’innovation, faire de ChatGPT une innovation qui fasse sens pour les apprenants. Pas tant pour l’innovation elle-même que pour la courbe d’apprentissage qu’elle engendre. Apprendre du nouveau, et du nouveau encore, pour que d’innovations en innovations chaque collaborateur puisse entrer en douceur dans le 21ième siècle. La politique de formation est la clé pour une transformation heureuse par anticipation des changements à venir.

Fait à Paris, le 05 décembre 2023

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