Le Jaune budgétaire a été diffusé le 15 novembre 2024 lors du Projet de Loi de Finance (file:///C:/Users/pc/Downloads/Jaune2024_formation_professionnelle-2.pdf ), c’est un bilan de la formation professionnelle en France. Ce document de synthèse existe depuis la loi dite Delors de 1971 qui instituait un engagement public fort dans la formation professionnelle. L’Etat avait donc besoin d’une comptabilisation de la situation pour assurer le suivi de dépense publique et assurer ainsi un pilotage de la dépense. S’il n’y avait qu’un chiffre à retenir, ce serait 32,9 milliards d’euros, qui est le total de la dépense en matière de formation, soit une augmentation de 2,5 % par rapport à l’année précédente. La France investit globalement plus dans la formation, mais qu’en est-il dans le détail ? Que peut-on dire à la lecture du Jaune budgétaire 2025 ?
1, Quels sont les grands axes 2025 ?
Le montant de 32,9 milliards d’euros est un montant qui s’attache à l’année 2023. La première remarque est que la consolidation oblige à travailler sur des données « froides », il existe d’autres pratiques qui permettraient de travailler sur des données prévisionnelles pour 2025 et de faire la consolidation en temps réel. Le gouvernement français membre de l’Open Government Partnership (OGP), depuis 2013 pourrait moderniser le traitement de la data. La seconde remarque liminaire est que le montant de 32,9 milliards d’euros ne concerne que la dépense publique, ce à quoi il faudrait rajouter les dépenses directes des entreprises et des administrations publiques, qui ont été retiré de l’indicateur depuis la réforme de 2014, le montant s’élève alors à 55,3 milliards d’euros. Ce qui fait qu’en matière de formation professionnelle nationale l’entreprise reste le premier contributeur suivi dans l’ordre par les OPCO, l’Etat, les Régions… et, les ménages, à hauteur de 2 milliards d’euros qui augmente pour 2023 de 6,9 % et qui représente plus de la moitié de la contrition de France travail pour donner un élément de comparaison. Ce dernier chiffre minoré faute d’organiser un système de collecte de datas.
La première constatation est que l’alternance est toujours la priorité pour la formation professionnelle. Sur les 32,9 milliards d’euros, un tiers se fait au profit de l’alternance. La France a atteint son million d’apprentis en fin 2023 selon les chiffres de la DARES. Si la réforme de 2018 a créé un terrain favorable avec un choc de simplification du dispositif de l’apprentissage, le déclencheur a été la création en mi-2020 du dispositif « 1 jeune, 1 solution » avec une aide exceptionnelle de 8 000 €, même réduite à 6 000 en aout 2023, elle reste très importante et a permis la bascule des chiffres. Depuis 2018, le nombre d’apprentis a progressé de 270 %. Quand on compare aux différents plans précédents, dont le premier a été celui du gouvernement d’Edith Cresson, en 1991. Le résultat est tangible et montre qu’en matière de formation professionnelle, comme ailleurs, le volontarisme fonctionne.
Pour le hors apprentissage, le Jaune met l’accent sur le CPF, autre réforme de la loi du 5 septembre 2018 qui « maîtrise ses dépenses » passant de 3 milliards d’euros en 2022 à 2,26 en 2023 soit une baisse de 25 %. Ce qui reste en interrogation. Le nombre de dossiers validés ne cesse de baisser passant de 2,1 millions en 2021, à 1,8 en 2022 et à 1,3 en 2023. Il est fort à parier que le décret d’application du reste à charge (entré en vigueur le 2 mai 2024) ne renversera pas la tendance. Selon la CDC, 25 % des CPF sont utilisés pour financer le Permis B. Le lancement de la plateforme « Mon compte formation » (2019) faisait partie d’un grand programme de numérisation de la formation. Le Jaune 2025 garde cette priorité, mais met plus en avant le FNE-formation qui garde sa mission numérique qui a été un accélérateur de formation à distance pendant la crise sanitaire, mais l’enrichi d’une mission de transition écologique avec un budget de 256 millions. L’engagement numérique présenté connaît une archipélisation des aides qui ne favorise pas la visibilité des fonds.
2, Quelques commentaires
Le Jaune budgétaire est une analyse comptable des dépenses publiques. Les comptes ne sont pas équilibrés, l’administration dépense plus qu’elle ne perçoit, le montant du déficit est de 2,5 milliards en 2024, contre 1,68 en 2023, 50 % d’augmentation. L’équilibre budgétaire est de la responsabilité fiscale de l’administration qui a dans la tradition un devoir moral de ne pas dépenser plus que ne lui permet ses finances. Le principe de précaution prévoit même qu’il soit en excédent pour faire face aux imprévus et aux chocs futurs dans un monde de plus en plus disruptif. Un budget équilibré est un signe de stabilité et de confiance dans la mission qui est confiée à l’administration. L’équilibre et l’excédent est un message envoyé aux acteurs de la formation comme quoi le pilote ne pilote pas à vue, mais s’inscrit dans le temps. Le budget est alors responsable, étymologiquement capable de rendre des comptes, avec un certain degré de liberté, la sérénité dans la tempête.
La neutralité budgétaire ne doit pas faire oublier sa capacité multiplicatrice sur l’ensemble du secteur, c’est le rôle économique du budget. La Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) en 2001 a introduit la notion de performance des lois de finances, ce qui a conduit en la loi du 15 avril 2009, les lois de finance ont obligation d’être accompagné d’une mesure d’impact. Si l’on reprend le cas de l’apprentissage avec la prime à l’embauche de 6 000 € quel est l’impact escompté, compte tenu des effets d’aubaine, ceux qui profitent du système et qui arrêteront dès la fin de la prime, des impacts économiques à court terme sur l’embauche, mais aussi à long terme, qu’est-ce que cela changera sur la qualification de la population active ? La quantification permet ainsi le débat. Bruno Coquet de l’OFCE considère que la dépense publique aurait pu économiser à impact constant entre 8 et 10 milliards. Le sujet peut être mis en débat s’il est évalué, l’arbitrage étant politique au sens noble du terme.
La formation professionnelle, comme le reste de la société, est entrée dans l’ère des effets d’annonce, l’apprentissage veut gagner le million, comme d’autres réformes. On estime aujourd’hui qu’il y aurait 30 000 VAE par an pour une population active de 30 millions, soit 1 pour 1 000. La réforme de la VAE, le 21 décembre 2022, affiche un objectif de 100 000 VAE par an. L’effet d’annonce est impactant et ambitieux, mais pourquoi 100 000 et pas un autre chiffre ? Le Jaune prévoit un financement de 39,4 millions d’euros, soit 400 euros par validation. Rien n’est dit sur les modes opératoires pour mettre en œuvre l’obtention de l’objectif. L’annonce est incantatoire plus opératoire. Et comme la VAE a plus de 20 ans d’existence, il serait intéressant de calculer l’impact économique de ce dispositif par rapport à la filière classique. Cela repose la question de la performance des dispositifs de formation dans la qualification de la population active. Ce questionnement est source de progrès politique. Sans chiffrage, la politique est à l’aveugle, préférant se centrer sur les budgets que sur ses impacts.
3, Comment aller plus loin ?
La dépense publique connaît un moment bureaucratique, au sens de Michel Crozier (Le phénomène bureaucratique, 1963), c’est-à-dire une organisation qui perd le contact avec son utilité sociale et qui s’enferme sur l’optimisation de ses process. Pour illustrer ce phénomène on peut reprendre deux rapports : celui de la Cour des comptes (2022) un rapport alarmiste sur la dépense publique en matière de formation professionnelle, qui insiste particulièrement sur la fraude proposant d’augmenter les contrôles (https://www.ccomptes.fr/fr/documents/60320), et le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat (2022) sur le CPF (https://www.senat.fr/rap/l22-155/l22-1556.html) qui propose la même chose. Autrement dit, l’autorité publique s’inquiète d’éventuelles fraudes, alors qu’elles sont relativement moins fortes que dans les autres secteurs, alors que très peu est dit sur l’efficacité de la dépense. La bonne question pour reprendre le cas du CPF, eu égard aux milliards dépensés, serait davantage s’il faut maintenir le dispositif ou dit différemment quel est son impact social et économique.
Outre l’efficacité sacrifiée au profit de l’efficience, se pose la question de la gouvernance de la formation professionnelle. D’après l’Enquête Formation Employeur, en 2023 les dépenses nettes des entreprises et associations du secteur privé s’élèvent à 25 milliards d’euros, dépenses directes (59 %) et intermédiées (41 %). Le privé a une place particulièrement importante dans la formation professionnelle nationale, reste à articuler une gouvernance privé public pour l’optimisation de l’écosystème. Prenons un exemple, il existe 44 000 organismes de formation QUALIOPI, mais 120 000 organismes déclarés non certifiés, et environ 300 000 entreprises ni déclarées, ni certifiées et qui pourtant font partie de la formation. L’Etat peut soit s’occuper de sa seule certification, 10 %, soit d’utiliser ses 10 % comme levier d’Archimède pour orienter l’ensemble de l’écosystème autour de sa stratégie formative.
Prenons un autre exemple, le cas de la filière de l’EdTech qui reste une priorité affichée par le gouvernement. Comment se fait-il qu’en dépensant entre 32,9 et 55,3 milliards d’euros par an, la France ne se soit pas doté au moins d’une Licorne EdTech ? La filière est émiettée, ce qui peut être un atout à condition de faire le travail de structuration. Il manque une gouvernance qui profite des avantages de cet émiettement pour en faire un atout, les économies d’agglomération. L’EdTech reste une source d’économie budgétaire importante ainsi qu’un investissement sur la performance de la formation, sans oublier l’enseignement supérieur et l’éducation nationale. Le travail d’organisation de la filière peut se porter sur des programmes d’incubation, d’accélération, voire de financement privé/public pour assurer le développement national et international de l’EdTech française. L’Etat pourrait être stratège pour doter le pays d’un avantage concurrentiel durable. Bien intégrer l’IA peut devenir une grande cause nationale pour l’EdTech française.
Le Jaune parlementaire est un constat chiffré, il est construit comme un bilan annuel fait par les experts-comptables de la formation. Il manque un contrôle budgétaire de la formation professionnelle. Afficher 100 000 VAE par an d’ici à 2027 nécessite d’analyser les écarts chaque année et de proposer des mesures pour améliorer l’obtention du résultat. Plus largement, la difficulté du Jaune est son absence de stratégie : sur une population active de 30 millions quelle est la politique de qualification de la dépense publique ? Il manque une direction pour donner du sens aux chiffres. Le philosophe Maurice Blondel avec cette belle formule ; « l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare » qui permettrait une pensée prospective de la formation. Et quitte à finir en citation, il serait bien de faire sienne une autre citation, celle de Guillaume Apollinaire : « il est grand temps de rallumer les étoiles ».
Fait à Paris, le 03 décembre 2024
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