L’appli CPF est-elle réellement une bonne idée ?

par | 25 août 2020 | Juridique, Marketing, Responsable de formation, Technologie

L’application mobile pour le CPF est l’innovation la plus visible de la “loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel” promulgué le 05 septembre 2018. Il suffit de télécharger une application sur l’Apple Store ou Google Play pour pouvoir choisir en toute liberté la formation qui assurera l’avenir professionnel de chacun. Par où commencer ? Pourquoi une telle application ?  

1, L’appli est la réponse à l’échec du CPF canal historique 

Le CPF canal historique a plus de 4 ans d’existence, depuis sa création au 1er janvier 2015. Quel est son bilan ? Pour les 33 millions de personnes cible, il n’y avait, en 2018, que 7 millions de comptes CPF ouverts et 650 000 dossiers activés, soit environ 2 % de la population cible… le CPF nouvelle génération est une bonne réponse à une version 1 qui n’a pas atteint ses objectifs. Il est à remarquer que ces faibles résultats faisaient suite à la faible activation du DIF à l’initiative du salarié, comme quoi les mêmes causes conduisent aux mêmes effets. L’appli CPF est une réponse. Mais elle repose sur une hypothèse forte, que les apprenants ne se sont pas appropriés le CPF en raison d’une procédure trop complexe… alors, en simplifiant l’expérience utilisateur, le CPF devrait se développer et entrer dans un rythme de croissance. Mais, il peut y avoir d’autres raisons à la non-utilisation du CPF. On pourrait parler de l’absence de visibilité dans un monde en disruption, la médiocrité de l’offre, sa faible adaptabilité aux demandes spécifiques, son utilité sociale… le choc de simplification est toujours préférable, encore faut-il choisir le bon déterminant… 

2, L’appli est d’abord des questions… mais où sont les réponses ? 

Avant d’aborder le cœur de l’appli, on peut remarquer que la marge interroge : le nombre d’apprenants qui ne sont pas dotés de smartphone est important… le taux de pénétration des smartphones est bien de 80 % de la population, en 2019, mais cela veut dire aussi qu’il existe 20 % restant qui ne le sont pas… que faire de ce reliquat ? La question est sociale, et d’autant plus si l’on compare le taux de pénétration et les niveaux de qualification : le taux de pénétration auprès des baccalauréats, et plus, est de 86 % alors qu’il tombe à 37 % pour les sans diplômes. Les moins qualifiés sont ceux qui profiteront le moins de l’application, et pourtant, ce serait peut-être ceux qui en auraient le plus besoin. La réforme ne fera pas l’économie de poser la question de la fracture sociale de l’application, une fois sa réussite installée. 

L’application, sera-t-elle l’hypermarché des organismes de formation ? Tout en un seul endroit, ce qui faciliterait l’expérience apprenant. Qui sera véritablement sur l’application ? Les organismes de formation dotés d’un numéro d’existence et à terme labellisés Qualiopi… aujourd’hui, cela représenterait environs 4 000 organismes… Que faire des autres ? Pôle Emploi estime à 78 000 le nombre d’organismes de formation… faut-il abandonner les 74 000 non labellisés ? Et doit-on faire une place particulière aux 54 000 organismes de formation Datadockés qui ont fait l’effort de remplir les 21 critères ? Ces questions interrogent l’organisation nationale de la production de formation. Faut-il se priver des forces vives non labellisées ? Autrement dit, l’appli CPF ne serait-elle qu’une supérette à 4 000 références ou un véritable hypermarché à 78 000 ?  

Pourquoi pas si la qualité est au rendez-vous. Mais de quelle qualité parle-t-on ? Une qualité de l’offre comme au 20ème siècle ou une qualité de la demande ? C’est tout l’enjeu de faire de cette appli CPF un TripAdvisor de la formation, comme annoncer dans le projet, un social scoring pour favoriser le choix de l’apprenant. La formation est dans la même situation que la restauration avant la création de la plateforme LaFourchette en 2007… c’étaient les professionnels de la profession qui définissaient la qualité de la prestation. Avec une telle appli, ce seraient les usagers qui s’exprimeront directement pour dire si la formation leur a été utile. C’est un changement de paradigme majeur, sortir de l’infantilisation des apprenants adultes. Après tout si l’apprenant est suffisamment crédible pour construire son projet professionnel, il doit l’être pour savoir si le résultat a été atteint… Et si l’on croit véritablement aux apprenants adultes, pourquoi ne pas les laisser évaluer les 78 000 organismes de formation ?  

Une autre question est de savoir qui sera sur la première page de l’application ? Sur Google, 75 % des internautes ne vont jamais sur la 2ème page… cela donne une certaine attractivité pour la première. Faudra-t-il payer pour un bon référencement ? Faudra-t-il choisir le mieux noté par les internautes ? Le mieux noté par les experts ?… Autrement dit, quel algorithme choisir ? Tout est bon, mais rien n’est neutre. Ce pourrait être un bon exemple de transparence de maturité que d’expliquer les raisons des choix qui sont toujours arbitraires….   

3, L’appli est un choix politique… mais pour quelles perspectives ? 

Et que dire du choix de faire produire cette application par le secteur public ? En matière de formation, le secteur public est souvent innovant, et même talentueux parfois, on se rappelle la création du CNED, dès 1939, ou la création de France Université Numérique, seulement un an après Coursera ou EdX… l’Etat sait innover mais sait-il innover dans la durée ? Nombre de voix s’élèvent pour montrer que l’Etat de par son fonctionnement procédural et l’annualisation de ses budgets, a du mal à se réinventer au-delà de son périmètre d’origine. Cette application, ne risque-t-elle pas de se fossiliser dans le temps ? Dis différemment, peut-on imaginer un secteur public développer une agilité stratégique à la Netflix ou à la Amazon avec une véritable capacité à se réinventer ?  

Cette agilité est d’autant plus importante que l’application CPF n’a pas été conçue comme une plateforme locomotive d’un écosystème. L’application pourrait être une contribution majeure à “l’EdTech Nation” sachant que la création des plateformes est un enjeu majeur pour la souveraineté française dans les 5 ans à venir (https://affen.fr/pedagogie/edtech-les-5-grands-chantiers-des-5-ans-a-venir/).  

Autant de questions qui restent en suspens, l’appli CPF est un choix hautement politique au sens noble du terme. L’enjeu est de savoir comment l’Etat veut piloter le passage de l’Organisation Scientifique de la formation centrée sur l’expert à une formation professionnelle centrée sur l’apprenant. L’appli CPF sera-t-elle le Tinder de la formation ? La réussite de ce type de projet passe par sa capacité à érotiser socialement l’engagement des apprenants… et là, c’est une autre question que nous avons déjà traitée (https://affen.fr/pedagogie/pourquoi-erotiser-la-formation/) et que chaque institution doit intégrer dans sa stratégie. 

Fait à Paris, pour sa première version 19 avril 2019, dernière correction 26 août 2020, publié par Focus RH 
@StephaneDiebold 

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