Faut-il en finir avec les diplômes ?

par | 21 mars 2023 | Organisation

Le nombre de diplômés suit un trend croissant constant, il ne cesse de progresser comme le montre les études de l’INSEE. Par exemple que si l’on compare le nombre de diplômés qui possède au moins un Bac +2, pour une population âgée de 55 ans à 64 ans, il représente 13 % de cette population. Mais si on le compare avec une population âgée de 25 à 34 ans, il passe à 33 %. La France est une terre de diplômes. Et l’histoire de la relation entre la France et le diplôme est une vieille histoire. C’est par exemple, au Moyen-âge (13ème siècle) que sont nés les premiers diplômes. Le premier bac, étymologiquement couronne, était dispensé par les Universités. La Révolution Française a poursuivi la tendance. La France aime les diplômes. Aujourd’hui, nombre de voix s’élèvent pour demander la fin de ce marquage social, préférant des modèles alternatifs de reconnaissance des connaissances et des compétences. Faut-il en finir avec ce vestige du passé ? Faut-il inventer un nouveau modèle de traçabilité des connaissances et des compétences ?

1, Le diplôme reste la référence

Le diplôme est un facteur d’employabilité. Si l’on reprend les chiffres de l’INSEE 2019, le salaire annuel net moyen pour un Bac + 3 et de 42 790 €, alors qu’il est divisé par 2 pour les « sans diplôme ». Le diplôme est statistiquement un facteur de promotion sociale. C’est d’ailleurs sur cette base que le dispositif de validation des acquis de l’expérience (VAE) a été proposé pour les 18 000 qui ont suivi avec succès le parcours, un autre parcours de validation des diplômes. Le diplôme est essentiel, alors que penser des jeunes de 15 à 29 ans, les NEET (ni emploi, ni études, ni formation) qui n’ont aucune reconnaissance sociale de valorisation ? Comment assurer l’employabilité de cette population qui représente 1,5 millions de personnes ?

Le diplôme est dans le cadre de l’école républicaine le moyen d’assurer une promotion sociale de tous, fondés sur le mérite, la fameuse méritocratie. Donner à chacun une chance en fonction de ses compétences. Autrement dit, la Révolution française assure un ascenseur social pour tous. Alors mythe ou réalité ? Laurence Boone, Chef économiste à l’OCDE, a montré que l’ascenseur social était bloqué. Elle écrit, sur la base de chiffre de 2019, que si l’on tient compte des plus basses rémunérations et de leur capacité en moyenne d’atteindre la rémunération moyenne des Français, il faudra 6 générations pour que les plus pauvres atteignent la moyenne. C’est énorme.

Le modèle du diplôme à la Française était une façon de lutter contre le déterminisme social et de permettre à chacun d’avoir une chance de reconnaissance en fonction de ses compétences et non de sa naissance. Le sociologue Camille Peugny illustre la situation de cette reconnaissance en comparant la mobilité sociale entre 1953 et 2003. Un ouvrier de 1953 avait plus de chance de devenir cadre qu’en 2003. Et Laurence Boone est claire, « c’est la faute à l’éducation ». La conséquence est que dans le modèle actuel le diplôme assure de moins en moins la position sociale, et que pour avoir une réussite sociale, il vaut mieux « être bien né », comme cela a toujours été le cas. Que faut-il en penser ?

2, Le paradoxe d’Anderson

Charles Arnold Anderson est un sociologue à l’Université de Chicago, en 1961, il est l’auteur du paradoxe d’Anderson (https://www.jstor.org/stable/10.2307/2773393). Il étudie la place du diplôme dans la réussite sociale d’un individu. Sa conclusion est que pour lui « le statut social relatif des fils apparaît comme pratiquement indépendant de leur niveau d’instruction relatif ». Autrement dit, s’il reconnaît la place du diplôme dans l’architecture de la reconnaissance sociale, il reconnaît que si l’on étudie la mobilité sociale, avoir une meilleure position que celle de ses parents, n’a que peut avoir avec le diplôme. Ce paradoxe a fait les beaux jours de la littérature. Comment peut-on l’expliquer ?

La première remarque tient à Anderson lui-même, l’inflation de diplôme réduit sa valeur sociale comparative. Si 80 % d’une classe d’âge possède le Bac, la valeur sociale de différentiation par ce diplôme est inversement proportionnelle. La valeur d’un diplôme n’a pas de sens en soi, mais face à une situation sociale particulière. Marie Duru-Bellat a comparé les années 60 et 80 : la proportion de bachelier est passée de 10 à 30 %, mais le nombre de cadres dans la population active est passé de 5 à 8 %. Autrement dit, pousser à l’augmentation du niveau de diplôme n’a de sens que si la structure de l’emploi progresse dans des proportions similaires. Autrement dit, faire des diplômes décorrélés des besoins est un investissement qui n’est pas socialement rentable.

Pire, la promesse du diplôme n’est pas respectée. Et cela développe un sentiment de déclassement (Le déclassement, Camille Peugny, 2009) et de frustration d’avoir investi dans un diplôme qui ne tient pas ses promesses. L’intégration des jeunes plus diplômés que leurs parents se trouvent frustrés quand les postes de managers sont attribués à des anciens moins diplômés. Le diplôme est une source de démotivation sociale. Pire la mobilité sociale qui était jadis synonyme de promotion sociale aujourd’hui est de plus en plus perçu comme une peur de mobilité vers le bas, il ne s’agit plus de gagner, mais de ne pas perdre (Eric Maurin, La peur du déclassement, 2009). Le diplôme est de plus en plus démonétisé socialement.

3, L’avenir du diplôme

Le diplôme est un marqueur social, comme tout marqueur, il existe un écart entre la réalité et le réel. Le diplôme permet une qualification. Prenons un exemple, le Master II de responsable de formation, l’AFFEN avait confronté le programme avec les besoins de l’entreprise pour le métier de responsable de formation. Le programme insistait particulièrement sur organisation règlementaire et financière de la formation sous-investissant des domaines essentiels comme la pédagogie (liée aux sciences de l’éducation), l’EdTech ou le marketing de la formation. A la remise du diplôme, l’étudiant est déjà obsolète. Le diplôme est lourd à faire évoluer. C’est plus l’image du diplôme qui fait valeur sociale que sa réalité de contenu.

Le diplôme « à la française » a été conçu comme un rite de passage par lequel l’apprenant acquiert un statut plus élevé par la reconnaissance sociale. L’initiation permet de se doter d’une identité professionnelle, identité, identique à ses pairs, et donc d’une communauté professionnelle de référence. La sociologie contemporaine rejette l’initiation, sous couvert de stigmatisation pour lui préférer un modèle plus anglo-saxon d’évaluation tout au long de la vie. Rejetant par là même l’identitaire qui est au cœur de la motivation sociale. Dans ce mouvement d’évaluation, le numérique apporte un concours important avec les possibilités du Big data. Une traçabilité sociale, certains parlent de social scoring, en temps réel jette aux oubliettes la notion même de diplôme à la Française. L’émiettement des diplômes réinterroge leur fonction sociale.

Il ne faut pas confondre le diplôme et la formation. Si le diplôme est intéressant ce qui prime, c’est la formation, tout particulièrement, comme le rappelle la note de conjoncture du Conseil d’Analyse Economique (29 septembre 2022) la formation permet d’augmenter la productivité individuelle et collective. Ces gains de productivité permettent d’améliorer la position sociale de l’individu comme sa rémunération, la position économique de l’entreprise et/ou l’investissement qui sécurise l’avenir. Au moment, du sortit du COVID, où la productivité française est en interrogation, la formation est une stratégie gagnante pour les entreprises à condition de ne pas fossiliser les formations autour des diplômes et des contenus, mais d’inventer de nouveaux écosystèmes, voire de nouveaux diplômes.

Le diplôme public se trouve concurrencé par le diplôme privé. La lourdeur du premier est challengée par l’agilité et la facilité du second. C’est la problématique des open badges. Chaque entreprise peut construire des diplômes au sens étymologique pour reconnaître des métiers qui n’existent pas encore et le principe des micro-compétences qui s’agrègent de différentes façons pour permettre de s’adapter à l’avenir. Le gros avantage est d’assurer de l’employabilité aux apprenants tout au long de sa vie professionnelle. Suivant la taille et la politique de corporate branding, le diplôme peut prendre une valeur supérieure à celle des diplômes publics. Des titres GAMMA (Google, Apple, Meta, Microsoft, Amazon) valent dans leur domaine plus que ceux de nombre d’écoles. La politique de qualification de la main d’œuvre est en mutation, ceux qui sauront le mieux associé réalité et réel auront un vrai avantage social et concurrentiel.

Fait à Paris,

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