Pourquoi l’EdTech n’est pas la formation ? 

par | 8 février 2022 | Technologie

L’EdTech a le vent en poupe, particulièrement avec l’émergence de l’idée d’une “startup nation”, faire entrer la formation professionnelle dans le “nouveau monde” principalement le monde du numérique. Selon PwC, le marché dans le monde est estimé à 250 milliards et selon Holllon IQ, il devrait atteindre 400 d’ici à 2025 et 10 000 milliards en 2030. Brighteyes Ventures remarque qu’en Europe qu’en 2020 en pleine pandémie 95 % des ressources sont toujours allouées au non numérique. Alors s’agit-il d’un phénomène de techwashing, parler de tech quand on n’en fait pas, ou d’une véritable révolution qui est en marche dans les idées avant de l’être dans les faits ? Autrement dit qu’est-ce qui manque à l’EdTech pour remplacer la formation, avec un regard particulier sur la situation française ? 

1, Qu’est-ce que l’EdTech ?  

L’EdTech est la contraction des technologies de l’éducation. Si l’on était cynique, on pourrait dire que lorsqu’on n’a rien à dire autant le dire en anglais, cela fait plus chic, mais la réalité est ailleurs, il s’agit d’un modèle particulier qui mise sur des startups pour réinventer le marché. C’est la fameuse “destruction créatrice” de Joseph Schumpeter, un “ouragan perpétuel” d’innovations, la disruption pour transformer le monde de la formation canal historique. Le marché de l’EdTech est bicéphale avec l’Education national et la Formation professionnelle, avec chacun leurs spécificités. Si l’on prend, en France, les chiffres des dépenses intérieurs d’éducation sur un montant annuel de 160 milliards d’euros, l’éducation représente 90 % et la formation professionnelle 10 %. On comprend mieux que l’EdTech ai un prisme Education National, mais la formation professionnelle plus agile, offre certaines opportunités. 

Qu’est-ce que cela recouvre comme activité ? Traditionnellement, on regroupe les activités autour de 3 axes : l’EdTech tourné vers la production de contenus (de type MOOC, SPOC, Master Class, Communauté apprenante, …), l’EdTech de services (de types classes virtuelles, outils de gestion, …) et l’EdTech des plateformes. On peut noter que l’An I de l’EdTech, 2020, a été principalement initié par le confinement du 17 mars, conduisant une adoption numérique forcée dans ce qui était le plus naturel, transposer le présentiel en animation synchrone, à la différence de l’EdTech de contenu qui dominait avant avec les pédagogies inversées. 

La filière EdTech est structurée autour des startups, avec une émulation d’espace de création d’entreprise (les incubateurs), des accélérateurs qui permettent à des startups existantes de favoriser les levées de fonds nécessaires à leur développement. On peut noter qu’il existe aujourd’hui deux accélérateurs dédiés exclusivement à l’EdTech (Brighteyes et Educapital) plus tous les accélérateurs généralistes de type Station F. L’objectif de cette filière est l’émergence de licornes. Une licorne, selon la définition du créateur du concept Aileen Lee, investisseuse américaine, est une entreprise de moins de 10 ans, évaluée à plus d’1 milliard d’euros. Ce sont les futurs Google, Amazon que l’on identifie sous ce vocable. Si l’on reprend le projet français de la French tech, “25 licornes pour 2025”, il y a déjà 26 licornes donc succès pour le projet… mais aucune dans l’EdTech. Si l’on compare à la Chine qui en fait une priorité, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, la France n’a pas encore trouvé sa voie. 

2, L’EdTech est d’abord une fonction de l’offre 

Si l’on regarde les associations représentatives, l’AFINEF, (Association Française des Industriels du Numérique de l’Education et de la Formation) créée en 2012, regroupe une centaine d’entreprises et EdTech France, créer en 2018, en affiche près de 400, la majorité des entreprises, plus ou moins startup, sont orientées comme on l’a vu plus vers l’Education Nationale. La France profite de l’EdTech pour assurer la transformation numérique de son canal historique, ce qui est un accompagnement original mais culturellement difficile de demander une auto-rupture. On peut toutefois remarquer qu’en 2007 Netflix leader sur la distribution de film CD Rom, s’est technologiquement sabordé au profit du streaming. Mais c’est extrêmement rare. Le problème alors est l’accompagnement avec le fléchage vers certaines tech clairement identifiées. 

Si l’EdTech est principalement centrée sur le service et le produit, il manque un engagement dans les plateformes. Dès 2016, le MIT prophétisait la révolution des plateformes comme la prochaine révolution industrielle. Aujourd’hui, dans la formation, la majorité des plateformes sont des sites qui poussent des offres de formation, il s’agit plus de site de ecommerce que de véritables plateformes ouvertes du style le Bon Coin ou Amazon pour être au service de la distribution. On peut noter l’existence de plateforme produit comme par exemple pour les MOOC, la plateforme publique FUN MOOC ou la plateforme privée MyMOOC. Mais encore rien pour les Master Class, pour les tutos, pour les podcasts apprenants ou tout autre produit de formation. Et surtout rien d’inter-produits, un hypermarché de la formation manque dans la structuration de l’offre, une organisation des débouchés des produits de formation. 

L’automation est un levier de croissance de l’EdTech. Avec une intelligence artificielle, il devient de plus en plus facile d’automatiser les processus, on sait le faire pour la comptabilité et la finance, les process sont plus simples pour la formation. Si l’on reste centré sur les organismes de formation, certaines startups comme Learnybox (création 2015) ou Systeme.io (création 2018) et d’autres proposent d’automatiser les processus de production, de distribution et de vente des formations, un scalabilité qui assure à un petit organisme de formation d’avoir “tout d’un grand”. L’IA permet aussi de developper l’adaptive learning, pousser automatiquement du contenu en fonction de la progression des apprenants, c’est la pédagogie qui est automatisée (sur un schéma prédéfini). D’autres deep techs sont en interrogation comme la blockchain, l’IoT, la xR, et tant d’autres. Le problème, c’est que c’est souvent après que l’on sait quelle trajectoire technologique s’impose. Qu’est-ce qui manque encore à l’EdTech ? 

3, Ce qui manque à l’EdTech, c’est une fonction de la demande 

Historiquement, la formation est une fonction de l’offre, c’est un apprentissage socialisé, autrement dit une forme de formation choisie par les autorités sociales. Cela permet de créer des standards sur la création des contenus, leur transmission et leur évaluation. La disruption vient de l’émergence de l’apprenant-roi. C’est une autre façon de penser la formation. Si l’on reprend la gestion des contenus, il ne s’agit pas d’interroger les experts, ni même les apprenants pour savoir ce qu’il faut produire. En période de disruption, on connaît la formule d’Henri Ford : “si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient réclamé des chevaux plus rapide”. C’est l’émergence de la Learner experience (LX) fondé sur le travail de Donald Norman (1993). Créer des formations sur le format Netflix qui surprennent et qui rendent addictes les apprenants. L’émergence du design dans la production. 

Mais c’est aussi, le travail d’intelligence collective. Howard Rheingold parlait de foules intelligentes (2005) peut-on parler des apprenants intelligents ? Les outils numériques existent, c’est la culture qui freine. Le LGC (Learner Generated Content) est un bel exemple de pratique bottom up. Où sont les communautés apprenantes métier, les plateformes de la demande ? Si Amazon a structuré l’offre, Facebook a structuré la demande, où est le Facebook de la formation ? Ce qui est passionnant est que même les petits peuvent construire des communautés apprenantes qui structurent une partie de la demande. Qui seront les influenceurs de demain ? 

Enfin, ce qui manque, c’est une véritable politique de la data apprenante. Le problème de la formation, c’est qu’elle ne connaît pas les apprenants tout particulièrement lors d’une massification des projets. Le Big data permet de connaître chaque apprenant mieux qu’il ne se connaît lui-même et ainsi, lui proposer de façon automatique ce auquel il n’avait même pas pensé, c’est toute la promesse de la prédictibilité. Le plan France 2030 propose de faire de la France “une pionnière de l’innovation” grâce à une stratégie dans l’IA. L’EdTech, sera-t-elle de la partie ? 

L’EdTech souffre d’un problème de gouvernance. C’est le problème de la relation publique privé qui est interrogé. La disruption vient rarement du système, c’est le privé qui est beaucoup plus créatif. Mais il est besoin d’un Etat qui choisisse des orientations. Israël, avec une population de moins de 10 millions d’habitants, a réussi à devenir un des leaders de la sécurité informatique dans le monde. Pourquoi la France, avec ses 67 millions d’habitants, ne deviendrait pas le leader de l’EdTech ? Il manque une culture de la relation avec une véritable définition d’objectifs, et un pilotage en temps réel pour les atteindre. Les Etats-Unis on réussit ce mariage, ce n’est pas un hasard si la Silicon Valley financée par l’Etat a trouvé eu la réussite qu’on lui connaît. L’EdTech pourrait devenir un territoire d’expérimentation pour construire une souveraineté numérique dans la formation et l’éducation. 

Fait à Paris, le 08 février 2022 

@StephaneDiebold 

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