L’apprentissage, est-il réellement le succès que l’on dit ?

par | 11 avril 2023 | Organisation

La loi 2028-771 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » du 5 septembre 2018 est considérée par la majorité des observateurs comme un véritable succès quand il s’agit de parler de son volet apprentissage. Une telle unanimité nécessite qu’on se penche un peu sur ses performances, tout particulièrement par le fait que 2023 devrait être l’année de réforme pour les acteurs de l’apprentissage. Après le « Big bang », le « Mini bang » de l’apprentissage ? C’est le moment de s’interroger sur la dynamique de l’apprentissage ? Que faut-il penser de la situation actuelle ? Apprentissage or not apprentissage ?

1, 2018, une réforme réussie

L’apprentissage est une vieille histoire en France, la première loi date de 1851 qui définit un contrat entre « un fabricant, un chef d’atelier ou un ouvrier » et « une autre personne  qui s’oblige, en retour, à travailler pour lui ». La loi Astier (1919) prévoit des cours professionnels obligatoires. La loi Delors (1971) formalise l’apprentissage comme nous le concevons aujourd’hui avec un financement et une mise en ordre des CFA, (Centre de Formation des apprentis) apparus dans les années 60. L’apprentissage a connu un plafond de verre autour de 300 000 contrats par an. En 1987, Edith Cresson lance un programme pour atteindre 500 000 apprentis, sans succès. En 2005, François Fillon renouvelle cette ambition sans plus de succès. L’apprentissage n’était pas fait pour la France.

Avec la loi de 2018, non seulement le plafond de verre a cédé en dépassant les 500 000 contrats signés, mais en plus, elle a lancé une dynamique nouvelle pro-apprentissage. En 2022, la France comptait 837 000 contrats signés, soit 3 fois plus qu’en 2017 avant la promulgation de la loi. Et le chiffre ne cesse de croître. 2023, le gouvernement espère atteindre 1 million de contrats signés alors qu’Emmanuel Macron candidat avait annoncé le million en fin de mandat. C’est donc clairement un succès par rapport à l’histoire et par rapport à la promesse de départ. Pourquoi 1 million ? Pour faire comme l’Allemagne, 1,3 million en 2019, ce qui d’ailleurs fait de la France une terre où les apprentis sont relativement plus nombreux si l’on compare avec l’ensemble de la population active.

Il s’agit bien d’un changement culturel. L’apprentissage devient un atout dans la formation. C’est un atout social permettant à des apprenants dotés de peu de moyens financiers d’accéder à des formations sans les droits d’inscription de écoles classiques et en étant en plus payé pour apprendre. L’apprentissage donne une priorité à l’opérationnalité avec les trois-quarts du temps en entreprise et un quart à l’école. Apprendre en faisant, c’est aussi acquérir une maturité professionnelle plus importante que dans les parcours traditionnels. Le savoir-faire et le savoir être sont acquis en situation réelle de travail. Une autre façon de doter l’apprenant des fameuses soft skills professionnels.

2, Un écosystème durable ?

La loi du 05 septembre 2018 a profondément simplifié les obligations pour les structures qui dispensent des formations en apprentissage. Depuis le 1er janvier 2019, tout organisme de formation peut devenir un CFA et proposer des cursus en apprentissage. Cette simplification supprime l’autorisation qu’il fallait obtenir auprès de la Région d’implantation, ce qui bien souvent limitait l’implantation géographique du CFA à une seule région. Cette opportunité nouvelle a développé les CFA d’entreprise, qui existaient avant, mais en moins grand nombre. Aujourd’hui, il existe 80 CFA d’entreprise recensés par le ministère du travail. Il s’agit principalement de CFA de grandes entreprises ou de groupement d’entreprises. L’internalisation de l’apprentissage permet l’émergence de nouveaux comportements RH faisant du CFA un outil de pré-recrutement et d’adéquation aux besoins des entreprises particulièrement dans les métiers en tension. C’est un signe d’intégration durable dans les stratégies des entreprises.

La Ministre délégué chargée de l’enseignement et de la formation professionnelle, Carole Grandjean, a rappelé que l’apprentissage devrait voir ses dotations baissées, un moratoire est décidé jusqu’en juillet 2023. Le succès de l’apprentissage réinterroge les modalités de financement que certains jugent excessifs. En 2021, les CFA ont augmenté de 2,7 points leur marge pour atteindre en moyenne 11 %, les résultats sont bons pour les CFA qui sont à 60 % excédentaire avec de l’argent public. Et si l’on rajouter la prime de 8 000 €, à l’embauche pour les apprentis, certains parleraient de « fric de dingue ». La Cour des Comptes dans son rapport sur la formation en alternance, juin 2022, constate que l’ensemble du système est en déséquilibre. En 2018, le montant des dépenses d’apprentissage était de 5,5 milliards d’euros, en 2021, il pourrait atteindre 11,3 milliards, à cause des aides et du financement des contrats. La Cour fait des recommandations pour sortir de « l’impasse financière ». Que l’Etat finance la politique qu’il promeut est une chose, mais s’agit-il d’un effet d’aubaine financière ou l’apprentissage est-il réellement entré dans les mœurs sociales ?

L’avenir dira si les choses ont bougé structurellement. Mais d’ores et déjà, on peut reconnaître que l’apprentissage s’est ouvert à de nouveaux segments de formation comme la formation supérieure, sortant de l’apprentissage réservé aux seules faibles qualifications. Ouvrir l’apprentissage au Master 2 par exemple est un atout de valorisation de la filière. D’ailleurs une notre de la Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance (DEPP, juillet 2022) constatait que si les effectifs dans l’enseignement secondaire continuaient d’augmenter, la croissance dans l’enseignement supérieur progresse beaucoup plus vite 58, 6 % en 2020, 48,3 en 2021. On peut s’interroger sur les conséquences la bascule des formations traditionnelles vers des formations en apprentissage.

3, L’apprentissage, est-il un dispositif d’avenir ?

La pédagogie de l’apprentissage bien souvent sur une pédagogie classique de transfert des connaissances et des compétences une semaine par mois. C’est la raison pour laquelle les détracteurs de l’apprentissage considèrent qu’il s’agit d’une dénaturation de la formation, et que cela renforce la baisse généralisée de la qualité de l’enseignement. C’est le paradoxe d’Anderson (https://affen.fr/organisation/faut-il-en-finir-avec-les-diplomes/ ). D’autres y voient un espace de créativité pédagogique. Tout devient possible. Ce peut être un moment de pairagogie, un moment de conscientisation des apprentissages sur le modèle de l’AFEST. Ou encore la création de communautés apprenantes qui fassent le lien entre les temps d’apprentissages, voir des apprentissages distribuées que le micro-learning favorise. Apprendre mieux, mais aussi en faire des apprentis les auteurs de leur apprentissage, des storymakers, et en faire profiter l’ensemble du CFA, intelligence collective.

L’apprentissage selon le rapport de l’IGAS, l’Inspection Générale des Affaires Sociales, stipule qu’un quart des apprentis ne vont pas jusqu’au bout de leur apprentissage. Les raisons ne sont pas assez documentées pour en tirer des conclusions claires, mais il y aurait matière à amélioration, soit il s’agit d’un problème d’orientation en amont, soit pendant la formation avec un problème de motivation, soit des opportunités extérieures. Il est d’ailleurs dommage que globalement, l’évaluation très scolaire de la formation soit toujours celle des experts et qu’il n’y ait pas de Learner Satisfaction (LSAT) qui mesure la satisfaction des apprenants. La formation professionnelle des adultes aurait peut-être des retours d’expériences à donner à l’Education Nationale, ayant déjà réalisé des expérimentation pour associer engagement des apprenants et ambitions des apprentissages.

Plus généralement, on peut s’interroger sur l’organisation de l’action publique qui ne s’intéresse qu’à l’indicateur quantitatif du million d’apprentis sans réaliser de mesure d’impact pour savoir si l’apprentissage est parfois plus efficace que la formation traditionnelle. Il s’agit d’une formation en blind test, ce qui rend plus difficile de penser l’efficacité ou non du dispositif et donc d’en améliorer les résultats. On pourrait imaginer des travaux pour savoir si l’apprentissage permet d’améliorer la productivité des apprenants. Il s’agirait de sortir d’une logique quantitative pour s’ouvrir à une logique qualitative. Faute d’avoir une économie de l’apprentissage, on dépense de l’argent sans même savoir si l’on augmente la qualité sociale des apprenants. L’apprentissage est un dispositif qui peut devenir un espace d’innovation, à condition de sortir du monde des croyances, « l’apprentissage, c’est bien » pour aborder des indicateurs d’évaluation et donc d’amélioration quels que soient les indicateurs sociaux choisis.

L’apprentissage est un dispositif qui illustre assez bien des politiques de formation en général. Les PIAAC montrent que notre population active se déqualifient année après année, comme PISA ou TEAMS. Les indicateurs ne sont pas la panacée, mais ils sont le reflet d’une politique publique. On a les indicateurs que l’on mérite. La formation des adultes pourrait avoir pour vocation, mais ce n’est pas la seule, de régler les tensions sur les métiers où le déficit est fort ; il pourrait s’agir d’améliorer la productivité de chacun pour enrichir l’ensemble du social, le numérique pouvant être une belle opportunité ; il pourrait s’agit enfin d’en faire des citoyens sur le modèle de Condorcet ; et tant d’autres choses. Tout est possible, et tout devient plus facile si l’on se dote d’une éthique, d’un sens social qui permet de mobiliser l’ensemble des acteurs.

Fait à Paris, le 11 avril 2023

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