L’éthique républicaine, mythe ou réalité ?

par | 2 juillet 2025 | Philosophie, Responsable de formation

La formation est hantée par le rêve de l’éthique républicaine.

Une formation pour tous.

Au Moyen-Age, la formation était hiérarchisée : les clercs et les nobles étaient formés à la religion, le savoir, la guerre ou l’administration suivant les postes de chacun ; les paysans et artisans apprenaient par compagnonnage ou par mimétisme sur le lieu de travail.

Il ne s’agissait pas de former tout le monde, mais de former suivant les besoins de chacun.

Les Lumières ont influencé Louis XV et surtout Louis XVI avec les écoles de la charité, mais c’est la Révolution Française qui a jeté les bases d’un acte idéologique universaliste.

Nicolas Condorcet avait proposé lors de la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « L’instruction est le premier besoin du peuple ».

Même si l’idée ne fut pas retenue, la philosophie est là.

« Nous avons observé que l’instruction ne devait pas abandonner les individus au moment où ils sortent de l’école, qu’elle devait embrasser tous les âges » (Discours de Condorcet à l’Assemblée Nationale en 1792).

Cette « seconde instruction », formation tout au long de la vie, a pour vocation d’émanciper l’apprenant de l’Ancien Régime et de l’ignorance.

Posture hautement philosophique que l’on retrouve avec Paulo Freire avec une émancipation des structures en place, essentiellement capitaliste (Pédagogie des opprimés, 1970).

Mais la République propose autres choses.

En 70 ans, la Troisième République a imposé la méritocratie laïque, favorisant le mérite individuel au détriment d’être bien né.

Donner une chance à tous par la performance, construire une élite républicaine nouvelle.

Ainsi est née l’éthique républicaine.

Pierre Bourdieu avec les Héritiers (1964) et la Reproduction (1970) dénonce « l’illusion méritocratique » qui ignore les inégalités de départ sociales, culturelles ou économiques, qui non seulement ne sont pas gommées par le système, mais au contraire sont entretenues par lui pour assurer sa reproduction.

Le capital culturel, bourgeois, favorise ceux qui sont bien nés, aillant « naturellement » les codes de la sélection par les savoirs. Pierre Bourdieu montre que « les savoirs légitimes », culture scolaire, langue académique, références classiques sont des savoirs codés par une élite.

D’où l’idée proposée par certains de transformer la méritocratie originelle en une méritocratie solidaire.

Une éthique inclusive qui tienne compte des biais sociaux, territoriaux, raciaux,… une République solidaire, fraternelle.

Le mérite n’est plus dans la performance ou l’expertise des savoirs, mais dans les savoirs expérientiels et les intelligences plurielles.

Une nouvelle posture face aux savoirs, l’acquisition prime sur l’acquis.

Cette idée est renforcée aujourd’hui par le numérique, où le contenu est accessible à tous. Jeremy Rifkin parlait de « L’Age de l’accès » (2000).

L’intelligence artificielle et les agents conversationnels renforcent cette idée. L’externalisation des savoirs ne contraint plus à l’acquis, mais à l’accès pour tous.

D’autres proposent un choc des savoirs prétextant que l’excellence n’est plus au rendez-vous et que les classements internationaux ne cessent de déclasser le modèle français.

L’éthique républicaine est souvent appelée pour donner un sens.

« Les vivants sont toujours, et de plus en plus, gouvernés nécessairement par les morts : telle est la loi fondamentale de l’ordre humain » (Auguste Comte, Système de politique positive, 1852).

Encore faut-il choisir son histoire pour habiller la situation du moment.

Sans histoire, la formation devient une gestion rationaliste pour assurer l’employabilité économique des apprenants, l’offre et la demande.

Tristes tropiques

Fait à Paris, 02 juillet 2025

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