EdTech, c’est le vocable pour parler des techniques de l’éducation et de la formation. Comme le fait remarquer Audrey Walters de Hack Education, on ne met plus le trait d’union comme au début pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un lien entre deux mondes, mais bien d’un monde à soit tout seul. C’est le nouveau monde qui s’invite dans les anciennes problématiques. C’est un nouveau regard sur la façon de penser les offres de formation. Et le numérique aident à penser la différence. Mais, qu’est-ce que le numérique change vraiment ? Comment ? Quels sont les chantiers de cette “néoformation” ? Qu’est-ce qu’il y a de si nouveau ?
Le confinement a été une épreuve sociale et en matière de formation, il a été un révélateur, une apocalypse. Le numérique a dévoilé ses potentialités. Cela faisait si longtemps qu’on en parlait qu’enfin le numérique s’est révélé… et comme le faisait remarquer Rémy Challe, Secrétaire Général d’EdTech France, cela concerne principalement les classes virtuelles et les réseaux sociaux. Ne boutons pas notre plaisir, les apprenants ont franchi le rubicon numérique. Qu’est-ce que cela peut-il changer dans les 5 années à venir ?
Cinq chantiers pour cartographier les interrogations stratégiques des entreprises de la formation. Comme nous le savons la carte ne fait pas le territoire, mais il permet de dessiner une route pour atteindre son objectif, ce qui est déjà intéressant quelle que soit la qualité de la carte. Notre prisme est de choisir l’angle de la formation plus que celui de l’éducation. Les deux représentent des similitudes et des spécificités qui leur sont propre, et même si nous prônons des synergies structurantes, nous chausserons nos lunettes de la formation en entreprise pour dessiner les routes de l’EdTech. Quels sont ces 5 chantiers, sans ordre hiérarchique ?
1, Le chantier des contenus, le content.
Le monde est en infobésité. Il devient de plus en plus difficile ce savoir ce qui se dit et surtout de savoir hiérarchiser l’information pour prendre sa décision. Le monde est disruptif, c’est souvent à la marge que se trouve l’information utile. Comment savoir ce qu’il faut savoir ?
Prenons un exemple pour être plus factuel. Aujourd’hui, la majeure partie des sachants considère que l’émotion est importante dans la maîtrise des métiers relationnels. Lorsque l’on parle d’émotion, fait-on référence aux travaux de Paul Ekman, d’Antonio Damasio ou d’autres ? Cela a des conséquences non négligeables lorsque l’on propose des contenus fondés sur des notions comme l’intelligence émotionnelle ou la synergologie ou tout autre notions issues de la notion scientifique comme par exemple les propositions automatisées très intéressantes d’organismes comme Zero to one technology (https://zto.technology/ ) ou d’autres. Quelle notion faut-il choisir pour les métiers relationnels ? Tout est bon, encore faut-il savoir pour choisir et proposer un contenu original.
Comment construire du content original ?
Dans cette quête du contenu des sociétés ont proposé des communautés d’intelligence collective avec des propositions d’entreprises françaises comme Scoop it (www.scoop-it.fr), même si pour des raisons de levée de capitaux l’entreprise a délocalisé son siège aux États-Unis, Pearltrees (www.pearltrees.com) Stample (https://stample.com) ou d’autres encore. Apprendre de l’apprentissage des autres. Ces communautés apprenantes sont intéressantes particulièrement pour les entreprises, mais l’expérience montre que la disruption n’est que peut anticiper par ce qui répète le commun ensemble, et qu’au final la somme des informations est telle que le savoir collectif n’est plus suffisant.
Le Deep learning, ou le machine learning, semble être particulièrement intéressant pour chercher en grande quantité. Si aujourd’hui le deep learning est principalement monocanal, demain, le multicanal permettra se savoir en temps réel l’état de la connaissance sur un sujet. La machine apprend de plus en plus, avec ou sans la supervision, l’OpenIA de 2019 a montré une machine apprendre seul à manipuler un Rubic’s cube. Un bon algorithme peut facilement prévoir le degré d’acceptabilité sociale de chaque solution. Une nouvelle standardisation de la recherche des contenus nécessite des acteurs pour produire le chantier du contenu à grande échelle.
2, Le chantier des supports
Le problème des supports de la formation est qu’ils sont toujours validés a posteriori. Il est donc très difficile pour un organisme de formation de choisir le bon support, c’est plus de l’ordre du militantisme. Si l’on croit en une technologie et qu’on s’investit dedans, il est possible qu’elle s’impose grâce à notre implication et surtout grâce aux usages des autres dans la trajectoire technologique. Qui aurait misé sur Zoom avant le confinement, surtout qu’il avait en face de lui les GAFAM ? Et pourtant… Qui sera la Zoom de demain ?
Prenons, l’exemple de l’association France pédagogie immersive, et de son Président Nicolas Dupain, qui présente un panel intéressant de l’immersif disponible, voir les prototypes qui montrent le fil technologique qui pourrait être développé. Mais bien malin celui qui saura dire ce qui va s’imposer à 3 à 5 ans : réalité virtuelle, réalité mixte, 360°, retour haptique, autres ? Et ce n’est que pour l’immersif, quelle interface homme/machine : le vox learning, les agents conversationnels (https://affen.fr/technologie/2020-les-formateurs-humanoides-arrivent/) ou autres ? Et les communautés apprenantes auront quel support Slack, Teams, Instagram, Linkedin ou encore la blockchain, la France devait être “terre de blockchain” en 2019 ?
Il existe deux façons de voir ce foisonnement. La première est qu’il est difficile pour les entreprises de l’EdTech d’investir dans la valorisation de supports à une visibilité aussi courte et le risque important de se laisser prendre dans le piège des barrières à la sortie. Mais l’on peut voir aussi que tout est à faire, et qu’il n’a jamais été aussi facile de devenir influenceur sur des supports nouveaux comme TikTok sans gros investissement (https://affen.fr/uncategorized/pourquoi-utiliser-tik-tok-en-formation/) et que TikTok peut permettre la monétisation via le social selling ou non. L’important n’est pas tant dans le support, mais dans l’usage et c’est toute la pédagogie qui se réinvite dans le débat, en quoi la promesse de l’entreprise réinvente un usage pour l’apprenant ? Le gros avantage des supports est qu’ils sont facilement scalables : une bonne idée en France peut conquérir le monde.
3, Le chantier de la pédagogie
“Le média est le message” disait Marshall Macluhan, en 1964…. on a bien souvent l’habitude d’oublier le media en faisant un copier-coller des contenus canal historique. Un “live” n’est pas une visioconférence. Il faut connaître la grammaire commune à chaque média pour choisir sa transgression ou d’y respecter son histoire. Reste donc à inventer une pédagogie spécifique. La pédagogie n’est pas standardisée… reste donc à chacun à inventer la sienne comme élément de différenciation. Qui sera le leader des stories pédagogiques ?
Christian Salmon a introduit en France le storytelling, en 2007, comme “la machine à formater mes esprits”, il revient en 2019 avec “l’ère du clash”, pour capter l’attention. Autrement dit, à la question, les grains de formation sur YouTube doivent-il dépasser 3 minutes, comme nombre le propose est une mauvaise question. C’est en quoi cette vidéo est passionnante, une heure d’un débat passionnant avec un animateur qui clash permet de capter l’attention toute l’heure. Au fond, la vraie bonne question est en quoi mon contenu est extra-ordinaire pour l’apprenant, savoir attirer le temps de cerveau disponible. C’est l’ère de la punch line, ces formules contractées qui comme le disait Jules Renard “un bon mot vaut mieux qu’un mauvais livre”.
D’autres tendances se dégagent… comme la pédagogie 2.0. Redonner la main aux apprenants jusqu’à en faire des LGC, Learner Generated Content. C’est la raison pour laquelle les communautés apprenantes insistent tant sur les indicateurs d’engagement. Il s’agit de favoriser l’engagement jusqu’à la création de contenus, bien sûr supervisés par un animateur. Encore faut-il avoir la culture des challenges pour développer la promesse de l’addictive learning. On sait bien le faire pour Candy Crush Saga pourquoi pas pour des savoir plus utiles ? C’est la pédagogie qui doit sortir du serious game pour entrer dans le gaming… Qui sera le prochain “Assasin’s Creed” de la vente ? Le “Fornite” du management ?
L’offre de formation se transforme en écosystème multimédia. C’est une autre façon de cheminer et de proposer des bifurcations en fonction de l’adaptative learning. Encore faut-il avoir un choix de l’offre. Un GIF peut appeler une vidéo qui propose une transcription écrite ou une iconographie de synthèse… Il y a une courbe d’apprentissage pour comprendre la pédagogie existante et construire celle qui n’existe pas encore, le numérique a ceci de particulier que tout peut y être évalué pour constituer des parcours plus efficaces.
4, Le chantier des plateformes
La 4ème révolution industrielle sera celle des plateformes (après la vapeur, l’électricité et l’informatique). C’est en tout cas ce que prône l’économiste, Klaus Schwab, fondateur de World Economic Forum de Davos. L’EdTech aura besoin de se structurer autour de plateformes efficaces.
Les pouvoirs publics ont proposé 2 plateformes de structuration : en 2013 Fun MOOC et en 2019 Mon Compte Formation.
Mon compte formation sera-t-il le Amazon de la formation ? Ou plus modestement le Doctolib de la formation ? Il s’agit bien d’un hypermarché de la formation qui répond à un besoin de trouver tout sur un même lieu, un vecteur de transparence particulièrement intéressant comme on a pu l’écrire sur un autre article (https://affen.fr/pedagogie/pourquoi-nexiste-t-il-pas-duber-de-la-formation/). L’avenir nous le dira, elle se présente plus comme une plateforme de l’offre qu’une plateforme de la demande, l’animation de la plateforme fera ou non sa réussite.
Prenons l’exemple de Fun MOOC pour lequel nous avons plus de recul. 2013, Catherine Mongenet a été particulièrement brillante dans la création du projet… surtout si l’on compare à l’international. Mais depuis ? La plateforme n’a pas sûr se réinventer… à tel point que c’est en 2016 que le privé à lancer MyMOOC avec pour l’instant une véritable politique d’innovation : dans la recherche des MOOC, dans leur ordonnancement, dans un TripAdvisor des MOOC, … faire une véritable learner experience. Et comme le MOOC est facilement scalable dans sa version 1.0, il a levé des fonds pour investir à l’international. Rappelons qu’il existe dans le monde 300 millions de francophones. Où est la plateforme publique ?
La force des plateformes est dans leur façon de se réinventer. Regardons LinkedIn Learning qui propose pour moins de 30 € par mois un accès illimité à des ressources thématique. Ces ressources sont mises en valeur par son algorithme ce qui lui donne une légitimité particulière pour ceux qui veulent apprendre pour trouver changer d’emploi. Il y a de la place pour des plateformes thématiques hors des GAFAM ou des BATX à condition de savoir la mettre en société.
5, Le chantier des apprenants
C’est sans doute le chantier le plus porteur pour l’avenir, la connaissance des apprenants. Aujourd’hui, la formation ne connaît pas ses apprenants. Celui qui saura pourra pousser la bonne formation au bon moment. C’est tout l’enjeu de la data par opposition à la donnée sociale.
Le numérique est capable de mesurer tant et tant de choses que trop d’information tue l’information. Seule la machine est capable de travailler avec autant de datas. Il ne s’agit plus de connaître les individus mais les personnes de l’entreprise, sachant que ce sont les personnes qui apprennent et non les individus. Connaitre les apprenant avec au minimum la connaissance de leur historique, cela permet de connaître l’apprenant mieux qu’il ne se connait lui-même, et donc devenir une aide à la décision particulièrement efficace. Cette démarche est “RGPD friendly” pour peu qu’on assure la transparence de la démarche. Cette data qui permet de connaitre l’apprenant mieux qu’il ne se connait est particulièrement intéressant s’il est additionné à des algorithmes prédictifs. Sans qu’il soit particulièrement intelligent, supervisé ou non, et cela permet d’anticiper le besoin avant qu’il soit exprimé. Cela changera beaucoup dans la gouvernance de la formation.
Et même la pédagogie, s’en trouvera transformer… l’adaptative learning permettra de pousser le contenu dans sa forme, dans son rythme au mieux de la capacité de l’apprenant… faire en sorte que le contenu d’adapte à l’apprenant et non le contraire. Les apprenants peuvent être ainsi structurés autour de relation apprenante et non seulement de prestation de formation, cette relation assure la fidélisation et donc la confiance de l’apprenante, mais aussi la motivation grâce à des Lerner eXperiences personnalisés… et là tout reste à inventer…
L’EdTEch n’est pas simplement l’énumération de potentiels chantiers, c’est aussi, et surtout, leur réalisation par la création de produits de formation qui s’installent dans le marché. Puisque l’on est dans les chantiers, je rajouterais, celui qui fait défaut, la création d’incubateurs de formation, autrement dit, la création d’un territoire où l’on parle de l’offre de la demande et de la création d’un écosystème pour faire lien économiquement. Il existe assez d’accélérateurs pas peu d’incubateur pour la filière puisse créer des licornes de la formation… et l’enjeu est important parce qu’il ne s’agit de rien de moins que de la souveraineté nationale, la France pourra-t-elle encore avoir une spécificité dans un monde qui se dessine sans elle…
@StephaneDiebold, fait à Paris, le 06 novembre 2018, dernière modification 17 août 2020.