OPCO, le bras armé d’une stratégie sans tête ?

par | 25 novembre 2025 | Juridique, Responsable de formation

Avec une dépense nationale pour la formation continue et l’apprentissage de 56,6 milliards en 2024, en progression par rapport à 2023, la France est un des pays qui investit le plus dans le développement des compétences. Elle dépense 42 % de plus que la moyenne de l’Union européenne, selon l’OCDE (Financing adult learning, 2023). Pourtant, ce niveau d’investissement exceptionnel n’empêche ni les pénuries de main d’œuvre, ni l’inadéquation structurelle entre la formation et l’emploi, ni la faible anticipation des métiers émergeants. De nombreuses interrogations émergent : finançons-nous réellement la compétence ou l’administration en charge de la gérer ? Que penser des structures qui gouvernent ? Les branches, les OPCO, sont-ils à la hauteur de l’enjeu que nous rencontrons ? Quelle gouvernance dans un monde marqué par le pilotage à vue ? Que faut-il en penser ?

1, L’histoire d’une transition

La loi du 16 juillet 1971 constitue comme l’acte fondateur de la formation professionnelle moderne. Elle a créé l’obligation de financer la formation. « La formation professionnelle a été conçue en 1971 comme un mécanisme d’assurance destiné à maintenir l’employabilité des salariés, non comme un outil de transformation de l’économie » (Jean Pelissier, Formation professionnelle et obligations des employeurs, un mécanisme assurantiel ? 2006). L’objectif n’est pas de transformer l’économie, mais une assurance contre l’obsolescence du travail, maintenir les compétences des collaborateurs. Cette loi introduit un élément institutionnel majeur : la délégation paritaire du financement, c’est-à-dire une cogestion des fonds par les partenaires sociaux avec un mandat de service public comme l’institue la décision du Conseil d’Etat du 9 avril 1999 qui considère les OPCA comme une organisation qui « participent à l’exécution d’une mission de service public ».

Le rôle des OPCA, Organisme Paritaire Collecteur Agrée, est de collecter les fonds et de rembourser les actions de formation des entreprises. En 2014, la France comptait 52 OPCA agrées qui gérait chacun leur propre vision des compétences de leur secteur d’activité. Le Rapport de la Cour des Comptes de 2017 considérait que les OPCA restaient « dominés par une logique de guichet et de redistribution, davantage que par une logique de pilotage stratégique ». De même, le Professeur Bernard Teyssié considère que « la formation professionnelle s’est enfermé dans une gestion bureaucratique des normes, davantage tourné vers la conformité que vers l’innovation » (Droit du travail, 2018). Les OPCA s’étaient bureaucratisé en gérant des référentiels et des qualifications institutionnalisés, autrement dit les OPCA géraient les compétences du passés et étaient en difficulté d’accompagner des dispositifs d’avenir avec les nouveaux profils professionnels qui émergeaient.

La réforme de 2018 transforme les OPAC en OPCO, Opérateurs de Compétences, ramenant le nombre de 52 à 11 et en supprimant la fonction de collecte des fonds de la formation professionnelle qui est alloué à l’URSSAF. L’objectif est de recentrer les opérateurs sur l’ingénierie de compétence. « Les opérateurs de compétences ont pour mission d’assurer un appui technique aux branches professionnelles pour la construction de certifications et l’analyse prospective des besoins de compétences » (Décret 20188-1331 du 288 décembre 2018). En 2021, l’Inspection Générale des Affaires Sociales, l’IGAS, constate que « la réforme a renforcé l’ingénierie de financement, mais n’a pas produit d’ingénierie de transformation ». Autrement dit, la culture de l’expertise-comptable de la formation demeure dominante. Les branches ont le pouvoir politique et normatif et les OPCO le pouvoir financier et technique, l’un décide, l’autre agit, mais les deux sont en souffrance dans la capacité d’anticiper et d’innover.

2, Un modèle en question

Les OPCO n’ont plus dans leur périmètre la fonction de collecte qui a été presque totalement transférée à l’URSSAF via la Déclaration Sociale Normative, DSN, depuis 2022. Cette automatisation marque la fin d’une ère, mais cela ne signifie pas une désintermédiation totale avec l’entreprise. Le contact persiste. Le premier est l’alternance où l’OPCO reste indispensable pour avoir accès aux financements de l’apprentissage et la professionnalisation. Le deuxième est les contributions conventionnelles obligatoires issues des accords de branches étendues. On est loin des volumes d’avant réforme, mais en 2023, ces contributions représentent un volume de 568,3 millions d’euros (Jaune budgétaire, 2025). Et le troisième est les versements volontaires, 900 millions d’euros en 2023. Le versement peut être utilisé pour mobiliser des cofinancements complémentaires comme le FNE-formation ou les Régions, mais c’est surtout pour l’accompagnement dans la gestion administrative, financière ou et même stratégique comme identifier les besoins de GPEC pour l’entreprise. L’OPCO reste un partenaire financier pour l’entreprise.

L’OPCO reste le bras armé des stratégies de branche. L’OPCO finance un certain type d’actions de formation en fonction des priorités définies par les partenaires sociaux de la branche. L’OPCO finance les référentiels de compétences et les certifications jugées prioritaires par le secteur. Cela induit une disparité suivant les secteurs : l’Opcommerce et l’Opco 2i y recourent peu tandis que l’OPCO Santé, Uniformation et OPCO EP mobilisent fortement ses mécanismes. L’OPCO EP par exemple a collecté 884,0 millions d’euros en 2023, via 28 branches sur 54 qui le composent. Certains auteurs considèrent là qu’il s’agit d’une rente de situation, la Branche définit des certifications reconnues par elle-même et l’entreprise a intérêt à former dans ces certificats puisque le financement est quasiment assuré. Le Rapport d’observation de la Cour des Comptes sur l’OPCO Akto sur sa gestion 2019-2023 (publié en 18 février 2025) : « Akto doit à l’avenir veiller à mieux maîtriser l’ensemble de ses charges de fonctionnement au regard des surcoûts constatés », surcoût organisationnel, mais aussi carence en matière de respect des règles de la commande publique ou de l’externalisation des fonctions stratégiques.

Les branches quant à elles protègent plus leur périmètre de certification qu’elles n’anticipent les mutations. Le Conseil Economique Social et Environnemental, le CESE appelle à un renforcement de leur rôle d’anticipation et d’attractivité des métiers (Avis 2022-1, Métiers en tension, 2022). « Lorsque les certifications ne s’adaptent plus aux transformations, elles deviennent des instruments de conservation des métiers, et non de leur évolution » (Antoine Lyon-Caen, Travail et formation, 2012). C’est ce que Michel Crozier appelait le phénomène bureaucratique (1963). La certification est centrée sur l’organisation interne et non sa performance sociale. Malgré tout, son investissement La branche ne résout ni la pénurie de compétences ni l’inadéquation de la formation et de l’emploi. Le BTP a 485 000 postes vacants (Fédération Française du Bâtiment, Rapport juillet 2025), l’hôtellerie-restauration 200 000 postes vacant (Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie, 2025), 180 000 dans la Santé, 61 330 dans l’aides à domicile,… La performance n’est pas au rendez-vous.

3, L’avenir du système

Certains voient l’avenir des branches à un niveau supranational, l’Europe. L’Union Européenne encourage une telle pensée avec une politique d’harmonisation des référentiels et une reconnaissance mutuelle des qualifications. Le Cadre Européen de Certification, créé en 2008 vis à permettre « la lisibilité, la comparabilité et la transférabilité des qualifications professionnelles entre les Etats membres » (JOUE L122 du 26 mai 20017). Il s’agit de profiter des opportunités des autres états membres, un secteur déficitaire en main d’œuvre pourrait ainsi sur la base de compétences similaires profiter de l’excédent d’un autre pour le profit de tous, une mobilité du marché du travail. Or, lorsque que l’on sait que seulement 3,8 % des Européens en âge de travailler le font dans un autre pays, on s’occupe de la marge après 70 ans de lois incitatives. Le risque est grand de voir reproduire en Europe les mêmes défauts que l’on constate en France, la bureaucratisation des compétences.

D’autres comme France Stratégie souligne que « les classifications de branche ne correspondent plus, dans de nombreux secteurs, à la réalité des tâches réellement effectuées » (Les mutations du travail, 2020). Le problème n’est donc pas la branche en tant que telle, mais leur incapacité à traduire la transformation du travail dans la qualification et la certification. Les partisans de cette réorganisation proposent un modèle fondé sur la transparence des compétences. L’économiste Gilbert Cette ancien membre du Conseil d’Analyse Economique, explique que « la régulation du travail doit évoluer vers des dispositifs favorisant la transparence des compétences plutôt que la défense de positions acquises » (Productivité et emploi, 2019). La branche deviendrait un lieu de dialogue social centré sur la gouvernance des référentiels communs au secteur et mis à jour régulièrement pour prendre en compte les transformations économiques et technologiques. Une façon élégante de vider la branche de sa substantifique moelle, la fin d’un système.

Le choix social est entre ces deux extrêmes. Aucune branche ne peut prétendre piloter l’avenir des métiers, il s’agit plus d’une co-gouvernance qui reste à inventer en y associant les entreprises et les partenaires sociaux, mais aussi les chercheurs, les acteurs comme les organismes de formation, l’EdTech, les apprenants et tous les autres, dont l’Etat au sens large, une gouvernance ouverte qui s’horizontalise. Le problème est ailleurs. Comme le souligne l’économiste Christian Saint-Etienne : « sans Etat stratège capable de sélectionner des priorités industrielles, une économie perd sa capacité à organiser ses compétences et à orienter l’innovation » (La France, est-elle finie ? 2011). Quels sont les choix politiques des secteurs que l’on veut développer pour l’avenir ? La branche devient alors un outil  pour assurer le développement des compétences indispensables à la stratégie sectorielle. Si l’EdTech est une priorité, il s’agit d’organiser la filière et de développer les compétences ad hoc. Sans choix d’avenir, la branche est vouée à la préservation du passé.

La question des branches et des OPCO n’est pas de savoir comment financer la formation dans une logique d’efficience du process actuel, mais de revenir en amont pour définir la politique de compétences que la France désir et cette politique de compétence est de savoir quelle stratégie la France veut-elle porter : le numérique, la santé, l’éducation, l’écologie,… Tout est bon, le tout est le choisir. Les infrastructures sont des organisations au service d’une telle ambition, pas d’ambition pas d’efficacité de la formation, il s’agit alors de gérer des flux. Les branches sont les voitures des compétences, France compétences est son pilote encore faut-il avoir une direction pour piloter la transformation indispensable dans un environnement qui est erratique et disruptif. C’est à prix que le paritarisme à la française, pourra trouver une raison sociale autre celle d’un acquis social.

Fait à Paris, le 25 novembre 2025

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