En juin 2022, The Economist faisait sa couverture sur « l’IA une nouvelle frontière ». 2022 l’année de l’IA. Et déjà chacun se positionne : il y a ceux qui ne veulent pas faire bouger les choses, Science Po interdit ChatGPT en janvier 2023 ; ceux qui minorent les choses, Jean-Noël Barrault, Ministre délégué en charge de la transition numérique, dit que Chat GPT est un « perroquet approximatif » ; d’autres, enfin, considèrent que c’est une deep tech, une technologie de rupture. Quelles sont les conséquences de cette situation dans la formation professionnelle ? Qu’est-ce que cela veut dire pour des emplois comme celui des responsables de formation ? La machine, va-t-elle transformer le métier ou s’agirait-il de changement à la marge ? Que faut-il en penser pour les métiers de la formation ? Est-ce la fin programmée du responsable de formation en entreprise ?
1, Chat GPT détruit des emplois
IBM vient de lancer une opération de transformation sur 5 ans pour remplacer des milliers d’emplois par l’intelligence artificielle, il semblerait que 30 % des effectifs, soit 26 000 emplois devrait être concernés par cette transformation. La direction minore et annonce que cette réduction toucherait que les services administratifs. Plus globalement, en mars, le cabinet Goldman Sachs affirme que 300 millions d’emplois pourraient être remplacées par l’automatisation numérique et l’IA (https://iatranshumanisme.com/wp-content/uploads/2023/03/Global-Economics-Analyst_-The-Potentially-Large-Effects-of-Artificial-Intelligence-on-Economic-Growth-Briggs_Kodnani.pdf) 18 % du travail dans le monde pourrait être automatisé avec l’IA. La nouveauté est que cela concerne plus les pays développés que les pays émergeants. ChatGPT est un destructeur d’emplois.
La grosse nouveauté tient au fait que les emplois détruits concernent les « cols blancs ». Les luddites en col blanc s’opposent à la machine, mais on peut se souvenir que si les luddites paysan ont agit en 1811-1812 et que 13 furent même pendus, mais leur mouvement a disparu avec cette clôture. Le progrès technique est passé. Les cols blancs, oui, et ce serait une erreur de penser que les cols bleus soient épargnés. Sam Altman, le fondateur d’OpenIA, a investi dans Neo, un robot humanoïde, l’émergence des robots intelligents comme d’ailleurs Elon Musk et son Optimus arrive. Les cols bleus seront touchés aussi la révolution proposée par l’IA.
Et que dire de l’Intelligence Artificielle Générale qui se prépare et qui devrait arriver d’ici 3 à 7 ans suivant les experts. Le français Yann Le Cun dit : « L’intelligence artificielle conduire peut-être à un nouveau siècle des Lumières ». C’est une révolution qu’il faut penser. Qu’est-ce qui va changer dans les emplois ? La bonne question n’est pas de savoir si l’IA va détruire le métier en place, mais de savoir comment faire évoluer les métiers pour faire un progrès social et économique de l’IA. Autrement dit, « le responsable de formation doit-il craindre l’IA ? » n’est pas la bonne question mais « Comment faire évoluer le métier actuel de responsable de formation pour qu’il garde une valeur sociale ? »
2, La fin du responsable de formation canal historique ?
ChatGPT peut prendre en charge tout ce qui est administratif, budgétaire et juridique. ChatGPT peut faire des recherches sur les règlements et sa jurisprudence. Aux Etats-Unis lors du passage de l’examen du barreau pour devenir avocat, ChatGPT a réussi avec un score de 70 %, haut la main. Pareil pour les examens de médecine. Et ceci avec GPT3. L’automatisation du travail du responsable de formation ne pose pas de problème pour peu que l’IA soit connectée au web pour avoir l’actualité. Mais plus intéressant, une enquête de l’Université de San Diego, en date du 28 avril 2023 (https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/article-abstract/2804309) montre que ChatGPT est plus pertinente dans ses réponses qu’un médecin humain, et en plus qu’il est plus empathique, plus à l’écoute, que l’humain à hauteur de 80 % des personnes interrogées. Bien sûr, il ne s’agit pas d’empathie ressentie par la machine, l’IA simule, mais pour le patient, c’est loin d’être neutre. Autrement dit, la pression est sur les RF, plus pertinente et plus à l’écoute.
L’affaire semble entendue. Et pourtant… le travail classique du responsable de formation est de former et de transformer les collaborateurs. Et face à ChatGPT l’intérêt est majeur, permettre à chaque collaborateur de s’approprier cette innovation. L’avenir n’est pas tant de savoir si ChatGPT va détruire des emplois, ou non, mais de savoir comment faire en sorte que chaque métier s’approprie l’IA. Et c’est le travail de la formation que d’acquérir ces nouvelles compétences. Le travail d’acculturation est un travail classique de responsable de formation, adapter les connaissances et les compétences aux évolutions du marché. La seule difficulté est de construire ces usages sans les connaître, mais là encore les learning lab, sont connu pour répondre à ce type de besoin.
D’ailleurs, le rôle de la formation est d’être ambassadrice de l’innovation, en étant early adopter, et de permettre ainsi de valider l’innovation comme une réalité sociale. Il s’agit de faire en sorte que les formateurs et les pédagogues soient eux-mêmes des pratiquants de ChatGPT4, en attendant ChatGPT5 fin 2023 et tous les autres GPT qui arrivent. Permettre aux professionnels de la formation d’apprendre et de gagner en performance et en autonomie. Cette étape ouvrira au fait de faire des apprenants à leur tour des créateurs de contenu, le fameux Learner Generated Content (LGC). ChatGPT va engager une politique d’implication des apprenants, encore faut-il l’incarner pour en faire formation, autrement dit une intelligence collective. Et là, c’est le rôle de la ligne formative qu’il faut bien organiser et manager.
3, Quel avenir pour le RF après la période de transition ?
ChatGPT est un agent conversationnel rationnel, voir rationnalisant. C’est un algorithme de prédictibilité. OpenAI a construit un corpus documentaire qui sert de structure à ChatGPT, ce corpus a été organisé jusqu’en 2021, c’est pourquoi aujourd’hui sa connexion au web est indispensable pour gérer l’actualité. La prédictibilité est de prévoir le mot suivant. Il a été entraîné en retirant des mots dans des textes, en lui demandant de le prévoir et de contrôler a posteriori. Si le mot n’est pas trouvé, la machine fait bouger les coefficients de prédiction jusqu’à ce qu’il tombe juste, le machine learning. Ce mécanisme ne travaille pas à partir du sens, mais de la statistique. Sundar Pichai, PDG de Google, sur un équivalent ChatGPT, qu’après quelques requêtes en bengali, avait annoncé qu’il pouvait traduire alors qu’il n’a jamais été programmé à traduire dans cette langue. Autrement dit, la machine est capable d’usage rationnel impressionnant.
La formation aurait tort de ne pas profiter d’une telle amélioration de l’efficacité de l’apprentissage. Et c’est d’ailleurs, ce que certains proposent de faire en faisant exploser les performances de la relation apprenante. Par exemple, avoir un agent conversationnel pour apprendre une langue est un usage qui a déjà trouvé ses apprenants. Le « One to one » construit ses nouveaux usages. Mais le travail d’émiettement des apprenants pose un problème. L’individualisation des parcours ne veut pas dire apprendre seul. La formation est un apprentissage socialisé, il y a bien cette notion de collectif, le fameux apprendre seul ensemble. C’est le travail d’organisation de la formation que de construire ses lieux de rencontre autour de commun pour favoriser les communions apprenantes. Le responsable de formation à un travail de géographe des connaissances et des compétences pour construire ces tiers lieux présentiels ou numériques, validées par la société.
Mais c’est aussi de sa responsabilité de construire la pédagogie qui va avec. Certains prônent des Learner experience (LX) où l’émotion fait partie du processus pédagogique, d’autres insistent sur les mécaniques d’intelligence collective. Tout est bon pour peu que l’on atteigne les objectifs pédagogiques. Le responsable de formation peut par exemple choisir la pairagogie en demandant à chacun de travailler en amont et de venir confronter son travail au sein du collectif de pairs pour avoir leurs réactions. Cela donne une dynamique apprenant forte qui permet à chacun de retravailler seul dans son coin sachant qu’il devra « frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui » pour reprendre la citation de Montaigne (Essais, 1580). ChatGPT devient un accélérateur de talents personnel et collectif à condition d’avoir préalablement construit la pédagogie.
Face à ChatGPT, le travail du responsable de formation est de penser les nouvelles formes de la formation que ce soit sur la forme et sur le fonds afin de construire une dynamique nouvelle qui associe la machine et l’homme dans une nouvelle façon de construire de la compétence et du talent. Mais son travail n’est pas seulement de construire l’architecture, il est surtout d’assurer son acceptabilité sociale, faire en sorte que tout à chacun puisse profiter des avantages de la machine. C’est le travail de la pédagogie, mais aussi de l’érotisation da la formation, savoir donné envie, c’est le travail du marketing et/ou du design de la formation. Et là, le responsable de formation a un rôle important à jouer pour piloter la transformation. Comme quoi ChatGPT peut devenir un atout pour rendre la responsable de formation indispensable à la transformation de l’entreprise… On pourrait dire, comme cela a toujours été le cas.
Fait Paris, le 09 mai 2023
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