Le CPF en question

par | 30 mars 2021 | Juridique

Le Compte Personnel de Formation (CPF) pose un certain nombre de questions, particulièrement autour de sa volonté de structurer l’individualisation, ou l’individuation, de la formation. Parler de CPF, c’est aussi s’interroger sur le DIF (Droit Individuel à la Formation), l’ancêtre du CPF, lancé en 2005 et abandonné en 2015, faute d’avoir rempli son office. C’est ainsi que naquit le CPF canal historique, abandonné à son tour pour le CPF deuxième génération, en 2019, faute d’avoir à son tour rempli son office. S’interroger sur le CPF, c’est remettre en perspective plus de 15 ans d’expérimentation, pour sortir du bougisme ou de l’actualité. Où en est-on avec le CPF ? 

1, “Les chiffres sont accablants” Pierre Desproges 

La première remarque est que les chiffres du CPF sont difficiles à collecter en temps réel. On peut rappeler que la France a intégré l’Open Government Partnership en 2014 pour favoriser l’open data, autrement dit, et que pour Axel Lemaire, Secrétaire d’Etat chargé du Numérique, cela devait favoriser le fonctionnement de la démocratie, améliorer l’efficacité de l’action publique et favoriser l’innovation. Pour utiliser la litote, des marges de progrès existent en matière de formation professionnelle.  Pour le CPF, il existe, toutefois, des études qui font référence. On peut citer l’étude de la DARES https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/dares_resultats_compte_personnel_formation_2018.pdf et celle de la Caisse des dépôts et consignations, CDC, https://retraitesolidarite.caissedesdepots.fr/sites/default/files/qrs_29.pdf .  La DARES insistera particulièrement sur la période 2015-2018, alors que la CDC intégrera 2019. 

Que peut-on en dire ? Sur la période 2015-2018, la DARES montre une montée en puissance de l’usage du CPF canal historique, passant de 53 000 en 2015 à 383 000 en 2018, soit plus de 600 % d’augmentation. La DARES insiste sur la montée en puissance régulière qui sur 4 ans représente plus de 900 000 formations suivies par des salariés du privé. La CDC complète pour 2019 en annonçant une légère diminution qui s’expliquerait par le passage du CPF canal historique au CPF 2ème génération, “l’année de la post-réforme”, mais 2020 devrait être une année de forte relance. Si l’on suit les projections 2021, le CPF devrait être encore sur une période de croissance, mettant ainsi sur les rails l’individualisation de la formation.  

On peut remarquer qu’il n’existe pas d’objectifs chiffrés par année, ce qui fait qu’au final, on ne sait jamais si les objectifs ont été ou non atteints. Il ne reste que l’interprétation. Et c’est tout le problème. Si l’on reste sur les chiffres, c’est vrai que depuis le 1er janvier 2019 les indépendants, ont eu accès au CPF, cela accroît la base des bénéficiaires, les indépendants représentant en gros 3 millions de personnes, et que si l’on rajoute la fonction publique, cela rajoute 5 millions de bénéficiaires (même si la fonction publique a un statut particulier). On peut alors affirmer sans se tromper que le CPF va encore croître. Mais, cela veut-il dire que le CPF fonctionne bien ? Si l’on compare la meilleure année à notre disposition, 2018, avec ses 383 000 formations financées par le CPF par rapport aux salariés du privés (n’incluant donc ni les indépendants ni la fonction publique) autrement dit en gros 20 millions de personnes, cela fait moins de 2 % des personnes concernées. Les chiffres sont accablants et à 2 %, on peut dire sans se tromper que les chiffres devraient progresser. Mais progresser jusqu’à combien ? Qu’est-ce qu’un bon taux de CPF ? 

2, Que faut-il en penser ? 

Les instances gouvernementales expliquent la situation par deux motifs conjoncturels. Le premier est logistique, la plateforme MonCompteFormation a été lancé le 21 novembre 2019, l’ambition du projet était de monétiser le CPF canal historique pour donner une appétence à l’achat de formation et de proposer un outil pour faciliter le choix. Faute d’outils, durant la majeure partie de 2019, les salariés et indépendants avant bien les moyens, mais rien à acheter directement, si ce n’est sur les modalités intermédiées du canal historique. Ce motif n’aura plus de raison d’être à l’avenir, surtout si on résout le second motif. Le second motif est le besoin d’une bonne pédagogie, il faut expliquer pour que les personnes utilisent leur compte et profitent ainsi de leur liberté de choisir leur propre avenir professionnel, comme l’annonce la loi de 2018.  

Le passage du CPF canal historique au CPF 2ème génération repose sur l’idée que la monétisation allait être un moteur pour la consommation de formation. Deux chiffres semblent interroger cette affirmation. Si c’était une question d’argent, les personnes devraient connaître leur solde de compte. Or, seulement 1 personne sur 4 le connaît. Et le second chiffre est que malgré tous ces efforts d’information, de pédagogie seulement 16 % des salariés ont effectué le transfert du heures DIF (monétisée à 15 € de l’heure) sur le compte CPF, obligeant ainsi le gouvernement avec l’ordonnance Coquille de repousser la dead line. Et pourtant, cela devrait selon la CDC plus que doubler le montant actuel du CPF, donc si l’apprenant était vénal, il aurait fait la démarche. Le problème est sans doute ailleurs… 

On peut s’interroger sur le fait de donner une liberté que personne n’a demandée. Aucune enquête n’a interrogé les apprenants sur leurs besoins et leurs attentes. Il n’est alors pas étonnant d’avoir autant de mal à leur vendre l’histoire. Et si tout simplement, les apprenants considéraient que la formation était une chose collective ? Autrement dit, que c’était au collectif de montrer le chemin, l’entreprise n’est-elle pas mieux placée que l’individu ? Vincent Merle à son époque avait montré, sur un autre dispositif d’individualisation (la VAE) que ce qui faisait sa pérennisation, c’était de remettre l’entreprise dans la boucle. Et c’est aussi ce que l’on entend pour le CPF, remettre l’entreprise avec des accords d’entreprises CPF et/ou des abondements. Ce qui marquerait l’échec de la mesure qui rappelons-le avait pour finalité la désintermédiation. 

3, Une plateforme pour désintermédier  

La désintermédiation du monde de la formation, est une idée forte du paradigme de l’individualisme radical pour reprendre le terme de Marcel Gauchet, se passer des corps intermédiaires qui ont montré leur échec dans la politique de qualification des Français. Le Direct to Learner (DTL) nécessite une plateforme pour mettre en relation. Et c’est d’autant plus intelligent que la plateforme est considérée par beaucoup comme la 4ème révolution industrielle. Comme nous l’avons vu précédemment (https://affen.fr/technologie/lappli-cpf-est-elle-reellement-une-bonne-idee/) la création de cette plateforme est de même nature que la création des hypermarchés qui ont révolutionné la distribution pour des décennies. MonCompteFormation, va-t-il devenir l’hypermarché de la formation ? Ce qui placerait d’ailleurs la France dans une situation de monopole naturel qui nous fait défaut dans bien d’autres secteurs. 

Que peut-on en dire ? La plateforme de formation n’a pas brillé par sa volonté de transparence. On ne reviendra pas sur les chiffres bruts qui pourrait être accessibles en temps réel, sans problème technique. Mais on pourrait aussi s’interroger sur l’algorithme qui est utilisé pour sélectionner les formations demandées, avec la fameuse question qui sera sur la première page ? On peut rappeler que pour Google, 75 % des internautes ne vont jamais sur la 2ème page. D’où l’importance de connaître les critères pour apparaître sur la première page. Quels sont ses critères et selon quelles pondérations ? Là encore la transparence n’est pas entrée dans les habitudes. Si l’on recoupe les pratiques, on peut retenir la proximité et le prix. Il est intéressant d’ouvrir le débat pour améliorer les fonctionnalités durablement. Ainsi, la proximité est-elle un bon critère lorsque l’on voit qu’avec le numérique, l’ensemble du territoire peut être mis en concurrence, et donc choisir les plus prêts peut être mis en concurrence avec choisir les meilleurs qui sont parfois plus loin. Le mérite plutôt que la proximité. Quant au prix, le problème n’est pas tant le prix que le produit. La taxonomie des formations ne favorise pas facilement les comparaisons, les appellations différentes peuvent recouvrir des réalités de contenus très proches. Il y a peut-être un accompagnement en deep learning à faire, et que dire des formations gratuites ? Tous ces choix sociaux pourraient être l’objet d’une gouvernance ouverte pour créer une démocratie, mais surtout une amélioration continue des fonctionnalités. 

La notion même de la plateforme est l’occasion de construire une relation apprenante française spécifique. A condition, d’en faire un observatoire des apprenants. Que veulent vraiment les apprenants ? C’est une question essentielle dans une politique d’individualisation de la formation. Si MonCompteFormation veut répondre aux besoins des apprenants potentiels, encore faut-il interroger leurs pratiques. Dès son lancement, en 1994, Amazon n’a pas seulement facilité l’achat de livres, mais il a proposé un accompagnement à l’achat suivant. MonCompteFormation innove en proposant du social scoring, permettre aux apprenants de voir les commentaires et les notes des autres apprenants, il y a un effort d’ergonomie. Mais, le secret des plateformes qui réussissent est double : être agile et être à l’écoute des usagers. Ce sera donc le secret d’une plateforme qui restructure efficacement le marché de la formation. 

Comment conclure ? Le CPF est un outil de formation qui répond à une politique ancienne d’individualisation. Et pourquoi pas si c’est là la volonté du politique. Mais il y a peut-être un problème de vision : le CPF cherche l’efficience, là où c’est l’efficacité qui devrait être recherché. A focaliser sur la mécanique de son déploiement 2 % en 2 ans… (à ce rythme, les collaborateurs seront tous en retraite avant de profiter du système), on en oublie que la formation a pour vocation la qualification. Et que si l’on regarde les indicateurs PIAAC, il y a beaucoup à faire. La bonne question n’est pas tant de savoir si le CPF est efficient mais de savoir si le CPF est efficace … s’il améliore la qualification en France… et là, tout reste à dire. 

Fait à Paris, le 30 mars 2021

@StephaneDiebold

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