Quels sont les 3 chantiers qui vont changer durablement la formation ?

par | 26 septembre 2023 | Ma catégorie

Le monde de la formation est un monde en transformation, tout le monde semble d’accord sur l’idée, mais qu’est qui va changer durablement ? La question est essentielle pour donner une direction à la formation et éviter d’en faire monde girouette qui s’adapte à toutes les nouvelles modes ou pire un monde fossile qui refuse de rentrer dans le 21ème siècle. La formation par définition est le monde de la transformation, mais comment doit-elle faire pour se transformer elle-même ? Quels sont les chantiers qui vont devoir s’ouvrir pour réinventer radicalement la formation ?

1, L’émergence de la personne

Chaque période a son paradigme et ses hypothèses. Le monde d’avant est celui du cogito cartésien, fils du cogito augustinien, et père du cogito rousseauiste. L’apprenant cartésien est rationnel et autonome, c’est lui qui est responsable de ses propres choix. Herbert Marcus parlait de « l’homme unidimensionnel » (1964), qui fonde son action sur sa seule raison et qui a permis de construire l’Organisation Scientifique de la Formation (OSF). C’est l’ère de l’individu, individu, étymologiquement la partie élémentaire d’un système. Et le système est celui de la raison cartésienne. Près de 400 ans de paradigme dominant.

L’ère de l’individu est en chantier. Le modèle cartésien trouve ses limites, la raison seule peut amener des catastrophes comme l’illustrent les pires heures du 20ème siècle. Ce chantier est un vieux débat, c’est Parménide qui rejette Homère, « l’éducateur de toute la Grèce », pour choisir la raison de l’époque. Et lorsque l’on réinterroge un modèle, on revient souvent à ces moments de bifurcation pour puiser des idées nouvelles. L’apprenant rationnel s’enrichit d’un apprenant émotionnel, demain sans doute un apprenant relationnel. L’apprenant devient multidimensionnel, c’est l’ère de la personne. La personne est étymologiquement l’être derrière les masques sociaux, il est pluriel et évanescent, la poésie de chacun.

Qu’est-ce que cela change ? La personne est plus difficile à définir que l’individu et surtout la définition des attentes des apprenants n’est plus unidimensionnelle. Il est nécessaire de définir une sociologie de l’apprenant. Les formations en blind test, faire des formations en général pour des individus qui ont tous le même profil d’apprenant. L’apprenant devient socialement pluriel et il faut tenir compte de cette évolution. C’est le travail du marketing de la formation, avant de faire une proposition ou une promesse formative, il est nécessaire de connaître les personnes. Et ce d’autant plus que la raison d’être du marketing est de donner envie. La personne apprenante est une ouverture sur une autre fiction sociale que l’individu apprenant, un enrichissement.

2, L’importance de la proximité sociale

Le changement de paradigme est de même nature que la révolution galiléenne, la formation géocentrée autour de l’individu comme la Terre avec le système solaire, devient une formation héliocentrée. L’individu « maître et possesseur de la nature » (Descartes) devient une personne élément d’un système plus complexe. Qu’est-ce que cela change ? L’autonomie cartésienne où l’apprenant est décideur de sa propre formation, dans « la forteresse de son esprit », s’ouvre à l’autre. C’est l’autre qui construit ma pensée. L’autonomie laisse place à l’hétéronomie. « Tu penses donc je suis ». Le social est fondé sur la loi de l’imitation, l’ère du nous plutôt que l’ère du je.

En 2005, Howard Rheingold écrivait « Les foules intelligentes » rompant ainsi avec « La psychologie des foules » (Gustave Le Bon, 1895) qui voyait dans la foule violence et immaturité. Ce n’est pas par hasard que Howard Rheingold est le père de la pairagogie. L’Institut Sapiens avait réalisé un sondage montrant que si l’écrasante majorité des Français était favorable à la science, deux tiers des Français font plus confiance à leurs voisins non-scientifiques qu’à une autorité scientifique socialement reconnue. Ce chiffre recouvre deux réalités similaires, la défiance envers les personnes qui parlent d’en haut, verticalisation, et le retour de la proximité comme valeur sociale, horizontalisation. Cette proximité est au cœur de l’apprendre.

La proximité apprenante s’organise en commun, communauté apprenante. C’est le travail de pédagogie de structurer cette organisation. La nouveauté n’est pas tant dans le fait d’apprendre ensemble que dans le fait d’organiser le commun et le travail est d’organiser la pédagogie cartésienne et/ou émotionnelle. Michel Maffesoli parlent de « personnalisme communautaire », permettant les communions apprenantes. C’est le mythe de la création de Thèbes par Kadmos, à sa mort, le pouvoir a été attribué à Penthée, il était un très bon gestionnaire, aujourd’hui on dirait un bureaucrate, mais la cité s’ennuyait à tel point que la mère de Penthée alla chercher Dionysos pour redonner de la vie à la vitalité à la cité. Réenchanter la formation n’est pas transmettre, mais incarner cette transmission pour créer une liesse apprenante.

3, Le temps des opportunités

Le monde de la raison rationalisante est intéressant dans le sens où il permet de construire une vision organisée du monde et de dessiner des prévisions par projection, jeter une idée devant soi. Historiquement, il fut jumelé à un progrès social, une marche vers un monde meilleur, quel que soit le meilleur des mondes. Aujourd’hui, la croyance à des lendemains qui chante est au mieux en forte interrogation. Max Weber l’avait dit à trop rationaliser, la société construit un monde désenchanter. Il est nécessaire de revenir à des projets sociaux homériques.

Pourquoi ? Sigmund Freud disait qu’un projet est un « report de jouissance », l’apprenant acceptera de consacrer son temps à un projet de formation s’il pense que les lendemains chanteront et qu’il aura un retour sur investissement, le fameux ROI, la jouissance de demain. Aujourd’hui, la défiance pose problème à la transformation des connaissances et des compétences. Les apprenants veulent une jouissance au présent avec éventuellement un reliquat futur. Cela signifie que les pédagogies doivent être affectives, faire d’apprendre une aventure. Les apprenants ne veulent pas seulement apprendre, mais prendre du plaisir à vivre une aventure humaine. Le sens de la pédagogie n’est plus seulement la finalité avec l’acquisition des objectifs pédagogiques préidentifiés, c’est aussi le sens dans sa définition de résonance, autrement dit la raison devenait sensible. C’est le retour des pédagogues sensualistes.

Mais cela va plus loin. La taxonomie du projet est en interrogation, dans un monde en disruption, l’idée même de projet perd en acuité. Ne faut-il pas devenir plus agile, capable de changer de direction au gré des besoins, autrement dit devenir opportuniste ? Savoir saisir des opportunités. Et comme le projet, cela s’acquiert. Apprendre à être en veille avec des signaux faibles, mais aussi en visibilité pour les autres (professional branding). Esthétiser ses propres connaissances et compétences. Shakespeare disait « La vie est un spectacle, autant en faire sa propre mise en scène ». Ivan Illich va plus loin et propose de faire de l’apprenant « l’auteur » de sa propre formation, l’apprenant artiste. Artiste qui maîtrise les ars, les outils, pour faire sens, Harmut Rosa parle de pédagogie de la résonance (2022).

Le moment est rabelaisien, la critique acerbe de l’ancien monde et l’émergence d’un monde nouveau, une culture qui émerge. C’est Florence qui a su marier l’art, la science et l’économique pour faire émerger le cartésianisme. Aujourd’hui, nous sommes dans ce même moment, la Renaissance numérique est en construction. Et l’entreprise a besoin de ces connaissances et ces compétences nouvelles, et faute d’avoir les institutions adéquates, les entreprises se doivent de réinventer elle-même les nouvelles formes de la formation. Et cela, durablement.

Fait à Paris, le 26 septembre 2023

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