Comment avoir un service formation 5 étoiles ?

par | 29 avril 2025 | Responsable de formation

La formation connaît un moment schumpétérien avec l’EdTech ou rabelaisien avec un changement culturel, c’est un changement de paradigme qui s’est engagé depuis les années 80, il y a bientôt 50 ans. Certains parlent de réengineering de la formation, une refondation en profondeur des dispositifs : ses objectifs, ses formats, sa relation au savoir, à l’émotion, à l’engagement. Comment avoir 5 étoiles dans le management du service formation. 5 étoiles, c’est l’excellence, le Graal, le but à atteindre. Mais qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Si tout le monde est d’accord sur le principe de l’excellence, lorsqu’on aborde les modes opératoires, là les positions changent et les avis divergent. Comment l’entreprise peut-elle aujourd’hui viser l’excellence en matière de formation ? Quel service rend le service formation ? Que peut-on mettre derrière les grands mots affichés ?

1, La formation canal historique

La formation canal historique trouve ses racines avec la loi du 16 juillet 1971, appelée aussi loi Delors alors Ministre du travail. La loi s’inscrit dans le cadre des événements de mai 68, eux même issue d’une transformation plus profonde, celle des 30 glorieuses (1945-1975) comme l’a qualifié Jean Fourastié. Trois décennies marquées par une forte croissance en moyenne plus de 5 % du PIB par an, et celle d’un Etat planificateur très présent dans le redressement du pays. Comme le disait Pierre Rosanvallon (La crise de l’Etat-providence, 1981), à l’époque des 30 glorieuses, on pensait que la formation professionnelle était le moteur de l’ascenseur social. La loi Delors institue une obligation de financement pour les entreprises, 1 % de la masse salariale gérée par l’Etat et les partenaires sociaux. Ceux sont eux qui vont mettre en œuvre cette institution pour en faire une administration. « La formation n’est pas un luxe, mais une nécessité. Il ne s’agit plus de former les hommes une fois pour toutes, mais de les former tout au long de leur vie » (Jacques Delors, discours à l’Assemblée nationale, 1971).

Qu’est-ce que cela change ? La formation professionnelle se professionnalise autour de référentiels, de normes, de process, de certifications,… « Administrer, c’est prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler » (Henri Fayol, Administration industrielle et générale, 1916). La qualité de la formation devient le respect de ses normes comme les feuilles d’émargement, les évaluations, la conformité au programme, le plan de formation,… et comme incitateur à appliquer ces normes, la dimension financière permettait de récompenser les formations qui respectaient le cadre, la prise en charge. Le gros avantage du système est une traçabilité qui permet de construire des indicateurs de performance et ainsi de piloter la politique de transformation des connaissances et des compétences. La standardisation était revendiquée pour permettre une optimisation dans l’investissement de la formation des entreprises.

Le responsable de formation devenait un responsable des indicateurs des process administratifs, mais aussi un chasseur de primes, à la recherche des aides possibles pour améliorer son budget de formation, on parle d’ingénierie financière de la formation. Alain-Frédéric Fernandez, expert des financements de la formation, relève plus de 200 types d’aides avec chacune ses déclinaisons. Le maquis de la norme administrative permet l’émergence d’une expertise, un expert de la norme plus qu’un expert de la formation. Le bon responsable de formation devait celui qui sait optimiser son budget de formation, dépenser plus pour former plus. Le problème est que comme la carte ne fait pas le territoire, tout comme le bon budget ne fait pas la bonne formation. La formation change et les anciens critères doivent être remplacés par de nouveaux pour éviter le phénomène bureaucratique (Michel Crozier, 1963).

2, Réenchanter la formation

Max Weber (Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, 1905) a montré qu’à trop rationalisaliser, cela crée du désenchantement, seul l’autorité sociale permettait d’imposer un tel modèle. Mais avec la fin de l’autorité, le désenchantement appelle un réenchantement de la formation. « Platon dit : « Pour enseigner, il faut de l’éros ». L’éros est un mot grec qui signifie le plaisir, l’amour, la passion. Pour communiquer, il ne sert à rien de débiter du savoir en tranches, mais il faut aimer ce que l’on fait et aimer les gens qui sont en face de nous » (Edgar Morin, Dialogue sur la connaissance, 2002). Erotiser la formation devient la priorité du service de formation. Erotiser, c’est développer des produits de formation qui font sens, marketer, designer. Oliviero Toscani avait cette belle formule marketer, c’est « mettre en société ». Mettre la formation en société, c’est résonner avec la société et comme la société est affective, la formation se doit de l’être. Comment faire ?

Reprendre la main sur l’offre de formation et faire des propositions qui surprennent l’apprenant, la surprise favorise l’adhésion et l’engagement. Avoir le courage de la proposition. Henri Ford disait : « Si j’avais demandé aux gens ce qu’il voulaient, il m’auraient répondu de chevaux plus rapides ». Il leur a proposé la Modèle T qui fut un énorme succès. Akio Morita, fondateur de Sony disait : « Nous ne demandons pas aux consommateurs ce qu’ils veulent. Ils ne le savent pas ! ». La créativité en formation devient la norme et la validation est à postériori. Faire une bonne formation, c’est surprendre l’apprenant en lui proposant une pédagogie affective, avec des formateurs qui soient inspirants, c’est d’ailleurs le grand retour de la rhétorique dans les compétences de l’animation des formations. La formation devient extraordinaire, qui sortent de l’ordinaire pour que l’apprenant soit fière de son expérience, on parle d’ailleurs de learner experience (LX) seule façon pour que les apprenants deviennent des learner advocacies, ambassadeurs de la formation.

Il ne s’agit plus de faire des coups, des expériences à vivre ponctuelles, mais de les inscrire dans le temps pour assurer une fidélisation des apprenants, apprendre tout au long de la vie, la formation devient relationnelle. « Une expérience de formation se conçoit comme un produit : elle doit être cohérente, désirable alignée sur le parcours de l’apprenant » (Donald Clark, Learning experience design, 2021). Mieux, comme une marque, learnal branding qui raconte une histoire qui permet à l’apprenant de s’identifier, d’adhérer. Une marque forte raconte une belle histoire cohérente à chaque point de contact. L’adhésion à une marque est affective et rationnelle. La promesse de la formation est essentielle puisqu’elle oblige la formation à se dire, pitcher, et que si l’apprenant peut le vérifier, il construire une relation de confiance à la marque. Cela permet de redonner du sens, de l’humanité à la formation pour que chacun donne le meilleur de ses capacités.

3, Réenchanter les apprenants

La grande tendance est de remettre l’apprenant au centre de la formation, pour reprendre le leitmotiv de la profession. Autrement dit, sortir de l’ère des experts pour organiser l’ère des apprenants. Il existe bien des façons de faire évoluer les choses, celle qui sert de référence est celle d’Howard Rheingold avec son Peeragogy handbook (2012) qui propose aux apprenants de construire le manuel de leur apprentissage, la symbolique est forte. Elle repose sur l’ouvrage d’Edward Deci et Richard Ryan (Instinsic motivation and self-détermination un human behavior, 1985). Les apprenants sont beaucoup plus motivés quand ils choisissent leur mode d’apprentissage, coopèrent librement et cela développe leur compétence, leur autonomie et leurs besoins relationnels, les trois grands besoins psychologiques de la théorie. Cela règle le problème de la motivation et de l’engagement de l’apprenant par construction pédagogique. L’engagement fleure bon les 5 étoiles.

Et ce d’autant que l’autonomie va rencontrer un allié de poids, l’intelligence artificielle. Dans un rapport de référence Rose Luckin, Waynes Holmes, Mark Griffiths et Laurie Forcier en 2016 (https://static.googleusercontent.com/media/edu.google.com/fr//pdfs/Intelligence-Unleashed-Publication.pdf) montre l’IA renforce le feedback personnalisé en temps réel, ce qui permet de s’ajuster plus rapidement ; le suivi des compétences par de l’auto-évaluation, là encore en temps réel ; le coaching d’apprentissage pour aider l’apprenant à définir ses propres objectifs et d’organiser la planification de leur réalisation et enfin avec le développement de l’agentique, délégue les taches répétitives à faible valeur ajoutée à l’IA. On peut noter la date du rapport, bien avant la naissance de Chat GPT. Avec l’IA l’apprenant peut, ce qui augmente son domaine des possibles.

Mais pouvoir n’est pas vouloir, et c’est là, le travail d’organisation de l’entreprise, construire des territoires apprenants. Particulièrement, avec la puissance de l’IA, l’apprenant a besoin de la proximité des autres pour avoir l’envie et la plaisir d’apprendre. Philippe Carré avait cette belle formule : « Apprendre aujourd’hui, ce n’est plus recevoir une formation, c’est évoluer dans un environnement qui favorise l’apprentissage autonome » (L’apprenance, 2005). La formation devient la création d’environnement ou de communautés apprenantes qui donnent l’envie d’apprendre seul ensemble. Seule l’entreprise a la capacité de structurer et d’animer ses territoires ce qui lui donne une responsabilité sociale et surtout la possibilité de piloter la transformation des connaissances et des compétences. Le service formation devient un créateur d’étoiles, de belles histoires pour que chaque apprenant puisse réaliser ou construire son potentiel avec le plaisir de la création.

La formation 5 étoiles n’est pas un luxe, mais une nécessite dans un monde qui se transforme, plus que jamais la formation est indispensable. Que ce soit avec une stratégie push ou une stratégie pull, la formation doit s’adapter à l’environnement qui le traverse, l’horizontalisation de l’entreprise appelle une horizontalsation de la formation. Reste à définir les modalités opératoires de cette transformation. 5 étoiles, c’est une politique qui renverse la pyramide pédagogique pour tenir compte des attentes nouvelles, faire de la formation une fête où l’acte d’apprendre n’est plus reporter, mais devient un acte de socialisation immédiate entre les apprenants. L’entreprise se doit d’érotiser la formation pour que la joie d’apprendre se conjugue avec le sens social. Guillaume Apollinaire avait cette belle formule : « Il est grand temps de rallumer les étoiles » (Alcools, 1913)

Fait à Paris, le 29 avril 2025

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