Les communs, vont-ils révolutionner la formation ?

par | 11 mai 2021 | Juridique, Organisation

Le commun est une notion qui fait recette. Certains parlent de commun, d’autres de communs au pluriel ou encore de commons dans une acceptation anglosaxonne, … C’est un des buzz words du collaboratif. Pierre Dardot et Christian Laval parlent même de “la révolution du 21ème siècle” (2014). Au moment où l’on fête le 150ème anniversaire de la Commune de Paris, la commune est l’organisation du commun, il est intéressant de regarder si ce mode d’organisation a du sens dans le monde de la formation. La littérature parle des communs de la connaissance. S’agit-il d’une nouvelle utopie ou d’une alternative crédible qui peut avoir une réalité dans le monde de la formation ? De quoi parle-t-on au juste ? 

1, Qu’est-ce qu’un commun ? 

La notion de commun est née avec le phénomène des enclosures en Angleterre à partir du 13ème siècle, mais surtout au 16ème siècle. L’agriculture était organisée avec des “terres libres” cultivées en commun. Le 16ème siècle a été marqué par la réappropriation de ces terres pour en faire des pâturages principalement pour l’exploitation de la laine nécessaire à l’industrie textile. L’expérience des communs a abouti en 1773 par l’Enclusure act qui privatisa les communs. Le phénomène était économique et social. C’est en 1968 que Garrett Hardin fait entrer les communs dans le monde des concepts avec un article sans ambiguïté sur “la tragédie des communs”. Pourquoi une tragédie ? A cause du phénomène du free rider, si tout est commun, chacun a intérêt à profiter des externalités pour son seul compte, épuisant par la même les sols qui appartiennent à tous. La solution est de rendre chacun responsable de sa propre parcelle. Le droit de propriété permet d’investir dans la durée puisque l’investisseur sait qu’il aura le droit de profiter du ROI, il travaille pour lui dans son intérêt personnel. C’est la théorie des droits de propriété, qui a permis à Douglass North d’obtenir le Prix Nobel en 1993. Au final, dans cette idée, le commun est une tragédie. 

Elinor Ostrom a revisité le concept de commun pour une construction positive. Ce qui lui a permis d’obtenir en 2009 le Prix Nobel. Dans l’analyse de Garrett Hardin, l’auteur suppose que chacun maximise l’exploitation individuelle des externalités… jusqu’à l’épuisement de ces dernières. Mais Elinor Ostrom introduit la possibilité de régulation autre qu’individuelle. C’est ce qu’elle appelle “l’autogouvernement”, assez proche de ce que la littérature appelait l’autogestion. La gestion des communs permet de proposer une politique de régulation entre la privatisation et la collectivisation. Les communs sont l’échelon manquant entre le public et le privé. Pour assurer une bonne gouvernance, il est nécessaire de réaliser deux conditions la réciprocité des participants et la confiance.  Les communs deviennent une possibilité. 

Et la formation ? Charlotte Hess et Elinor Ostrom (2007) ont appliqué le concept de commun à la gouvernance de la connaissance, d’où son nom les “communs des connaissances”. C’est une façon nouvelle de regarder la production, la diffusion et la régulation par les apprenants eux-mêmes, un nouvel écosystème qui trouve sa source dans bien des philosophies et depuis longtemps, mais qui retrouve une actualité avec l’émergence du numérique et du web. Les contenus de formation gratuits sur le web peuvent être compris comme cette fameuse externalité, une opportunité à apprendre sans barrière à l’entrée. On retrouve la problématique de Garrett Hardin avec une différence de taille, c’est que l’externalité est inépuisable. Et ça, ça change tout. Les communs en formation ouvrent la possibilité d’une nouvelle gouvernance de l’écosystème apprenant. De quoi s’agit-il ? 

2, Une nouvelle façon de produire de l’expertise 

Le monde de la formation est le monde des idées. En situation de présentiel l’expertise ne pose pas de problème, car la formation dépend du professional branding de l’animateur et qu’il s’agit d’acheter une expertise homme. L’homme étant unique, il s’agit d’organiser son temps, de vendre son temps de travail disponible pour connaître le potentiel de son activité. Tel n’est plus le cas avec le numérique, puisque la formation devient scalable. Une formation écrite, vidéo ou audio peut être regardée à l’infini, et a donc un potentiel équivalent. Le droit d’auteur et le copyright permettent de rendre propriétaire la formation et ainsi monétiser ces droits de propriété. Si les copyrights organisent la rareté par le prix, d’autres possibilités ont vu le jour à partir des années 80, avec les copylefts de Richard Stallman quand il propose ce qui donnera l’Open Source et les Créative Commons (CC). C’est le formateur qui définit lui-même la nature de diffusion et de retraitement possible. Cela crée doublement l’abondance avec la multiplication des créateurs de contenus et la multiplication infini de leur diffusion. C’est la montée en puissance du gratuit en formation. Et cela ouvre à des comportements nouveaux. 

L’émergence des savoirs collaboratifs, dont l’exemple assez classique est Wikipédia qui organise la construction de savoir de pair à pair avec des modalités particulières pour réduire les erreurs et les a prioris, la supervision est aussi collaborative. Ce modèle n’est pas nouveau, puisqu’on le retrouve dans les sociétés savantes du 18ème siècle. C’est le début de la Science collaborative qui a permis par exemple, aujourd’hui, au Museum National d’Histoire Naturelle de lancer le programme Vigie Nature qui demande à chacun de photographier les plantes pour arriver à créer aujourd’hui le premier herbier du monde avec plus de 2 millions de photos géolocalisées et l’engagement de plus de 2 000 passionnées, on aurait pu prendre aussi le BirdLab pour les oiseaux. La grande nouveauté est que le numérique et le web permet à chaque institution de s’organiser pour structurer sa filière, c’est l’école hors des murs de Célestin Freinet. 

C’est ce que l’Etat a fait en créant FUN MOOC (France Université Numérique), en 2013, permettant aux Universités et Ecoles de produire du contenu disponible gratuitement en ligne. Les responsables de formation ont intérêt à profiter de ce contenu animé de façon synchrone, mais souvent de façon asynchrone en laissant en creative comon les ressources du MOOC hors de ses périodes d’animation. C’est le rôle de l’Etat d’organiser soit directement la numérisation de la filière, soit en créant des partenariats ou des contrats cadre pour mettre en œuvre la stratégie de qualification de ses apprenants… avec le vieux rêve de la formation gratuite pour tous. D’ailleurs, les institutions formatives pourraient aller plus loin et reprendre le projet de Canal U, filmer toutes les formations et les mettre à disposition gratuitement pour les apprenants, cela ferait une externalité positive forte en formation, laissant au présentiel l’accompagnement des apprentissages. C’est toute la politique des plateformes qui permettent de construire l’accès à la formation gratuite, et/ou payante, l’hypermarché de la formation. Mais reste une chose importante pour ces plateformes, c’est comme les hypermarchés à travailler leur merchandising, autrement dit l’ergonomie, le design, le marketing de ses usages qui s’adapte constamment dans le temps. 

3, Un commun, c’est une communauté 

Si un commun est une communauté, encore faut-il donner une âme à ce commun et l’animer. Il ne s’agit pas tant de mettre à disposition des ressources pédagogiques que de créer une dynamique qui favorise l’engagement des apprenants. Il s’agit de donner de la saveur sociale au savoir. Encore une fois, c’est le travail du marketing que de donner l’envie. C’est le côté militant de la formation. Qu’est-ce que la formation va changer pour l’apprenant ? Le pitch. L’inflation de contenu disponible nécessite soit des agrégateurs comme Google, Facebook, qui facilite le choix, soit des influenceurs, et non des chefs, qui vont mettre un focus sur tel ou tel contenu et trouver les mots et les émotions pour nous donner l’envie. Ce rôle d’influenceur aura une résonnance particulière pour le responsable de formation (https://affen.fr/pedagogie/le-responsable-de-formation-est-un-nano-influenceur/).  

Si la foule est intelligente, faire confiance aux apprenants, comme tous modèles présentent des biais. Le premier est celui de l’effet de halo, qui permet de choisir ceux que tous choisissent non pas tant qu’il est meilleur, mais par mimétisme. Le second est l’effet des bulles de filtres, chacun n’est informé que par les membres de sa communauté, ce qui a pour effet de construire un sentiment d’appartenance, mais réduit sa capacité à sortir de son cadre et en période de disruption, cela peut être problématique. C’est pour cela qu’il faut des passeurs. En entreprise, le responsable de formation va devoir être le commissaire-priseur et le hacker de la formation. Le commissaire-priseur est celui qui qualifie les produits de formation pour permettre leur adoption, ou non, par les apprenants et le hacker, car le responsable de formation va devoir faire de la veille pour aller chercher ailleurs des formations nouvelles sur des formats qui émergent pour ensuite choisir de les mettre en entreprise, ou non. 

Enfin, le responsable de formation va organiser l’animation des formations. C’est celui qui va organiser la dynamique apprenante, pour socialiser les apprentissages et que tous aient envie d’apprendre ce qui est stratégique pour l’entreprise. Mais aussi que les apprenants deviennent à leur tour des créateurs de contenu. C’est le fameux Learner Generated Content (LGC), les apprenants arrivent avec des questions voir des solutions et de pair à pair en font profiter l’ensemble du groupe. Le formateur organise ce territoire apprenant pour que la parole et le passage à l’acte se libère.  

Ce qui est passionnant dans le phénomène des communs, c’est que tout est à repenser et que tout devient possible. Chaque amateur, étymologiquement, qui aime la matière, peut devenir formateur, cela est stimulant au vertige. L’avenir nous dira si la formation de la rente devient une formation de la communauté. Quelles que soient les solutions la gouvernance des apprentissages, mais aussi l’opérationnalité sont en test dans les entreprises. Et que le numérique, s’il est à l’origine de ce phénomène, il n’en est que la question, reste à chaque structure à inventer ses réponses… 

Fait à Paris, le 11 mai 2021 

@StephaneDiebold  
 

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