Le snack content, rend-il idiots les apprenants ?

par | 25 janvier 2022 | Pédagogie

Le snack content, le micro-learning, le fast-learning, le nugget learning… autant de formules qui illustrent de la fragmentation des savoirs. Fragmentation des savoirs qui se corrèle avec une fragmentation des apprentissages. Ces petits apprentissages mis bout à bout, font-ils pour autant des grands apprentissages ? A réduire les temps d’apprentissage, ne finit-on pas par réduire la quantité et finalement la qualité de la formation ? Les petits ruisseaux ne font pas toujours de grandes rivières. Autrement dit, le snack content, au final, ne rend-t-il pas les apprenants plus idiots ? Le snack content, est-il le symptôme d’un déclassement engagé ?  

 1, La montée en puissance du snack content 

Le monde est inondé d’information, on parle depuis les années 60, d’infobésité, de surinformation ou de junk information. Dans les années 70 une personne voyait en moyenne entre 500 et 1 600 publicités par jour, aujourd’hui, on estime qu’elle voit entre 6 000 et 10 000 publicités par jour. Le temps de cerveau disponible nécessite de fragmenter les informations et de travailler leur impact pour atteindre sa cible. La formation connaît un même phénomène, rendre les contenus snackables et impactantes pour permettre aux apprenants de mieux les digérer et favoriser ainsi leur mémorisation. 

Cette fragmentation des contenus n’est pas un simple découpage dans l’ordonnancement des grains de formation, c’est aussi une nouvelle grammaire pour améliorer l’impact du contenu, la contagion émotionnelle. Faire en sorte que l’émotion émise soit une émotion perçue par les apprenants. L’émotion est la clé des apprentissages. Emotion et mouvement ont une même étymologie, l’un est le versant de l’autre, l’émotion permet le passage à l’acte. L’émotion est le moteur des apprentissages. C’est la raison pour laquelle l’engagement devient indicateur de plus en plus utiliser dans l’évaluation des formations. Les pédagogies 2.0 qui associent Bottom-up et pair à pair nécessite de construire des interactions qui favorisent le dialogue comme c’est souvent le cas dans les pédagogies des communautés apprenantes, construire des pédagogies agiles pour de réactions en réactions atteindre les objectifs pédagogiques prédéfinis. 

Comment faire ? Il s’agit d’apprendre à ciseler ses mots… construire une rhétorique qui fasse résonnance auprès des apprenants autour de l’Ethos, le Logos et bien sûr le Pathos. C’est le grand retour de la rhétorique comme composante des compétences majeures de la formation. Le snack content nécessite de travailler son efficacité sur des temps plus courts. C’est la montée en puissance des punch lines comme points d’ancrage des apprentissages. Le snack content est la fin d’une parenthèse, 19 et surtout 20ème siècle, où le savoir se suffisait à lui-même. Aujourd’hui, il faut travailler sa transmission pour que l’expert assure aussi le service après-vente de la transmission, l’acquisition par les apprenants. C’est un effort d’ergonomie et de sémantique qui fait son retour dans la pédagogie des petits formats. 

2, Est-ce la fin des grands formats ? 

La montée en puissance des petits formats réinterroge sur l’intérêt de garder des grands formats. Est-ce la fin d’une chronique annoncée ? Si l’on regarde les trends en parallèle de la montée en puissance du snack content, on voit se maintenir une montée en puissance des formats longs que ce soit écrits, vidéos ou audios avec des durées moyennes importantes. Les formats longs gardent toute leur légitimité dans le mix pédagogique. C’est l’idée souvent assez fausse qu’un nouveau support chasse l’ancien… en fait un nouveau support permet d’étoffer l’écosystème, c’est plus un rééquilibrage qu’une alternative. La taille ne fait rien à l’affaire, ce qui compte, c’est la qualité du contenu. Un enseignement pénible en présentiel sera largement remplacé par un podcast ou une vidéo inspirante, quelle que soit la durée, ce n’est pas une question de durée, mais de qualité. La multiplication des formats permet à minima de faire jouer la concurrence. 

Les formats longs favorisent une contagion émotionnelle qui permet de capter l’attention et par mimétisme de rentrer dans la matière par l’angle choisit par le formateur. C’est vrai que le snack content favorise davantage l’interaction, il est plus facile de donner son avis sur une prise de position courte que sur l’ensemble d’un discours. Mais là encore tout dépend du format long, Twitch a montré qu’il existait des formats longs qui favorisait l’interaction à condition que le formateur cherche cette interaction et qu’il apprenne même en très grand nombre à donner de la valeur à l’interaction, favorisant ainsi l’engagement. Le LGC, Learner Generated Content, est plus facile en snack content qu’en format long qui met la marche plus haute, mais une Guest en snack content perd de sa valeur, alors que son témoignage en live ou en asynchrone long prend toute sa valeur. 

D’ailleurs, le snack content est souvent un très bon complément au format long avec par exemple les teasers qui annoncent le format long que ce soit en vidéo ou en story le teaser est plus efficace en snack content, mais il donne de la valeur au format long. Il en va de même pour le post formation, si l’on veut assurer un SAV de la formation avec une communauté apprenante, ce qui est le plus efficace reste le snack content et non le long content. 

3, Un nouveau learning design 

La littérature a déjà traité de différentes façons la taille des contenus. On pourrait retenir sur la loi de Jost, Adolf Jost (1897) sur les apprentissages “massifiés” et les apprentissages “distribués” ou l’émiettement des contenus… l’apprenant retient mieux en apprentissage émietté. Le snack content et la micro-répétition sont le garant d’une formation réussie. Si depuis la fin du 19ème siècle, on le sait, qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? La pédagogie n’est pas seulement une technique particulière, snack content vs long content, c’est surtout l’écriture de la pédagogie quel que soit le support qui fait la différence, et là, c’est le travail du design de la pédagogie. Le design marie l’ergonomie et l’émotion, dans les pédagogies affectives. C’est une nouvelle écriture qui se construit en faisant. Cela laisse une belle opportunité aux créatifs de formation. 

Comment faire ? En période de création, il est nécessaire de construire des indicateurs de pilotage. Si l’on suit la sociologie de la formation qui semble s’imposer, remettre l’apprenant au centre de la formation, les outils de pilotage sont centrés autour de l’apprenant. Pour un format long, le LSAT, Learner Satisfaction est modeste, car il privilégie la fin de la formation au détriment de l’ensemble. Alors que pour le snack content est particulièrement pertinent pour interroger la satisfaction d’un grain particulier, et de grains en grains avoir une évaluation tout au long de la formation. Il s’agit pour les pédagogues de construire des cohérences et de rechercher l’aval dans la satisfaction des apprenants. D’autres indicateurs comme l’engagement peuvent aussi faire office d’outils de pilotage. La pédagogie développe des outils de codéveloppement tout au long de la formation que le numérique et le snack content favorise pour assurer une optimalité pédagogique. 

La pédagogie est un domaine qui se réinvente au gré de la vie de la société, c’est une sociologie de la pédagogie qui se construit sous nos yeux. L’avenir dira ce qui restera, mais d’ores et déjà, on peut noter que la pédagogie évolue d’une pédagogie des savoirs vers une pédagogie de la relation avec des auteurs comme Emmanuel Levinas ou Edouard Glissant. On passe de la construction des savoirs construit par les experts entre experts à une pédagogie de l’interaction qui prend en compte l’apprenant avant l’expert. La relation réinterroge la découverte de l’apprenant, ce grand inconnu, pour étudier la réaction à des propositions push ou pull. La montée en puissance du marketing de la formation et surtout du design de la formation.   

La formation est un objet social qui évolue au gré des évolutions de la société… fragmentée ou non fragmentée ne doit pas faire oublier l’objectif de la formation la qualification des apprenants. Nombreux analystes associent snack content avec nivellement par le bas, c’est une possibilité, mais non la seule ? C’est surtout une erreur d’analyse, elle suppose que le contenu est neutre et que finalement plus on en a meilleur c’est. La neutralité des contenus est une logique de l’offre et non de la demande. Si l’on ciselle le contenu en le dotant d’un véritable impact apprenant, moins on en a, plus c’est efficace. C’est tout le travail de la rhétorique. Le snack content est un outil au service d’une stratégie, il ne faut pas confondre l’outil et l’objectif. De nombreux exemples, montre que le snack content peut tout à fait être au service d’une politique de la formation. Et au contraire, le talent des pédagogues est de savoir se réinventer dans des formats différents au service d’une véritable ambition. 

Fait à Paris, le 24 janvier 2022 

@StephaneDiebold 
 

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